Bussi, Michel «On la trouvait plutôt jolie» (2017)
Auteur : Michel Bussi a commencé à écrire dans les années 1990. Alors jeune professeur de géographie à l’université de Rouen, il écrit un premier roman, situé à l’époque du Débarquement de Normandie. Ce dernier est refusé par l’ensemble des maisons d’édition. Il écrit quelques nouvelles, s’attelle à l’exercice de l’écriture de scénarios mais sans parvenir à les faire publier. Il attendra dix ans pour que l’idée d’un roman, inspiré d’un voyage à Rome au moment du pic de popularité du Da Vinci Code de Dan Brown, s’impose. Ce succès d’édition international, ainsi que la lecture d’une réédition de Maurice Leblanc pour le centenaire d’Arsène Lupin, le poussent à se lancer dans un travail d’enquêteur. De retour à Rouen, équipé de ses cartes de l’IGN, il noircit des carnets jusqu’à pouvoir proposer, en 2006, un manuscrit intitulé Code Lupin à un éditeur régional et universitaire, les éditions des Falaises. Ce premier roman sera réédité neuf fois.
Plusieurs années seront nécessaires pour que les ouvrages de Michel Bussi, qui paraissent au rythme d’un par an, tel Mourir sur Seine en 2008, ou Nymphéas Noirs en 2011, voient leurs ventes s’envoler. Après une série de récompenses locales, grâce à ses premières éditions en livre de poche, mais surtout grâce à la sortie en rayon polar de son ouvrage maître Un avion sans elle, l’auteur géographe est propulsé sur le devant de la scène. Deuxième auteur le plus lu en France en 2016.
Une des particularités de son travail est de situer la majorité de ses romans en Normandie. Son roman N’oublier jamais, sorti en mai 2014, met « plus que jamais » la Normandie au cœur de son intrigue, tout comme Maman a tort (qui se déroule au Havre), sorti en mai 2015. Le suivant « Le temps est assassin » sorti en mai 2016, se déroule en Corse. On la trouvait plutôt jolie (2017) a pour cadre Marseille.
Ses romans : Code Lupin (2006) – Omaha crimes /Gravé dans le sable (20067/2014) – Mourir sur Seine (2008) – Sang famille (2009 – réédité 2018) – Nymphéas noirs (2011) – Un avion sans ailes (2012) – Ne lâche pas ma main (2013) – N’oublier jamais (2014) – Maman a tort (2015) – Le temps est assassin (2016) – On la trouvait plutôt jolie (2017) – Les contes du réveil matin(2018) – J’ai dû rêver trop fort (2019)
Bussi, géographe et professeur à l’université de Rouen, a notamment publié Nymphéas noirs, Un avion sans elle (prix Maison de la Presse), Ne lâche pas ma main (2013), N’oublier jamais (2014), Maman a tort (2015) et Le temps est assassin (2016). Ses ouvrages sont traduits dans 29 pays, les droits de plusieurs d’entre eux ont été vendus pour le cinéma et la télévision.
Presses de la Cité Paru le : 12/10/2017 – 462 pages
Résumé : On la trouvait plutôt jolie, Leyli. Tout charme et tout sourire. Leyli Maal fait le ménage dans les hôtels à Port-de-Bouc, près de Marseille. Malienne, mère célibataire de trois enfants, Bamby, 21 ans, Alpha, 17 ans, Tidiane, 10 ans, Leyli nourrit un rêve immense et cache un grand secret. Leyli raconte sa vie à qui veut bien l’écouter, mais peut-elle avouer toute la vérité ? Peut-elle empêcher ses enfants de dévoiler ce qu’elle a caché ? Une vengeance ? Un trésor ? Un père ? François Valioni travaille pour une importante association d’aide aux migrants à Port-de-Bouc.
Il est retrouvé au petit matin assassiné dans un hôtel. Dans sa poche, un bracelet de couleur et six coquillages. Julo Flores est un jeune lieutenant de police zélé, hyperconnecté. Méfiant envers son commandant et un peu trop sentimental, il ne peut pas croire que Bamby Maal, que tout accuse, soit la coupable. Surtout lorsque survient un second crime. En quatre jours et trois nuits, du désert sahélien à la jungle urbaine marseillaise, Michel Bussi nous offre un suspense de haut vol, dans lequel, comme toujours, priment l’humain, l’émotion, l’universel.
Jusqu’au stupéfiant twist final.
Mon avis :
Leyli est une invisible, un modèle féminin, une femme de l’aube qui est seule avec 3 enfants, qui travaille la nuit, comme une chouette. Ce roman raconte l’épopée romanesque d’une femme, migrante économique, qui ne renonce jamais. Une femme jolie, qui a de l’esprit, qui nous permet de découvrir le parcours des migrants de Mali jusqu’à Marseille… Un destin romancé mais aussi un thriller…
C’est un suspense sur le monde d’aujourd’hui : le secret de Leyli est la base de la construction du roman. Un roman est construit comme un puzzle et tous les morceaux s’emboitent à la fin. Il n’y a pas tant de hasard et tout s’explique par une succession de choix. Tout a un sens dans son roman. C’est du suspense mais pas tellement du thriller (pas de tueurs en série) ; c’est plus des gens ordinaires à qui il arrive des choses extraordinaires. Un grand soin du détail, une écriture imagée qui montre les choses ; les personnages vivent des choses par rapport à l’endroit où ils sont. Un roman documenté aussi : le business des passeurs, le business des frontières sécurisées : plus on ferme les frontières, plus c’est couteux de les surveiller et plus le prix du passage augmente mais les hommes vont toujours essayer de passer. On a tendance à penser que les passeurs sont les méchants, mais il y aura toujours des gens qui voudront passer…et donc business.
Roman social dans l’univers des migrants. Clin d’œil à la Lily de Pierre Perret … sauf qu’elle arrive du Mali et pas de Somalie… Pierre Perret écrit sa chanson en période de racisme ordinaire (1976) mais aujourd’hui la peur du migrant est plus forte et la société est moins accueillante.
Des personnages attachants, un roman que je n’ai pas lâché Et de nouveau un livre de Bussi que j’aime beaucoup. Une jolie histoire, avec une fin en demi-teinte, douce-amère, un brin mélancolique.
Extraits :
Devant le commandant se tenait un type d’une quarantaine d’années, cravaté, un profil de vendeur de canapés ou de cheminées ; genre catalogue qui parle.
Quand on habite vingt-cinq mètres carrés, la musique est le seul moyen d’agrandir les pièces.
Moi, mon rêve, ce sont les mots. Je lis. J’écris. Je ne fais que ça toute la journée.
Tout le monde possède des rêves, Bamby. Et ce qui compte, ce n’est pas de les réaliser, c’est juste de pouvoir y croire. Qu’il existe une possibilité, une petite chance.
Ils sont rares, les vrais rêveurs. Les chercheurs d’or. Les obstinés qui ne se résignent pas. Les dingos qui croient à leur destin.
L’immense majorité des populations veulent rester là où elles habitent, là où elles sont nées, avec leur famille et leurs amis, du moment qu’elles ont à peu près de quoi survivre. Elles s’en contentent. Il n’y a que quelques fous pour tenter l’aventure.
Les repas en famille ont ceci de magique qu’on trouve toujours quelque chose à dire.
Une solitude qui n’était ni tout à fait celle des poètes contemplatifs, ni celle des jardiniers. Une sorte de mélange des deux. Le cœur artiste et le geste artisan.
Que veux-tu… Si on peut rendre service… Je suis né trop tôt pour être passeur pendant la guerre. Tu vois, le berger qui aide les Gitans ou les Juifs à filer en Suisse. Alors je me rattrape comme je peux.
C’est madame Fané qui la première m’a surnommée la chouette, parce qu’elle pouvait voir dans le noir, parce qu’elle était l’animal préféré de la déesse Athéna, l’animal de la sagesse. De la sagesse et de la guerre.
Depuis la préhistoire, l’humanité s’est beaucoup mélangée, vous savez. Construire des murs, c’est très récent.
On préfère toujours être accusé de zèle plutôt que de laxisme. C’est l’ironie du principe de précaution. Plus notre folie imagine des risques absurdes et plus notre raison invente des normes pour qu’ils ne se produisent jamais.
[…]je lève mon verre à cette terre d’asile que fut la France, à cette terre d’asile qui m’accueillit en 71 quand je fuyais Franco, qui accueillit mes frères polonais en 1848, mes frères arméniens en 1915, mes frères russes en 1917, mes frères portugais, grecs et cambodgiens après moi. A cette terre qui la première au monde inscrivit dans sa constitution de 1793 le devoir d’asile aux peuples opprimés de la terre.
Il parlait peu et il m’aimait beaucoup. Du moins, il m’aimait souvent. Les femmes ont tendance à confondre les deux. Pas les hommes.
La nuit, les chouettes voient tout, entendent tout, comprennent tout.
Il traînait un visage crevassé par les années et un corps ramolli par la vie. Il était raciste. Sûrement alcoolique. Et malgré tout, elle l’aimait bien. Un peu plus que cela même. Elle ressentait pour cet homme une attirance étrange. Pas un coup de foudre. Plutôt l’inverse, même si elle n’arrivait pas à définir cet inverse. Une sorte de sentiment ancien, patiné par le temps, raboté, usé, mais pourtant évident.
Il fallait toujours que la vie fasse dans la démesure, refile le bonheur comme le malheur en une seule livraison, en vrac dans un carton, et nous laisse déballer le tout.
D’ailleurs, Alpha avait l’impression que tous les types incarcérés dans la prison ressemblaient à des acteurs américains. Il avait vu Bruce Willis sortir des chiottes, un vieux De Niro parler tout seul dans un coin de la cour, un Robert Downey Junior et un Hugh Jackman profiter de la promenade du matin pour faire des abdos.
Il hésitait un peu sur le mot racisme, il aurait voulu en trouver un autre plus approprié pour désigner la peur des réfugiés.
Il enfoncerait le clou en précisant que le nombre actuel de migrants sur la planète était stable depuis des années, environ 3 % de la population mondiale, soit trois fois moins qu’au XIXe siècle.
Il n’existe pas de trésor sans malédiction.
Ma fille était une fleur trop fragile pour pousser dans le désert. Ici, elle finirait cactus. En France, elle serait rose, iris, orchidée.
Le marché des migrants est comme tous les autres marchés, il fluctue en fonction de l’offre et de la demande.
Les couleurs qu’elle portait, le mauve aux yeux, les perles rouges dans ses cheveux, l’orange mandarine de sa tunique, semblaient autant de gris-gris contre le gris de sa vie.
il se contentait de réfléchir, comme s’il téléchargeait dans sa tête l’histoire de son grand-père. Ça n’allait pas vite. Il ne devait plus y avoir beaucoup de réseau dans son cerveau.
Prévenir quelqu’un d’un danger n’est souvent rien d’autre qu’une menace déguisée.
[…] Checkpoint Charlie à Berlin : les fous qui étaient morts pour passer le mur, de l’est à l’ouest, étaient devenus des héros, des résistants, des martyrs ! Ceux qui tentaient aujourd’hui de franchir la frontière, du sud au nord, attirés par le même Occident, par les mêmes démocraties, étaient au mieux des hors-la-loi, au pire des terroristes.
Tout fonctionne comme ça, non ? N’importe quel transport au monde ! Classe business ou économique. Parqués comme du bétail ou traités comme des califes. Pourquoi les clandestins seraient-ils privés de ce choix ?
Ni vagues ni écume, seulement un brouillard froid, humide et salé. Même la mer semblait mal réveillée.
Info : ciwaras : Masques bambaras en forme d’antilope-cheval.
Info : Les cauris sont une variété de coquillages particulière, qui provient presque exclusivement des Maldives, ce qui les rend à la fois rares et aisément reconnaissables. Ces coquillages furent très tôt utilisés comme instrument de commerce entre les peuples, pour vous situer, disons à partir de l’an 1000 avant Jésus-Christ. On peut considérer ces coquillages comme la plus vieille monnaie du monde. Puisqu’on est pressés, désolé, je vais sauter deux mille ans d’histoire et arriver directement en l’an 1000. C’est le début du commerce international, notamment entre l’Afrique de l’Ouest et l’Asie, via les commerçants arabes. Le cauri devient la principale monnaie d’échange entre les continents. Infalsifiable, facilement transportable, facilement pesable. La monnaie idéale. Il se développe encore pendant les traites négrières, on parle de dizaines de milliards de coquilles transportées par les Hollandais, Français, Anglais, en bracelets, en colliers, en paniers de plus de dix mille cauris !
(livre choisi pour le « challenge j’ai lu 2018 » ) : Un livre comportant des paroles de chanson dans le titre
Photo : une partie de la collection de chouettes de mon adolescence ( et à droite une chouette qui ressemble à celle de la couverture du livre ;))