de Rosnay, Tatiana «Les fleurs de l’ombre» (2020)
Autrice : Tatiana de Rosnay est née le 28 septembre 1961, à Neuilly-sur-Seine. Son père est français d’origine russe, sa mère, anglaise. Elle se décrit comme étant « franglaise » et a été élevée à Boston et à Paris. Après des études littéraires en Angleterre, à l’Université de East Anglia, Tatiana a travaillé à Paris comme journaliste pour Vanity Fair, Psychologies Magazine, ELLE et le JDD.
Ses romans : L’Appartement témoin – Elle s’appelait Sarah – La Mémoire des murs – Boomerang – Le Voisin – Le Cœur d’une autre – Rose – Spirales – À l’encre russe – Café Lowendal et autres nouvelles – Son carnet rouge – Manderley for ever – Moka – Sentinelle de la Pluie – Tamara par Tatiana – Les Fleurs de l’Ombre –
Coédition Robert Laffont/Héloïse d’Ormesson – 12.03.2020 – 329 pages
Résumé :
Une résidence pour artistes flambant neuve. Un appartement ultramoderne, au 8e étage, avec vue sur tout Paris. Un rêve pour une romancière en quête de tranquillité. Rêve, ou cauchemar ? Depuis qu’elle a emménagé, Clarissa Katsef éprouve un malaise diffus, le sentiment d’être observée. Et le doute s’immisce. Qui se cache derrière CASA ? Clarissa a-t-elle raison de se méfier ou cède-t-elle à la paranoïa, victime d’une imagination trop fertile ? Fidèle à ses thèmes de prédilection – l’empreinte des lieux, le poids des secrets – Tatiana de Rosnay tisse une intrigue au suspense diabolique pour explorer les menaces qui pèsent sur ce bien si précieux, notre intimité.
Mon avis : C’est la première fois que je lis un livre de Tatiana de Rosnay… Bien que sa romancière préférée soit Daphné du Maurier, dans ce roman, elle affiche principalement son amour pour Virginia Woolf et Romain Gary, ce qui n’est pas pour me déplaire. Romain Gary et Virginia Woolf : deux écrivains qui se sont suicidés ; deux écrivains qui se sont suicidés chez eux, dans des lieux auxquels ils étaient attachés.
Dystopie qui se déroule en 2034. Dans un avenir pas si éloigné … ce qui ne peut que générer une certaine angoisse… Y aura-t-il encore de la nature dans une quinzaine d’années ? En ce moment particulier de confinement/déconfinement c’est troublant. Ce roman qui parle du « monde d’avant » alors que maintenant tout le monde utilise cette expression… Le monde du roman n’a pas été chamboulé à cause d’un virus mais suite à des attentats… n’empêche que le résultat est le même à certains points de vue… la peur, le manque de sécurité, la ville déserte. Un Paris angoissant, mais pas que Paris… Un monde à l’arrêt, figé, et même défiguré, qui a perdu ses symboles de toujours, comme le Paris actuel qui a perdu la flèche de Notre-Dame, même si la perte de la flèche fut accidentelle et non causée par un attentat.
Une plongée dans le monde connecté, dans l’Intelligence artificielle, dans la domotique, avec pour principale interlocutrice… Mrs Dalloway… Clarissa, à qui elle doit en partie son pseudo… Mrs Dalloway, les yeux et les oreilles de son nouvel appartement, son assistante personnelle connectée qu’elle va ressentir comme une espionne, une ennemie, une présence qui la surveille et empiète (c’est le moins qu’on puisse dire) sur sa liberté alors qu’elle est présentée à l’origine comme une personne qui va la décharger de toutes les tâches annexes pour lui permettre de créer sans avoir à se préoccuper du quotidien. Tout comme dans le roman de Virginia Woolf, le récit se passe sur plusieurs plans : le passé, le présent.
Il me semble que Tatiana et Clarissa sont très proches l’une de l’autre. Et par moments on pourrait se demander : sommes-nous dans le monde de Clarissa ou dans celui de Tatiana ?
Ce roman met en scène quatre générations : la mère (Clarissa Katsev), la fille, la petite-fille (15 ans) et le grand-père. L’héroïne principale, Clarissa Katsev qui a connu un énorme succès il y a quelques années en parlant de l’importance du rapport aux lieux et qui se retrouve seule, après la séparation d’avec mon mari. Elle emménage dans un appartement, dans une résidence réservée aux artistes : CASA. Un appartement neuf, qui n’a donc pas la mémoire de ceux qui auraient pu y habiter avant. : un lieu vierge de toute émotion. Un refuge… mais est-ce vraiment la sécurité ? Même le chat semble perturbé par l’environnement dans lequel il évolue. Dans ce monde en mutation, la vie de Clarissa Katsef est à l’unisson avec les lieux ; sa vie privée dynamitée de l’intérieur, elle se retrouve seule et dans des lieux qui ne lui apportent pas le refuge du cocon tissé depuis des années pour se sentir protégée par une intimité et des souvenirs. En perte de repères, elle ne sait plus à qui se fier, elle se retrouve dans une réalité irréelle où elle ne démêle plus le vrai du faux. Une personne qui perd pied (ou à qui on veut faire perdre pied) , qui ne s’approprie pas l’espace et le temps. Pour preuve le fait qu’en emménageant dans son nouvel appartement elle ne fait rien pour le rendre à son image : elle ne le rend pas chaleureux, elle qui est connue pour avoir construit toute son identité autour des lieux et de ce qu’ils dégagent ou apportent… Et mis à part sa petite fille et son ex-mari, tout le monde semble mettre en doute ce qu’elle ressent… et pencherait plutôt pour la cataloguer comme dépressive …
C’est aussi un livre sur la création, sur l’identité, sur la perte d’identité, sur l’écriture et la lecture.
Mais je ne vous en dis pas davantage car il faut vous laisser le plaisir de la découverte. Et pour moi la découverte d’une romancière que je vais lire !!! A commencer par Manderley for ever …
Extraits :
Mais était-elle réellement en sécurité ? se demanda-t-elle, alors que le chat ronronnait et que la nuit noire semblait l’envelopper. En sécurité contre qui, contre quoi ? Vivre seule était plus dur que prévu.
Du lien entre les écrivains, leur travail, leurs maisons, leur intimité, et leurs suicides, en particulier Virginia Woolf et Romain Gary.
Clarissa avait souligné le parallèle inattendu entre les deux romanciers, qui la touchait. Elle pouvait enfin mettre le doigt sur ce qui l’attirait tant ici : ce qui la bouleversait, c’était l’histoire qui se tramait en coulisse ; comment, dans l’intimité de ces lieux, ces personnages publics vivaient et écrivaient.
Elle tenait à leur dire une chose : pour elle, un artiste n’avait pas besoin d’expliquer son œuvre ; si le public ne comprenait pas ou passait à côté, c’était son problème. Pourquoi un artiste devrait-il se justifier ? Sa création parlait d’elle-même. Des lecteurs lui demandaient de temps en temps d’expliquer la fin de ses livres. Cela la faisait rire, pleurer parfois, ou la mettait dans une rage folle. Elle écrivait pour inciter à réfléchir, et non pour donner des réponses.
Les livres ne vous laissaient jamais tomber. Ils étaient toujours là pour vous.
Elle avait pleinement conscience qu’elle ne pouvait continuer ainsi et se transformer en ermite. Cette fragilité inédite la paralysait autant qu’elle l’exaspérait. Elle allait devoir avancer. Dans sa vie, elle avait toujours su rebondir ; à un moment donné, elle allait devoir faire face.
Elle ne croyait pas aux fantômes ; elle croyait à la mémoire des murs, elle avait la conviction que les lieux captaient les émotions du passé. Mais cet endroit était neuf. Flambant neuf. Elle était la première à y vivre. Le chat avait-il peur de ce qui s’était jadis déroulé ici ?
Se souvenir. C’était comme ouvrir un album photo, s’arrêter à une page. Laisser les émotions remonter, lentement.
Je réfléchis à la langue. La langue d’écriture. Comment elle s’impose aux écrivains. Comment nous choisissons nos mots. Certains mots plutôt que d’autres.
Elle savait que les vrais bilingues étaient incapables de se cantonner à une langue ; ils passaient de l’une à l’autre avec une aisance qui donnait le tournis à leurs interlocuteurs.
— Est-ce que Gary vous a transmis sa mélancolie ?
— À travers ses livres pour commencer. Dans La Vie devant soi, il y a une phrase sublime de mélancolie : « C’est toujours dans les yeux que les gens sont les plus tristes. » Ce jour-là, rue du Bac, j’ai ressenti une affinité profonde avec lui.
Pensez-vous que les rêves aient une langue ?
— Eh bien, certainement. Mais peut-être que notre inconscient ne se focalise pas sur la langue.
Les photos avaient pris largement le pas sur les mots. On ne lisait plus les journaux. On regardait les vidéos en boucle, dans une espèce d’hébétude fascinée.
Alors pourquoi continuait-elle à écrire ? Parce qu’elle n’avait pas le choix, parce que les mots constituaient un rempart, une protection. Elle écrivait pour faire entendre une voix, même frêle, assourdie ; elle écrivait pour laisser une trace, même si elle ignorait qui la recueillerait. Elle écrirait.
Elle pouvait enfin mettre le doigt sur ce qui l’attirait tant ici : ce qui la bouleversait, c’était l’histoire qui se tramait en coulisse ; comment, dans l’intimité de ces lieux, ces personnages publics vivaient et écrivaient.
Même si Virginia Woolf, comme Romain Gary, avait choisi de mettre fin à ses jours, elle laissait derrière elle un sillage paisible, un legs de douceur et d’espoir.
Dans la capitale déserte, les rues prenaient un air de ville fantôme. Pas un véhicule, pas un passant. Les magasins étaient fermés. Seuls des drones circulaient, tels d’énormes insectes survolant les boulevards vides
À quoi servent les pauvres êtres humains que nous sommes ?
— À avoir des émotions
Info : la rue du bac ( voir la page)
Photo : Vue aérienne de Paris confiné (avril 2020)
2 Replies to “de Rosnay, Tatiana «Les fleurs de l’ombre» (2020)”
J’aime beaucoup cette auteure mais pour celui-ci, j’étais très hésitante compte tenu du fait que c’est une dystopie.
Mais encore une fois , tu m’as convaincue et je viens de le rajouter à ma liste de livres à acquérir.
Je vais le lire très prochainement.
Merci Cathy
oh oui lis-le et tu me diras
D’autant plus qu’on a presque l’impression que ce n’est plus de l’anticipation … après le confinement…