Gimenez-Bartlett, Alicia « Rites de mort» (2000)

Gimenez-Bartlett, Alicia « Rites de mort» (2000)

Autrice : née le 10 juin 1951 à Almansa, dans la province d’Albacete, est une romancière espagnole, notamment autrice de roman policier.
En 2011, Alicia Giménez Bartlett remporte le Prix Nadal pour son roman historique Donde nadie te encuentre, qui évoque la vie de Teresa Pla Meseguer, surnommée La Pastora, une hermaphrodite humiliée par un lieutenant de la Guardia Civil en 1949 qui s’engagea ensuite dans la guérilla anti-franquiste.
L’auteur, qui vit à Barcelone à partir de 1975, réside maintenant à Vinaròs, dans la province de Castellón.
En 2015, elle obtient le prix Planeta pour Hombres desnudos, un roman sur la prostitution masculine1.

Série Petra Delicado : Elle crée ainsi le personnage de Petra Delicado, une femme inspecteur de police, héroïne de plusieurs romans policiers. Cette série, qui obtient un vif succès, est traduite en plusieurs langues et lui vaut plusieurs distinctions, dont le Prix Raymond Chandler en 2008. En 1999, une série télévisée adapte les enquêtes de Petra Delicado et de son inséparable compagnon, Fermín Garzón.
La série :  Rites de mort 2000 (Ritos de muerte (1996) – Le Jour des chiens 2002 (Día de perros (1997) – Les Messagers de la nuit 2003 (Mensajeros de la oscuridad (1999) –  Meurtres sur papier 2004 (Muertos de papel (2000) – Des serpents au paradis 2007 (Serpientes en el paraíso (2002) – Un bateau plein de riz 2008 (Un barco cargado de arroz (2004) – Un vide à la place du cœur 2019 Nido vacío (2007) – Le Silence des cloîtres 2012 ( El silencio de los claustros (2009) – Personne ne veut savoir 2015 (Nadie quiere saber (2013) – Crímenes que no olvidaré (2015)

Rivages – Rivages Noirs – 9.3.2000 – 416 pages (traductrice : Marianne Million)

Résumé : Après son deuxième divorce, Petra Delicado, la petite quarantaine, s’achète une maison avec jardin pour oublier qu’elle végète au service de documentation de son commissariat, et surtout échapper à ses ex-maris qui ne cessent de débouler dans sa vie au moindre prétexte. Un soir, contre toute attente, on l’appelle pour la charger d’une affaire : une jeune fille des quartiers périphériques de Barcelone a été violée et marquée au bras d’un étrange sceau évoquant une fleur. Petra comprend que seul le manque d’effectifs explique qu’on lui confie cette enquête. Surtout quand elle voit qu’on lui désigne un collaborateur apparemment aussi terme que l’inspecteur adjoint Garzon. C’est pourtant cet improbable tandem qui, derrière les murs de l’hypocrisie, découvrira une vérité au goût amer. Nouvelle recrue du polar espagnol, Alicia Giménez-Bartlett met en scène un duo de personnages attachants dans une première enquête où s’affirment sa finesse d’observation et son sens de l’humour.

Mon avis : Depuis le temps qu’un ami me disait : les polars nordiques ou les gialli italiens c’est bien mais élargis ta lecture des auteurs de polars/noirs espagnols … et bien il avait sacrément raison ! Surtout que ceux qui me connaissent savent que j’adore les auteurs espagnols
Ce premier tome des enquêtes de Petra Delicado est une magnifique découverte.
Non seulement du point de vue de l’enquête mais surtout pour le portrait de femme et la présentation des personnages qui allie humour et psychologie.
C’est que ce n’est pas facile d’être femme dans la police ! Surtout quand on n’a pas confiance en soi ! Femme et inspectrice ! Après ses deux divorces, après avoir abandonné son métier d’avocate pour entrer dans la police, après avoir été reléguée au service de la documentation car elle est considérée comme l’intello de service, voici que l’Inspectrice Petra Delicado est soudain appelée pour mener une enquête sur un viol ; et on lui adjoint un policier qui a l’habitude du terrain et arrive de Salamanque. Un drôle de couple se forme… Elle qui est issue de la haute bourgeoisie, lui qui est issu des classes populaires…
Dans une interview l’autrice explique qu’elle n’a pas choisi le nom de son inspectrice au hasard : Petra (pierre) pour la dureté et Delicado (pour tempérer la dureté par la notion de délicatesse).
Quant à se poser la question du féminisme … ce n’est pas évident. Petra agit comme une féministe par moments mais pas toujours : par moments elle se rebelle et à d’autres occasions, elle a envie de se terre dans son trou pour ne pas affronter le monde machiste qui l’entoure, ce qui en fait un personnage attachant, fort et faible à la fois, comme son patronyme l’indique. Elle qui dès le début souhaite se réfugier, solitaire, dans sa petite maison avec ses livres montre aussi une autre facette de sa personnalité dès qu’elle est dehors.

J’ai beaucoup aimé l’opposition entre Petra et les hommes qui l’entourent : son premier mari, son deuxième mari, son adjoint.
Un roman social, psychologique, dans lequel l’inspectrice tente d’expliquer les raisons pour lesquelles un homme peut être poussé par son entourage à passer à l’acte … et dans lequel le fait que l’inspectrice soit une femme est contrebalancé par le fait qu’elle arrive à ne pas influencer sa manière de mener l’enquête par le fait d’être femme.
Un roman social également qui révèle les inégalités de traitement dans la société espagnole.

Beaucoup aimé ce premier tome et je me réjouis de continuer à apprendre à connaitre Petra Delicado …

Et les littéraires y retrouveront des réflexions littéraires qui m’ont beaucoup plu ! On peut être inspectrice et cultivée !

Extraits :

Si j’étais entrée dans la police, c’était pour lutter contre mon penchant pour la réflexion qui prenait généralement le dessus. De l’action.

Mais le savoir ne prend pas de place, même s’il ne permet pas non plus de s’en faire une. Effectivement, malgré ma brillante formation d’avocate et mes études à l’Académie de police, on ne m’avait jamais confié d’affaire importante. On me considérait comme « une intellectuelle », et puis j’étais une femme, et il ne me manquait que d’être noire ou gitane pour parachever le tableau de la marginalité.

e n’aurais jamais eu l’idée de m’intéresser à la longue cohorte de jeunes déshérités qui déambulait dans la ville. Il ne s’agissait pas de marginaux ni de délinquants ; en fait, ils étaient tous plus ou moins intégrés dans la roue sociale. Mais, d’après ce que je pus vérifier, la roue semblait leur passer dessus et les écraser sans considération. Quand ils n’étaient pas au chômage, ils exerçaient des emplois situés au bas de la pyramide du monde du travail.

Le comportement humain est extrêmement varié, imprévisible, plein de détours et de méandres, mais part toujours des mêmes axes invariables : l’amour, la jalousie, l’envie, le ressentiment, la domination. C’est pourquoi les œuvres de Shakespeare sont toujours d’actualité.

Elles avaient souffert l’indicible, avaient été profondément outragées, et, pour être solidaire, il faut conserver sa dignité intacte. L’humiliation individualise dans des limites insoupçonnées, c’est la base du conflit intérieur et de l’isolement.

Il ne parvenait pas à éviter une certaine crispation du visage quand je me trouvais devant lui : sur son européanité civilisée volait encore la plume de Calderón.

– Savoir ce que l’on cherche aide toujours, l’explication viendra plus tard.

S’il naît un enfant anormal dans une famille aisée, on en fait un drame, une tragédie, on le cache. Mais si cela se produit dans un foyer de simples travailleurs, alors l’enfant est tout de suite accepté, on le tient propre, on s’occupe de lui, on le montre à tout le monde pour que les gens voient qu’il est affectueux et même beau.

– Je continue à croire que vous profitez éhontément du fait que vous êtes une femme, mais, qui sait, peut-être n’est-il pas mauvais de se servir des armes que l’on possède.

Cependant, changer d’optique en fin de parcours produit un effet beaucoup plus létal que toutes les cigarettes que l’on a pu fumer, la graisse de porc et le café. C’est de ça que meurent les gens en réalité, du choc que cela fait de se demander un jour si l’enjeu de toute une vie en valait la peine.

– Dans le fond, depuis qu’on t’a chargée de l’affaire, j’ai toujours pensé que confier une enquête sur le viol à une femme, c’était comme de demander à un Noir de porter un jugement sur l’apartheid. Trop d’implication personnelle.

Le problème était que j’étais porteuse de ce que les Français appellent un cœur simple*. Je voulais que les choses soient monochromes, qu’on les distingue clairement, inondées par le même rayon de lumière. Les coupables : des mauvais ; les victimes : des innocents ; la société : dans l’expectative et rendant justice face au mal ; la police : drapée comme garantie morale contre le chaos.

Disons que la nature, avec le temps, dote les animaux des armes dont ils ont besoin pour survivre. Alors, pourquoi renoncerais-je à mes antennes sensibles ou à ma patte féminine supplémentaire ?

Philosopher avec un policier devant le Café del Picador, dans une voiture qui sentait le tabac. Buñuel aurait pu avoir la même idée, sauf qu’au lieu d’un policier il aurait peut-être mis un cardinal.

Le fait qu’il soit vieux et seul ne m’inspirait aucune compassion. On aurait dit un personnage de Dostoïevski, peut-être innocent, mais fourbe et mesquin. J’essayai de ne pas me laisser influencer par cette impression littéraire.

– Vous croyez trop à la psychologie, inspectrice. J’ai toujours pensé que c’était l’affaire des classes dirigeantes. Pour les gens du peuple, il n’y a pas d’autre psychologie que celle de leur propre intérêt, le plus élémentaire et le plus matériel.

 

Image : de la série télévisée.

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