Gaudé, Laurent « Salina, les trois exils » (2018)

Gaudé, Laurent « Salina, les trois exils » (2018)

Auteur : Laurent Gaudé, né le 6 juillet 1972 dans le 14e arrondissement de Paris, est un écrivain français, qui a obtenu le prix Goncourt des lycéens et le prix des libraires avec La Mort du roi Tsongor en 2002, puis le prix Goncourt pour son roman Le Soleil des Scorta, en 2004. En 2019, il reçoit le prix du livre européen pour Nous, l’Europe banquet des peuples.

Ses romans : Cris, 2001 – La Mort du roi Tsongor, 2002 ( prix Goncourt des lycéens et le prix des libraires) – Le Soleil des Scorta, 2004 (prix Goncourt ;  prix du jury Jean-Giono) – Eldorado, 2006 – La Porte des Enfers, 2008 – Ouragan, 2010 – Pour seul cortège, 2012 – Danser les ombres, 2015 – Écoutez nos défaites, 2016 – Salina, les trois exils, 2018 – Paris, mille vies, 2020 – Chien 51, 2022
Recueils de nouvelles : Dans la nuit Mozambique, 2007 (recueil de quatre nouvelles) – Les Oliviers du Négus, 2011 ( recueil de quatre nouvelles) – Essai : Nous, l’Europe banquet des peuples, 2018 – La dernière nuit du monde, 2021
Théâtre : Caillasses (2012) Médée Kali – Sodome, ma douce (2019)

(les titres en italique non cliquables ont été lus avant la création du blog)

Actes Sud – octobre 2018 – 160 pages – ː le Grand prix du roman métis, le prix du roman métis des lecteurs et enfin le prix du roman métis des lycéens

Résumé : Qui dira l’histoire de Salina, la mère aux trois fils, la femme aux trois exils, l’enfant abandonnée aux larmes de sel ? Elle fut recueillie par Mamambala et élevée comme sa fille dans un clan qui jamais ne la vit autrement qu’étrangère et qui voulut la soumettre. Au soir de son existence, c’est son dernier fils qui raconte ce qu’elle a été, afin que la mort lui offre le repos que la vie lui a défendu, afin que le récit devienne légende.

Renouant avec la veine mythique et archaïque de La Mort du roi Tsongor, Laurent Gaudé écrit la geste douloureuse d’une héroïne lumineuse, puissante et sauvage, qui prit l’amour pour un dû et la vengeance pour une raison de vivre.

Mon avis :

Quel plaisir toujours renouvelé de lire la prose poétique de cet écrivain conteur. A la manière des griots, ces conteurs traditionnels africains, l’auteur nous conte, par la voix de son dernier fils, la vie de Salina.
Tout commence par l’arrivée d’un cavalier solitaire, dans un environnement écrasé par le soleil… Petite réminiscence d’une arrivée d’un cavalier, sous le soleil des Pouilles, dans un village écrasé par le soleil… vous vous souvenez ? Sous le soleil des Scorta ? Sauf que là, ce n’est pas l’Italie, c’est l’Afrique, le cavalier est sur un cheval et non sur un âne, et il ne reste pas… il dépose un enfant et s’en va…
L’enfant, c’est la petite qui grandira sous le nom de Salina… et c’est son premier exil…
Dans ce roman, cette enfant deviendra femme mais sera toujours l’étrangère. Elle aura trois fils : Mumuyé, l’enfant détesté ; Koura Kumba, l’enfant colère, l’enfant vengeance et Malaka..
Lors de son dernier voyage, son fils l’accompagne et nous raconte sa vie, son existence dominé par les cris qu’elle garde à l’intérieur d’elle-même et qui la rongent. Maltraitée, chassée, bannie, elle traverse son existence en errante jusqu’aux portes de l’île cimetière … Mais sa vie lui ouvrira-t-elle les portes de cette île afin qu’elle puisse enfin vivre en paix, dans l’au-delà.
Un livre magnifique, douloureux, à la gloire de la femme, qui vécu un amour impossible et ne courba jamais la tête. C’est dur, c’est un drame, c’est étouffant, pougnant, révoltant, mais c’est magique…
Alors je vous invite à une traversée du désert et à une promenade en barque, en compagnie de Malaka et Salina…

Extraits :

Il ne faut pas prendre le risque d’accepter un enfant dont on ne sait s’il n’apportera pas quelque malédiction. Ne pas agir. Ne rien faire. Rester là jusqu’à ce que l’enfant s’épuise, sombre dans le sommeil, s’affaiblisse et meure. Le soleil tape fort : cela ne tardera pas. Ce ne sont pas eux qui le tuent, c’est le vent, le soleil, la poussière. Ce sont ceux qui l’ont mis au monde et ne sont plus là pour veiller sur lui.

“Par le sel de ces larmes dont tu as couvert la terre, je t’appelle Salina.”

Salina, vieillie par une vie entière de poussière, de combats, d’errances et de rage.

Chacun cherche des yeux celui qui manque. Elle pourrait mourir dans ces instants d’attente qui sont comme des vies entières.

Elle ne lui a encore rien demandé. C’est d’abord aux corps de se retrouver, ensuite seulement les bouches parleront. Pour l’heure, ils doivent juste marcher côte à côte, ajuster leur pas, retrouver leur complicité silencieuse.

Il ne parle plus. Avec qui le ferait-il ? Il est seul dans un monde qui l’ignore. Et il essaie de se souvenir de sa voix à elle, Salina, sa voix cassée, qui lui a si souvent raconté les histoires de l’origine, qui a si souvent charrié dans ses récits les combats, les guerres, sa voix qui l’enveloppait dans les nuits d’étoiles, lorsqu’ils n’étaient que deux, sa voix qui s’est maintenant retirée du monde, comme une mer lassée du sable.

Lorsque j’étais jeune, sur les marchés des caravansérails, j’ai entendu parler des « enfants-malheur ». Dans le royaume des lacs, il y a, paraît-il, cette tradition pour calmer la voracité du mauvais destin : choisir dix enfants du clan et les perdre. On ne les tue pas, on les envoie de par le monde, chacun accompagné d’un homme chargé de les déposer le plus loin possible.

Ce n’est plus une scène perdue dans le passé, mais une constellation de souvenirs, et c’est comme de mettre mes pas dans les siens.

Elle est sous les eaux, à jamais esprit de torrent.

Ce que les hommes veulent transmettre doit être donné de leur vivant. Ce qu’ils possèdent le jour de leur mort est brûlé pour qu’ils l’emportent avec eux.

À cet instant, l’émotion le saisit : il comprend que durant sa vie de mère, elle a tout fait pour lui épargner les cris. Elle les a tordus en elle, les a fait taire, les a ravalés au fond de sa gorge pour ne pas les lui transmettre. Elle a lutté pour que son fils, jamais, ne sache ce que c’est que de les avoir pour seuls compagnons.

 

One Reply to “Gaudé, Laurent « Salina, les trois exils » (2018)”

  1. Lu en 2019… Contente de voir que tu l’as apprécié 😉
    Voici ce que j’avais noté dans mon petit carnet de lectures.
    ————————————————————————-
    « Quel roman magnifique ! L’histoire de Salina, faite de peu de bonheurs et de beaucoup de malheurs, m’a emportée. Chaque phrase semble ciselée, chaque mot est choisi avec soin.
    On se retrouve dans une contrée lointaine, une époque ancienne, comme pour « La mort du roi Tsongor ». Et j’ai pensé aux caravanes des Touaregs, aux longues pistes menant du désert vers l’océan…
    Encore touchée en plein cœur par Laurent Gaudé, tant pour la forme que pour le fond ! ».

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