Sáinz de la Maza , Aro « Le Bourreau de Gaudí » (2014) 768 pages

Sáinz de la Maza , Aro « Le Bourreau de Gaudí » (2014) 768 pages

Auteur : Aro Sáinz de la Maza est né à Barcelone en 1959. Diplômé de l’Université de Barcelone, il écrit des romans, des livres d’histoire, des essais et est co-auteur de compilations de contes populaires. Il est éditeur et traducteur. « Le Bourreau de Gaudí«  (El asesino de la Pedrera, 2012) est sa première incursion dans le genre policier, et a valu à son auteur le Prix international RBA du roman noir. Dans « Les Muselés » (El ángulo muerto, 2016), on retrouve l’inspecteur Milo Malart. On le retrouve également dans « Docile » (Dócil) en 2021.

Romans : Les enquêtes de Milo Malart : Le Bourreau de Gaudí (2014)  – Les Muselés (2016) – Docile (2021)

Série Milo Malart : « Le Bourreau de Gaudí » – « Les Muselés » – « Docile » – « Malart »

Actes Sud,03.09.2014 – 672 pages / Babel Noir 01.11.2017, 768 pages (traduit de l’espagnol par Serge Mestre)

Résumé :

Un corps en flammes est retrouvé pendu au balcon d’un des monuments les plus emblématiques de Barcelone, La Pedrera, d’Antonio Gaudí. Bien mauvaise publicité pour la ville à quelques semaines de la consécration par le pape de la Sagrada Familia. Les services policiers sont aux abois et réintègrent l’électron libre Milo Malart, révoqué par mesure disciplinaire. Tandis qu’il enquête en binôme avec une jeune sous-inspectrice, qui semble tout droit sortie d’une série américaine à succès, les meurtres s’enchaînent selon un rituel immuable : toujours des membres de l’oligarchie barcelonaise, férocement mutilés au sein des édifices du célèbre architecte qui fait la gloire de la ville. Barcelone a vendu son âme au diable ; elle doit payer le prix de sa magnificence.

La chasse à l’homme est ouverte, mais qui cherche-t-on ? Un prédateur sadique assoiffé de vengeance ou la victime d’un système politique arrogant et corrompu, qui sacrifie les plus fragiles au faste tapageur de la ville et à sa manne touristique? Pour répondre, il faut d’abord décrypter le symbolisme ésotérique des œuvres de Gaudí, aux formes proprement hallucinantes.

Dans une intrigue magistralement tenue jusqu’à la dernière page, orchestrant pressions politiques, énigmes maçonniques, mœurs dissolues et presse à sensation, « Le Bourreau de Gaudí » plante l’envers du décor d’une cité unanimement saluée pour sa beauté et sa prouesse architecturale. Une “Ville des prodiges” terriblement moderne et effroyablement archaïque.

Mon avis :
J’avais déjà un aperçu du caractère de Milo Malart, car j’avais commencé la série par le tome 2 « Les Muselés« . Ce fut un plaisir de « faire sa connaissance » et de le connaitre mieux.
Coup de foudre pour ce livre, dont le vrai personnage principal est la Ville de Barcelone et son emblématique Gaudí. Et après la ville, il y a l’inspecteur Milo Malart, un personnage torturé et extrêmement attachant. Il ne fonctionne pas comme un policier ordinaire : tout est dans l’émotion, l’intuition et il navigue toujours en marge de la légalité. Il a de plus un caractère trempé et impossible qui se fait des ennemis partout ou il passe. Mais quand il a des amis, ils sont fidèles et très attachés à lui.
Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il va en avoir besoin de ses amis. Il traverse une mauvaise passe, il a été suspendu et est en attente de son procès, sans salaire, en instance de divorce…
Justement une de ses amies fidèles, la juge Cabot le fait réintégrer suite à un meurtre atroce. Un homme a été retrouvé brulé vif et suspendu à la Predera, endroit emblématique s’il en est de Barcelone. Et pour enquêter sur ce meurtre hors du commun, il faut un enquêteur hors-normes. Deux conditions à sa réintégration : accepter la présence à ses cotes de la sous-inspectrice Rebecca Mercader et accepter d’aller voir une psy

Le moins que l’on puisse dire c’est que la route va être longue et semée d’embuches pour parvenir à démasquer l’auteur de ce crime atroce et que les dessous de Barcelone qui vont nous être révélés sont loin d’être jolis jolis. Nombreuses sont les problématiques évoquées : suicide, symbolisme de la maçonnerie, fake-news, manipulation par les médias, corruption, maltraitance des jeunes, corruption de mineurs, vengeance, politique urbaine, inégalités sociales…

Je ne vais pas entrer davantage dans la description de ce livre car je m’en voudrais de gâcher le suspense ; suspense qui va durer jusqu’à la dernière page. J’ai été mise sous pression jusqu’au bout… Pistes et fausses pistes, angoisse, course contre la montre du début à la fin … Pour moi un très grand polar qui m’a tenue en haleine tout au long de ses 750 pages qui ont tourné à la vitesse grand V…

Ayant eu le plaisir de rencontrer l’auteur au Salon du Livre de Genève j’ai du mal à imaginer un homme aussi charmant en train d’écrire des scènes aussi violentes…

Décidemment, il se confirme de plus en plus que j’aime les auteurs catalans : Carlos Ruiz Zafón, Jaume Cabré i Fabré, Aro Sáinz de la Maza, Eduardo Mendoza, Javier Cercas,   sans oublier mon auteur contemporain préféré, Víctor del Árbol

Extraits :

La chance, chacun se la fabrique

Tu es un expert pour relier les éléments entre eux, pour découvrir les détails qui passent inaperçus aux yeux des autres. Tu distingues toujours clairement la part d’ombre de chaque individu impliqué et, dans ce cas-ci, même si je devais ensuite ravaler mes mots avec des pommes de terre, il est absolument indispensable pour nous de compter sur quelqu’un qui ne croit pas du tout en l’être humain.

Les inscriptions avaient fait démarrer en lui la machine à souvenirs, elles avaient ramené dans son esprit des épisodes qu’il pensait avoir archivés au plus profond de sa mémoire. Les revivre était une croix qui lui cassait le moral. Ils remontaient à la surface sans prévenir et il n’avait pas d’autre solution que de serrer les poings en espérant les effacer de sa tête. Non, oublier était un luxe qui n’était pas à la portée de tout le monde. Un luxe qui était au-delà de la volonté. Et ne pas y parvenir était une malédiction.

Décor, théâtre, représentation. On y est. Tout ça me semble très recherché tout simplement parce qu’en réalité ça l’est : théâtral.

Depuis la mer, le paysage de Barcelone était différent, et sa beauté, hypnotique.
Loin de la terre ferme, la capitale catalane lui semblait être une ville attachante, chaleureuse. Elle réveillait en lui un sentiment de tendresse. C’était un environnement vital pour lui, comme faisant partie de sa famille, et il pouvait donc se permettre de la juger avec sévérité. Et ce qu’il en pensait était qu’elle avait perdu son âme au cours de ces vingt dernières années. Elle avait suivi le modèle de toutes les autres agglomérations touristiques, de toutes ces villes qui avaient renoncé à leur identité pour devenir de simples destinations de tour-opérateurs. Ses gestionnaires l’avaient transformée en une gigantesque attraction pour visiteurs et le prix à payer pour ce changement n’avait été autre que ces citoyens qui, à grands coups de pelle mécanique, avaient été dépossédés de leur bien pour construire d’immenses places désertes et des hôtels cinq étoiles.

Quel est le bijou le plus apprécié de la ville, celui qui la distingue de toutes les autres ? Gaudí. C’est son principal attrait. Les grands symboles sont aussi les meilleures cibles. Pourriez-vous me dire quel est le plus grand symbole de Barcelone ? Gaudí à nouveau.

Il arrive que la divergence fasse la lumière sur le problème.

— Moi je suis la psychologue et ici, c’est ma consultation.
— Et moi, un des policiers qui arrivent à tout résoudre, sauf leurs propres problèmes.

Comme vous le savez, l’origine de la maçonnerie remonte aux temps anciens ; elle vient des corporations des constructeurs de cathédrales médiévales, au XIIIe siècle. Les Anglais nommaient free stone mason le maçon qui s’occupait de la pierre de décoration, pour le différencier du rough mason qui travaillait la pierre brute. C’est de là que vient le terme “franc-maçon”, de free-mason, un mot qui allait finir par désigner tous les membres de la maçonnerie.

— Tu perçois le genre d’atmosphère qui t’entoure et tu t’en imprègnes, poursuivit-elle. J’ai trouvé : tu es un caméléon ! Tu t’adaptes en fonction de ce que ton radar détecte. J’aimerais savoir comment tu es en réalité, au fond de toi.

“Je ne cherche pas les réponses, je tente de comprendre les questions.”

Et dis-moi, surtout ne cherche pas, occupe-toi juste de trouver. Il est aussi important de voir ce qui est là, que ce qui n’y est pas. Si tu t’attends à trouver quelque chose de précis, alors tu ne verras pas le reste.

[…] [vous ne croyez pas à la pensée positive n’est-ce pas ?
— Si, j’y crois, mais je crois également au réalisme, répondit le bibliothécaire en s’asseyant à ses côtés. L’idée est de finir le travail, pas que le travail en finisse avec l’individu. La passion est une bonne chose, mais pas lorsqu’elle se transforme en obsession. Le secret est de ne jamais perdre le contrôle de soi.

— Dans le fond, on est juste une émotion, on est dépendants d’elle comme si c’était une drogue, dit-il d’une voix monotone. On est une émotion pour certaines choses, certaines personnes, pour une ville, poursuivit-il en se tournant lentement vers elle.

“Le vrai mystère du monde est le visible, non l’invisible”, Oscar Wilde

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