Boyne, John « Le syndrome du canal carpien » (2022)
Auteur : Né à Dublin, (Irlande), le 30 avril 1971, John Boyne étudie la littérature anglaise au Trinity College de Dublin et l’écriture créative à l’université d’East Anglia, située à Norwich, où il reçoit le prix Curtis-Brown.
Romans traduits :
La Maison Ipatiev, L’Archipel, 2012 (Rééditions sous les titres Ne m’appelle plus Anastasia – La Maison des intentions particulières ) – Le Secret de Tristan Sadler (2015) – Les Fureurs invisibles du cœur(2018) – L’audacieux Monsieur Swift (2020) – Il n’est pire aveugle (2021) – Le syndrome du canal carpien (2022)
JC Lattès – 30.03.2022 – 477 pages (« The Echo Chamber » traduit par Sophie Aslanides)
Résumé :
Quelle invention merveilleuse que le téléphone portable :188 grammes de métal, de verre et de plastique enveloppés dans un écrin brillant aux lignes pures, à la fois porte ouverte sur d’autres mondes et arme perfide entre les mains des imprudents.
Les Cleverley sont britanniques, célèbres et riches. Ils n’ont aucune conscience de la fragilité de leurs privilèges, alors qu’ils ne sont qu’à un tweet du désastre. George, le père, est un animateur de télévision, – un trésor national (selon sa propre expression) –, sa femme Beverley, une romancière reconnue (pas autant qu’elle ne le souhaiterait), et les enfants, Nelson, Elizabeth et Achille, frôlent tous d’inéluctables catastrophes.
Ensemble, ils découvrent les affres de la vie moderne, où les réputations sont détruites en un clin d’œil, et ils apprennent combien le monde se révèle impitoyable lorsque l’on s’écarte du chemin tout tracé.
Avec l’humour unique qui le caractérise, John Boyne dresse un portrait irrésistible de notre époque et de ses travers.
Mon avis :
Je découvre l’univers de cet auteur et le moins qu’on puisse dire c’est que j’ai beaucoup souri en lisant les aventures de la famille Cleverley : il y a Georges, le père, Beverley, la mère, et les jeunes : Elizabeth, Nelson et Achille. Et autour d’eux gravite un petit monde… l’amant de la mère, la prête- plume de la mère, la maitresse du père, sans oublier Ustym Karmaliuk, la tortue de l’amant (qui porte le nom du « Robin des Bois et héros populaire ukrainien de la fin du 18ème et début du 19ème siècle. Et le mal de notre époque : l’abus des réseaux et de l’informatique en général qui ravage le poignet et les trois doigts des accros aux outils informatiques (ordinateur, téléphone portable). Quand on vous dit que la connexion informatique est le mal du siècle… En plus de lobotomiser les esprits, il détraque le corps et les relations humaines…
C’est caustique, humoristique, interpelant. Cela sort des sentiers battus… remet en question ce qu’on appelle une certaine conception du progrès… le manque de communication, la déresponsabilisation des personnes qui se cachent derrière des pseudos pour agresser, la satisfaction pour de mauvaises raisons. Non la vie ce n’est pas les réseaux sociaux et le fait d’en être bannis ne signifie pas la mort, l’effacement de la planète, l’anéantissement total de la personne !
Dès qu’il pète les plombs ou utilise un terme maladroit, le père Georges est pris pour cible : transphobe, raciste, contre les handicapés, antisémite… l’homme à abattre ; plus il essaie de s’expliquer, plus il s’enferre et transforme une erreur en un drame.
J’ai adoré son humour, sa façon de dénoncer, sa manière d’écrire – ses inventions linguistiques – et je vais me précipiter sur ses ouvrages précédents en espérant qu’ils soient de la même veine !
Extraits :
son mariage s’était usé ces dernières années, l’essentiel de leur communication se déroulant sur WhatsApp plutôt que face à face
Les vieux croûtons qui accusent l’homme noir. C’est toujours la faute du Noir, hein ? Jamais du Blanc !
Intuitivement, il comprenait les difficultés des démunis, insistait-il, et il était important que d’autres réalisent à quel point il ressentait ces choses, c’est pourquoi il documentait le moindre de ses actes charitables sur Facebook, Twitter, Instagram, Tumblr, Snapchat, Pinterest, Reddit, YouTube, Flickr et TikTok, et il tenait à jour un relevé précis du nombre de likes que recevait chacune de ses publications et de l’augmentation mensuelle du nombre de ses abonnés.
— Tu choises ? s’enquit George en fronçant les sourcils. Je ne comprends pas.
— Je choise, répéta-t-elle. Tu sais, comme tu veux, tu choises, et comme je veux, je choise.
On est en 2021. Les gens sont tellement pris dans leur vie que la seule manière de rencontrer des gens, c’est en ligne. Je suis sûr que si je vous approchais comme ça au hasard dans un bar et que je me mettais à vous parler, vous penseriez que je suis un type un peu fou, qui n’a pas les moyens de sa politique.
— Je suppose que, les yeux dans les yeux, vous allez évoquer les grands héros populaires ukrainiens et chanter des ballades sur la pauvre Odessa déchirée par la guerre.
« Pourquoi tu poses cette question, d’ailleurs ? » dit-elle en lâchant un instant son portable pour masser ses doigts de la main droite à l’aide de la gauche. Elle commençait à se demander avec inquiétude si elle ne développait pas un syndrome du canal carpien dans le pouce, qui la faisait souffrir constamment.
« Et laissez-moi vous dire, du plus profond de mon cœur, à quel point je suis reconnaissant que vous ayez été si nombreux à m’ouvrir les yeux sur l’affreux être humain que je suis. Je vous remercie. Je vous remercie tous. »
Ces gens sont des crétins, Sophie, tous autant qu’ils sont, avec leur faux nom, leur faux profil, ils crient dans le vide pour la seule raison que personne ne les écoute dans le vrai monde. Mais Twitter m’écoutera ! se disent-ils. Twitter entendra ma douleur ! Eh bien, F… Twitter, Sophie ! F… Twitter ! Je ne dirai pas le mot entier, car nous sommes sur le plateau des Six O’Clock News et il y a peut-être des enfants qui nous regardent, mais si nous étions dans Newsnight, je ne me gênerais pas. F… Twitter !
Je ne suis qu’un vieil homme blanc hétéro, alors je dois forcément être l’ennemi, n’est-ce pas ?
— Je croyais que vous aviez dit que vous étiez pédiatre. Ce n’est pas un docteur des pieds ?
« Évidemment, on a des milliers de livres à la maison, à cause de la profession de mes parents, mais je crois que je ne les ai jamais vus en train de lire. Une jeune femme m’a dit récemment qu’elle trouve que les membres de ma famille ont tout le temps les yeux rivés sur leur portable.
— C’est un terme que nous utilisons pour exprimer qui nous sommes.
— Une étiquette, donc.
— C’est beaucoup moins étiquetant, voyez-vous.
— Impossible, puisque étiquetant n’est pas un vrai mot.
— Avant de partager tout notre travail sur les réseaux sociaux. Vous savez combien de nouveaux followers on gagne chaque fois qu’on va faire du bénévolat à la soupe populaire ?
« J’en ai entendu des idioties, ces derniers jours, mais celle-là remporte la palme, vraiment. Je ne sais pas ce qui est pire, que vous pensiez avoir le pouvoir ou le droit moral d’annuler un autre être humain, comme vous dites, ou que vous pensiez que les gens normaux, sensés, devraient se plier à cette bêtise ? Annulée ! C’est une véritable agression pour l’oreille d’entendre un mot pareil prononcé à haute voix
— Ils ne comprendraient pas, de toute façon. Le fromage est tombé de leur cracker il y a longtemps.
— Au moins, vous dites noir, dit la femme avec un accent trinidadien marqué. Et pas homme de couleur. Qui dit homme de couleur, aujourd’hui ? Vous pensez que Dieu a pris des toiles blanches et qu’Il a utilisé Ses crayons de couleur avant de nous mettre dans le ventre de nos mères ?
La principale différence entre personnes de couleur, coloured people en anglais, et personnes non blanches, ou people of colour, est liée au contexte et au domaine d’application. Coloured est utilisé à l’origine dans le sud des États-Unis, sur des panneaux dans les autobus, les restaurants et les toilettes, mais toujours dans un contexte d’exclusion et de racisme. No Colored Allowed, par exemple. Dans les années 1970, l’expression people of color a été introduite aux États-Unis, mais il a fallu de nombreuses années pour que l’usage devienne largement répandu en Europe. Une des raisons pour lesquelles people of colour est entré dans l’usage était qu’elle recouvrait toutes les personnes non blanches. Par exemple, les Latinos aux États-Unis ne sont pas considérés comme blancs, mais sont-ils noirs ? Ils souffrent souvent du même racisme et des mêmes exclusions mais il n’est pas correct de les appeler Noirs. Même si, ceci dit, l’expression personnes non blanches n’est pas universellement approuvée. Elle part bien entendu de l’hypothèse que blanc est la valeur par défaut et que toute autre teinte de peau diverge de cette norme. Elle homogénéise l’expérience de ceux qui ne sont pas blancs, qui est tout sauf homogène.
Il attrapa son portable et le brandit. « 6 865 followers. Je ne sors avec personne en dessous de six chiffres, même pas cinq. Désolée, chérie, mais le fait est que vous n’avez pas la moindre importance. »
C’est probablement déjà partout sur internet à l’heure qu’il est, alors, vrai ou faux, cela acquiert automatiquement le statut de fait.
2 Replies to “Boyne, John « Le syndrome du canal carpien » (2022)”
Ce roman m’a emballée! Caustique et hilarant, il en dit long sur nos comportements et notre société.! Décidément John Boyne me plaît bien . J’avais adoré » Les fureurs invisibles du coeur » J’arraque son dernier roman: »la vie en fuite » .
J’attaque!