Whitehead, Colson « Harlem Shuffle » (RLH2023) – 432 pages

Whitehead, Colson « Harlem Shuffle » (RLH2023) – 432 pages

Auteur: Colson Whitehead (son nom complet est Arch Colson Chipp Whitehead), né le 6 novembre 1969 à New York, est un romancier américain. Colson Whitehead fréquente la Trinity School de New York, puis est diplômé de l’université Harvard en 1991. Journaliste, ses travaux paraissent dans de nombreuses publications, dont le The New York Times, Salon et The Village Voice. Il est lauréat du Prix Pulitzer de littérature 2017 pour son roman « Underground Railroad« , déjà élu meilleur roman de l’année 2016 par la presse américaine.
En 2020 il publie « Nickel Boys« , qui obtient également le Prix Pulitzer de littérature. Il revient en 2023 avec « Harlem Shuffle » (premier tome d’une trilogie). En 2023, réédition et nouvelle traduction de son premier roman « L’Intuitionniste » sorti en 1999.

Albin Michel – Collection Terres d’Amérique – 04.01.2023– 432 pages – Traduit par Charles Recoursé. 

Résumé :
Petites arnaques, embrouilles et lutte des classes… La fresque irrésistible du Harlem des années 1960.
Époux aimant, père de famille attentionné et fils d’un homme de main lié à la pègre locale, Ray Carney, vendeur de meubles et d’électroménager à New York sur la 125e Rue, « n’est pas un voyou, tout juste un peu filou ». Jusqu’à ce que son cousin lui propose de cambrioler le célèbre Hôtel Theresa, surnommé le Waldorf de Harlem…
Chink Montague, habile à manier le coupe-chou, Pepper, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, Miami Joe, gangster tout de violet vêtu, et autres flics véreux ou pornographes pyromanes composent le paysage de ce roman féroce et drôle. Mais son personnage principal est Harlem, haut lieu de la lutte pour les droits civiques, où la mort d’un adolescent noir, abattu par un policier blanc, déclencha en 1964 des émeutes préfigurant celles qui ont eu lieu à la mort de George Floyd.
Avec Harlem Shuffle, qui revendique l’héritage de Chester Himes et Donald Westlake, Colson Whitehead se réinvente une fois encore en détournant les codes du roman noir.

Mon avis: Une fois encore j’ai suivi les recommandations en matière de lecture de Barack Obama et cette lecture n’a pas été le coup de coeur espéré mais il  m’a beaucoup intéressé et je sais déjà que je vais poursuivre la trilogie : il m’a manqué l’empathie avec les personnages, mais au fil des pages, j’ai ressenti de la sympathie pour Carney… espérons que cela va continuer
Le sujet : Harlem des années 60. Car clairement le personnage principal, c’est Harlem. Et oui Harlem vit et vibre dans toute sa noirceur dans le roman. L’auteur a fait une magnifique peinture de ce quartier et de ses habitants, de l’ambiance : un monde de combines et de petites frappes, de magouilles et de trafic d’influence, de braquages… Peut-être l’absence de femmes fortes est-elle pour quelque chose dans mon manque de véritable enthousiasme. Et puis, après les deux précédents, je m’attendais à autre chose, qui me prenne davantage par le bout du coeur…
Un roman très noir qui aborde une fois de plus des questions très importantes : le racisme, la corruption, la hiérarchie dans le milieu de la pègre, les rapports avec la police, le racket, la drogue, la corruption, la construction de la ville de New-York.
Le personnage principal est un marchand de meubles, Carney, fils d’un escroc et qui est très attaché à son cousin, une petite frappe de peu d’envergure. Carvey mène une sorte de double vie : en façade, un magasin de meuble , une femme et deux enfants. Et derrière une activité de recel qui va évoluer en braquage… moins reluisant..
Dans ce roman on plonge dans le monde qui gravite à Harlem : un monde dans lequel ce sont les noirs qui gèrent le commerce et dans lequel la fracture noirs/blancs est très réelle, y compris dans le monde du commerce. C’est aussi une plongée, plus large, dans le New-York des années 60, avec les émeutes raciales qui ont secoué la ville, la fracture noirs/blancs.
D’ailleurs tout  fonctionne par opposition dans ce roman : la face cachée des personnages, la vie des blancs et celle des noirs, le quartier de Harlem par opposition au reste de New-York, la police et la corruption, les Noirs du Nord et les Noirs du Sud… Un roman sur les contrastes, sur la face cachée des chose, des gens…
Le souci du détail et du contexte historique a suscité mon intérêt ; j’ai beaucoup aimé en apprendre davantage sur le design de ces années. Certes il y a le monde de la criminalité qui ne me correspond pas trop à mes goûts mais l’intérêt du contexte historique est indéniable. Mais j’ai trouvé assez lent et pas assez rythmé par moments…
Je remercie les Editions Albin-Michel de m’avoir offert l’opportunité de découvrir une autre facette du talent de cet auteur que je vais continuer à découvrir avec interêt.

Précision : Harlem Shuffle est une chanson de R&B écrite et enregistrée à l’origine par le duo Bob & Earl en 1963. Elle est également connue pour sa reprise par les Rolling Stones sur l’album Dirty Work en 1986 qui rencontre un important succès à sa sortie.

Extraits:

Il avait poussé de quinze centimètres pendant son année de première, comme si son corps comprenait qu’il allait devoir se hisser à la hauteur de ses responsabilités d’adulte dans le vieil appartement de la 127e Rue, sans mère et avec un père toujours en vadrouille ou en train de cuver. 

On vient tous de quelque part, mais ce qui compte c’est la destination qu’on se choisit.

« J’ai un peu bossé, je me suis un peu maqué. » « Bosser », pour lui, c’était une combine quelconque, et « se maquer », ça voulait dire fréquenter une femme dotée d’un emploi convenable et d’une nature confiante, du genre pas trop inquisitrice.

Il avait remarqué que ces Noirs du Nord traitaient ceux qui venaient du Sud avec une condescendance insidieuse qui le faisait enrager.

Dans le fond, personne ne s’intéresse vraiment aux autres, on a bien assez à faire avec ses propres soucis.

Les Noirs ont toujours survécu aux conditions les plus terribles. Autrement, nous aurions été exterminés depuis longtemps par l’homme blanc.

Au pays, il avait deux ennemis fidèles : les flics et la poisse. À l’armée, ils prirent l’aspect de la hiérarchie, dont les ordres aberrants conspiraient à sa perte, et de la jungle aveugle et assoiffée de sang. 

Quand vous voulez savoir ce qui se passe, demandez aux ivrognes du quartier. Ils voient tout et l’alcool conserve les informations, qui pourront toujours servir plus tard. 

Malgré son jeune âge durant la campagne Buy Where You Can Work, qui incitait les Noirs à boycotter les magasins n’employant que du personnel blanc, il devinait déjà combien il était important de persévérer.

Il avait bossé aux mœurs, autant dire qu’il avait un doctorat en sciences de l’extorsion. Des liens avec la mafia, sans aucun doute.

Les films projetés au Maharaja mettaient en scène de jeunes Blancs violents, des délinquants qui roulaient dans des bagnoles trafiquées. Il n’y avait pas de films sur leurs équivalents noirs de Harlem, pourtant ceux-ci existaient bel et bien et ils vomissaient l’ordre établi. 

Difficile de dire qui était accro à quoi, qui préférait quoi, mais la moitié de la ville était sous l’emprise de quelque chose quand on savait ouvrir les yeux.

Des endroits qu’il n’avait jamais remarqués étaient soudain révélés, comme ces grottes qui se découvrent à marée basse et s’enfoncent dans l’obscurité. Pourtant, elles ont toujours été là, offrant un chemin caché vers les profondeurs. Cette tournée en compagnie du flic menait Carney dans des lieux qu’il voyait tous les jours, des établissements à deux pas du sien devant lesquels il passait depuis qu’il était enfant et qui n’étaient en réalité que des façades. Ces portes constituaient les entrées d’une ville différente – ou plutôt les différentes entrées d’une immense ville secrète. Proche de vous à tout instant, adjacente aux choses que vous connaissez, juste en dessous. Il suffit de savoir où chercher.

Même un millionnaire ne pourra jamais s’offrir un meilleur café… Par contre, un millionnaire pouvait s’offrir tout le reste. Les flics, la mairie et des brutes anonymes à ses ordres. 

La ville noire et la ville blanche : indépendantes quoique reliées par des voies ferrées, elles se chevauchaient et s’ignoraient à la fois.

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