Bilal, Parker « La cité des chacals » (2020) – 464 pages (Série les enquêtes de Makana tome 05)
Auteur : Parker Bilal est le pseudonyme de Jamal Mahjoub, Anglo-Soudanais également auteur de six romans non policiers. Né à Londres et diplômé en géologie de l’université de Sheffield, il a vécu au Caire, au Soudan et au Danemark et à Barcelone avant de s’établir à Amsterdam.
Dans un article du journal suisse « Le Temps » on nous le présente ainsi : Les polars de Parker Bilal ont le Caire pour décor et l’Egypte pour théâtre. Une rareté. Portés par un souffle lyrique et une écriture baroque, ses livres nous emmènent dans un tourbillon de sensations, de rebondissements rocambolesques et d’émotions. Ils nous font sentir la ville, son sol, sa poussière, son brouhaha, son histoire et ses tragédies. A travers le sympathique et assez mystérieux détective Makana – un ex-officier de la police soudanaise en exil dans la capitale égyptienne et qui vit sur une « awama », une sorte de péniche déglinguée amarrée au bord du Nil – ils nous font sauter de toit en toit à la poursuite d’un coupable ou nous invitent dans une incroyable gargote pour déguster rognons frits, saucisses grillées, kebab et côtes d’agneaux.
Les enquêtes de Makana – (la 5ème enquête de Makana, détective privé pas comme les autres)
Les enquêtes de Makana : (il prévoit une dizaine de tomes, entre 2001 (le 11 septembre) et 2011, année des printemps arabes et de la chute de Moubarak) : Les écailles d’or – Meurtres rituels à Imbaba – Les ombres du désert – Le Caire, toile de fond – La cité des chacals –
Gallimard – 13.02.2020 – 464 pages / Folio policier – 18.02.2021 – 464 pages (Traduit de l’anglais par Gérard de Chergé)
Résumé :
Le filet d’un pêcheur sur le Nil a remonté une tête coupée. A en juger par les scarifications sur le front, c’est celle d’un Dinka de la région de Bor : un Soudanais du Sud. Encore un réfugié, pense la police cairote qui s’en désintéresse. Car ils sont plus de deux mille, entassés sur une place de Mohandessin, qui se plaignent de leurs conditions de vie. Ici, le roman rejoint l’Histoire : on est en 2005, à la veille des émeutes de décembre.
Exilé soudanais mal intégré dans la société du Caire, le privé Makana se sent particulièrement concerné. Mais il doit privilégier la mission dont l’a chargé Hossam Hafiz, propriétaire du restaurant les jardins de Verdi : retrouver son fils étudiant, disparu depuis trois semaines. Le problème, c’est que d’autres jeunes manquent à l’appel…
Mon avis : C’est un roman noir, politique, sur l’Egypte actuelle. Le thème principal est l’exil. Celui des soudanais qui affluente en Egypte. Et le clivage entre les Soudanais du Sud et les Soudanais du Nord (qui ne sont pas de la même religion). Sans oublier les tensions entre les diverses ethnies des Saudanais du Sud
En plus d’aborder ces thèmes, il y a l’enquête.. ou devrais-je dire les enquêtes.. Makana se retrouve en train d’enquêter sur deux disparitions : un jeune étudiant et une tête sans corps qui doit bien appartenir à quelqu’un… Une tête retrouvée dans le Nil près du bateau sur lequel il habite; va s’y ajouter le corps d’un autre jeune garçon, retrouvé dans une camionnette. L’enquête sur la disparition du jeune étudiant lui est confiée par le père du jeune homme, Hossam Hafiz, propriétaire d’un restaurant. Les autres enquêtes, qui m’intéressent pas la police locale, qui n’a pas de temps ni l’envie de se pencher sur les disparitions ou morts d’immigrés soudanais – surtout des Soudanais du Sud – lui sont plus ou moins confiées par un policier cairote.
Uu roman où l’on ne s’ennuie pas un seul instant, qui aborde des sujets importants, comme le problème des immigrés soudanais, mais pas que… Mais je ne peux pas vous les citer, au risque de vous donner des pistes sur l’enquête en cours…
Encore une excellente enquête de Makana. Les amoureux de l’Egypte devraient apprécier. Et il y a des références à l’Egypte ancienne…
Extraits :
L’awama, cette péniche qui lui tenait lieu de chez-soi, lui paraissait aussi sordide et humide qu’une épave engloutie. De fins lambeaux de brume matinale planaient à la surface de l’eau.
Ces gens étaient essentiellement des Soudanais du Sud qui réclamaient à l’Égypte le statut de demandeur d’asile, lequel leur permettrait d’avoir accès à des services publics tels que les écoles ou les hôpitaux. Cela signifierait pour eux la fin d’une existence nébuleuse où, du fait qu’ils n’étaient pas reconnus officiellement comme réfugiés en raison d’un accord d’ouverture des frontières, ils n’avaient pas droit aux aides sociales. On pouvait affirmer sans risque que les Soudanais en général, à l’heure actuelle, jouissaient d’une impopularité aiguë auprès de leurs frères de la Vallée du Nil, qui les accusaient de tous les maux – de la dégénérescence morale et l’ivrognerie à la prostitution et au crime, en passant par le fait de représenter une menace pour la sécurité nationale.
Pour punir le gouvernement de Khartoum, les Égyptiens s’en prennent à ceux qui ont fui les persécutions au Soudan. Les réfugiés prennent des coups des deux côtés.
Comment convaincre une génération qui, depuis l’enfance, n’a connu que la guerre et l’exclusion, de ne pas répondre à la violence par la violence ?
— C’est la tragédie d’une génération. Les plus jeunes se sentent seuls, rejetés. Nous nous efforçons de leur donner un sentiment d’appartenance. Ils ont grandi sans père, dans des camps de réfugiés. Ils cherchent des leaders, et parfois les garçons plus âgés les conduisent sur de mauvais chemins.
Du point de vue de Makana, il ne fallait pas sous-estimer les idéalistes – pas plus que les fanatiques.
Culpabilité par association. Il était un Soudanais du Nord, par conséquent il était des leurs. Autrefois, ils traquaient les Sudistes et les vendaient comme esclaves. L’actuel régime de Khartoum était la face moderne de ce même sentiment : ceux qui bombardaient et rasaient des villages, envoyaient des milices faire le sale boulot à leur place, assassiner vieillards et enfants, violer leurs femmes.
Les Dinka et les Mundari, alors.
— Ces deux groupes ethniques sont traditionnellement adversaires. Ils occupent le même territoire dans l’État du Jonglei. Les Mundari sont des paysans sédentaires tandis que les Dinka sont des éleveurs de bovins. Cette compétition pour l’utilisation des terres, notamment durant la migration, peut créer des tensions.
Pour les gens mal informés, les problèmes de votre pays se réduisent à une fracture simpliste entre les chrétiens, au Sud, tous unis contre le régime musulman intolérant du Nord. Quatre décennies de guerre civile témoignent de la gravité de ce conflit.
« Ceux de votre espèce voient en nous des bêtes sauvages qui devraient vivre dans la jungle. Alors regardez bien, parce que maintenant, la jungle, nous vous l’avons apportée. »
Les enfants sont un vrai bonheur quand ils sont jeunes. On oublie qu’ils causeront notre mort quand ils seront grands.
Ces vieux immeubles du centre-ville dépérissaient à leur propre rythme. Un déclin majestueux, à l’ancienne, par opposition aux bâtiments plus récents qui s’effondraient sans avertissement, réduits à un tas de décombres en l’espace d’une nuit.
Une fois que vous avez compris que vous n’êtes personne, vous pouvez devenir n’importe quoi.
Les Soudanais du Nord, ceux qui n’avaient jamais réagi, qui avaient gardé le silence face à la guerre, la persécution et l’injustice. Le silence face à l’injustice de masse était une lacune de conscience. Culpabilité par association.