Beah, Ishmael « La petite famille » (RLH2023) 320 pages

Beah, Ishmael « La petite famille » (RLH2023) 320 pages

Auteur : 

Né le 23 novembre 1980 à Mogbwemo, Bonthe District au Sierra Leone (Afrique de l’Ouest) , est un écrivain sierra-léonais, qui a été enfant soldat avant de partir vivre aux États-Unis en 1998.
Il termine ses études secondaires à la United Nations International School de New York. En 2004, il obtient son diplôme à l’Oberlin College. Il fait aujourd’hui partie du Human Rights Watch Children’s Rights Division Advisory Comitee et se bat pour les enfants victimes de la guerre. Il vit à New York.Originaire de Sierra Leone, Ishmael Beah s’est fait connaître grâce à son autobiographie, traduite dans plus de quarante langues, où il racontait son passé d’enfant soldat (« Le chemin parcouru : Mémoires d’un enfant soldat » , Presses de la Cité, 2007). 

Aujourd’hui ambassadeur pour l’Unicef et membre engagé de Human Rights Watch, il intervient à travers le monde pour défendre les enfants victimes de la guerre. « La Petite Famille » est son deuxième roman après « Demain le soleil ».

Albin-Michel -Les grandes traductions –  1.3.2023 – 320 pages ( Little Family – traduit par Stéphane Roques)

Résumé:
Dans un pays d’Afrique qui n’est jamais nommé, cinq orphelins s’improvisent un foyer dans une carcasse d’avion abandonnée, relique du chaos et de la guerre qui a ensanglanté la région, et élèvent la survie au rang d’art, subsistant grâce à de menus larcins et des missions douteuses. Mais l’équilibre de cette  » petite famille  » est sérieusement ébranlé lorsque leur aîné, Elimane, fait la connaissance d’un mystérieux protecteur et que la jeune et franche Khoudiemata se laisse envoûter par les gens des beaux quartiers et leurs habitants fortunés… 

Avec ce portrait tendre mais sans concession des liens que l’on tisse pour tenter d’échapper à son destin, Ishmael Beah fait entendre la voix des plus vulnérables à travers ces inoubliables héros du quotidien.

Mon avis :
Coup de coeur absolu!

Cinq jeunes, des orphelins, 3 garçons – Elimane, Ndevui, Kpindi –  et deux filles Khoudiemata et Namsa ont formé une petite communauté et vivent ensemble, bien cachés,  dans la carlingue déglinguée d’un vieil avion. C’est loin d’être idéal car le pauvre avion prend l’eau et que le petit groupe vit dans la peur d’être repéré. Mais ce qui est magnifique c’est le lien qui les unit. Ensemble, ils ont formé une vraie famille. Ils viennent d’horizons différents ( on ne va pas en apprendre beaucoup sur leur vie passée) mais ils forment une vraie fratrie, s’occupent et s’inquiètent les uns des autres et se protègent mutuellement. L’ainé et premier habitant du vieil avion est le chef du groupe, le protecteur en chef. C’est aussi leur guide et un lecteur passionné. Il se sent très responsable de ce petit noyau et il est très proche – sans que rien ne soit dit – de la plus grande des filles, Khoudiemata, qui pour sa part, joue à la perfection son rôle de grande soeur protectrice de Namsa.
Ensemble, ils ont élaboré des tactiques de surveillance de leur lieu de vie et des scénarios de repli en cas d’intrusion, des plans de déplacement et de déploiement pour se procurer nourriture et tout ce qui leur semble nécessaire en évitant de se faire attraper.
Par un concours de circonstance, ils vont avoir la possibilité de gagner beaucoup d’argent – pour eux – en effectuant des missions pas nettes et vont se retrouver à fréquenter des politiques, des criminels, des gens extrêmement dangereux.
De son coté Khoudiemata va tout faire pour fréquenter des jeunes d’un milieu aisé et comme elle est belle, débrouille, intelligente et instruite ( ce qui peut sembler étrange quand on fait sa connaissance dans pareilles circonstances) ce projet ne semble pas utopique… Mais en aucun cas elle ne veut rompre avec son petit monde.
Ce livre est magnifique, touchant, plein d’humanité et de suspense. Cette fratrie reconstituée parviendra-t-elle à survivre dans ce monde violent, corrompu.. Il ne faut jamais perdre de vue que ce ne sont que des enfants dans un monde d’adultes. Une lutte pour la survie, pour la vie, pour l’intégration, une peinture sociale, la discrimination sociale, une plongée dans la société africaine. C’est un livre universel, qui ne décrit pas un endroit particulier, qui se déroule en Afrique, mais pas dans un lieu déterminé. Il faut être vif, à l’écoute, organisé, invisible par moments et se fondre dans la masse et à d’autres moments, il faut semble appartenir à la classe respectable pour tirer son épingle du jeu.
Si au départ Elimane semble être le personnage principal , il se fait souffler la vedette par Khoudiemata. C’est puissant, émouvant, empathique, parfois brutal, parfois tendre.. Et une question va se poser : se contenter de survivre ou décider de vivre? Faut-il continuer de vivre avec son passé? Tirer un trait? Et je ne vous en dit pas davantage… je vous laisse découvrir et faire de magnifiques rencontres.
Pour moi c’est clairement un auteur à suivre et je remercie Francis Geffard et Albin Michel pour leur confiance et cette magnifique découverte. Et je vais lire son livre précédent « Le chemin parcouru : Mémoires d’un enfant soldat » dont le thème me fait furieusement penser au magnifique livre de Víctor del Árbol « «Avant les années terribles ».

Extraits:

Les marchands avaient de belles paroles pour presque tout le monde, mais quand Khoudiemata passait devant eux, ils ne disaient rien. Comme si elle n’existait pas. Elle n’était pas invisible – les regards se posaient sur elle –, mais on l’oubliait aussitôt qu’on l’apercevait.

« Où est Monsieur la Tête ? » demanda-t-il. C’était le surnom qu’ils donnaient à Elimane, lequel passait son temps à lire ou à écrire.

La pauvreté est dévoreuse de dignité, mais Elimane faisait partie de ces gens qui s’étaient battus pour garder la sienne, même si c’était la seule bataille qu’il avait remportée.

 En tout cas, il existait entre eux un accord tacite pour ne pas s’accabler de questions sur leur passé et leurs douleurs, mais plutôt essayer de vivre le moment présent en offrant, par leur silence, compréhension et respect.

Aujourd’hui, nous débattrons pour savoir s’il faut traiter nos politiciens de corrompus ou de voleurs. Quand on vole du riz sur le marché, on est un voleur, non ? 

Ne t’épuise pas à envisager tous les scénarios possibles, lui dit Kadiatou, comme si elle lisait dans ses pensées. Apprends à accepter les belles surprises de la vie. »

Elle voulait apprendre à se conduire comme elles : leur façon de rire et de se tourner d’un côté ou de l’autre, de dévisager les hommes, de les captiver. L’observation était une méthode de survie, et quel soulagement, pour une fois, de ne pas s’en servir dans ce but. 

Quelle création constante était la vie ! Chaque jour, chaque heure, chaque minute, un événement positif ou négatif se produisait et faisait partie de vous à jamais.

Voilà pourquoi nous ne sommes pas libres, parce que nous avons autorisé quelqu’un d’autre à décider à notre place quand et comment nous devions être libres. Étions-nous libres avant leur arrivée ? Hmm ? Hmm ? Seul un esprit colonisé peut se poser cette question. Réveillez-vous, réveillez-vous, et ne fêtez pas votre emprisonnement. »

Qui a dit qu’il faut avoir un but dans la vie ? Le but ne résidait-il pas dans le fait même de vivre librement, n’était-ce pas là qu’on avait une chance de le trouver ?

Mais je tiens surtout à rester vivant, même si c’est seulement pour survivre.

La survie a tendance à rétrécir votre façon de penser, même la façon dont on se voit soi-même. 

Ainsi va la vie, pensa-t-elle. La vie qui avait toujours des mots doux pour certains, et on pouvait soi-même goûter à cette douceur de temps à autre à condition de savoir se montrer futé et vigilant.

Il était rare que des souvenirs lui reviennent. Pourquoi étaient-ce seulement les plus doux qui refaisaient surface ? Préférerait-elle les autres ?

ce qui était au-dessus de ses forces à cette heure tardive où même la lune cherchait un prétexte pour aller se coucher sous la couverture des nuages. 

Et pourtant, elle savait qu’en faisant son entrée dans ce nouveau monde, elle perdait le sentiment d’invincibilité qui l’accompagnait dans la vie des rues qu’elle menait jusque-là, invisible pour la plupart, saisissant des opportunités que les autres ne voyaient pas, créant chaque jour d’autres façons de survivre

L’air du dehors était presque aussi chaud que celui dans l’habitacle, et poussiéreux, mais la brise fut la bienvenue, et ils roulèrent un moment dans un silence amical alors que le jour tombait. Elle se dit qu’un air pareil ferait forcément tousser ceux qui n’étaient pas d’ici et qu’ils le détesteraient. À l’inverse, si on vivait ici jusqu’à ce que la terre nous enlace, et qu’ensuite on la quittait, c’était justement cette poussière et cette chaleur qui finiraient par nous manquer.

La fête continua jusqu’à ce que la nuit elle-même tombe de fatigue et n’envoie se coucher la lune, les étoiles et pour finir l’obscurité

Tu t’es bien amusée au moins ? J’espère. Dans la vie, il faut toujours s’amuser tant qu’on peut, parce que le reste du temps il faut se battre.

– Ah, l’école… C’est là qu’on instille à des esprits intelligents l’idée fausse de l’espoir au lieu de cultiver la ruse et la malice nécessaires à la survie dans ce pays. »

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