Erdrich, Louise «Celui qui veille» (RLH2022)
Autrice : Louise Erdrich, née le 7 juin 1954 à Little Falls dans le Minnesota, est une écrivaine américaine. Elle est une des figures les plus emblématiques de la jeune littérature indienne et appartient au mouvement de la Renaissance amérindienne. Elle habite à Minneapolis et est propriétaire d’une petite librairie indépendante. Elle est Ojibwa par sa mère et germano/américaine par son père. Distinguée par de multiples récompenses littéraires au fil de sa carrière, dont le National Book Award, le Library of Congress Award et le National Book Critics Circle Award, elle s’est vu attribuer le prix Pulitzer de la fiction 2021 pour son nouveau roman, « Celui qui veille »
Romans : Love Medecine (aussi sous le titre L’Amour sorcier en version tronquée) – Le Pique-nique des orphelins aussi sous le titre La Branche cassée en version tronquée – La Forêt suspendue – La Couronne perdue – Bingo Palace – L’épouse antilope – Dernier rapport sur les miracles à Little No Horse – La Chorale des maîtres bouchers – Ce qui a dévoré nos cœurs – La Malédiction des colombes – Le Jeu des ombres – Dans le silence du vent – LaRose – L’Enfant de la prochaine aurore (2021) – Celui qui veille (RLH2022) – La sentence (RL2023)
Albin Michel – collection « Terres d’Amérique » – 05.01.2022 – 560 pages – (The Night Watchman) Traductrice: Sarah Gurcel Vermande – PRIX PULITZER 2021
Résumé :
Dakota du Nord, 1953.Thomas Wazhashk, veilleur de nuit dans l’usine de pierres d’horlogerie proche de la réserve de Turtle Mountain, n’est pas près de fermer l’œil. Il est déterminé à lutter contre le projet du gouvernement fédéral censé « émanciper » les Indiens, car il sait bien que ce texte est en réalité une menace pour les siens.
Contrairement aux autres jeunes employées Chippewas de l’usine, Pixie, la nièce de Thomas, ne veut pour le moment ni mari ni enfants. Pressée de fuir un père alcoolique, insensible aux sentiments du seul professeur blanc de la réserve comme à ceux d’un jeune boxeur indien, elle brûle de partir à Minneapolis retrouver sa sœur aînée, dont elle est sans nouvelles.
Pour « celui qui veille », n’ayant de cesse d’écrire aux sénateurs dans le but d’empêcher l’adoption de la loi, quitte à se rendre lui-même à Washington, comme pour Pixie, qui entreprend le premier voyage de sa jeune existence, un long combat commence. Il va leur révéler le pire, mais aussi le meilleur de la nature humaine.
Inspirée par la figure de son grand-père maternel, qui a lutté pour préserver les droits de son peuple, Louise Erdrich nous entraîne dans une aventure humaine peuplée de personnages inoubliables. Couronné par le prix Pulitzer, ce majestueux roman consacre la place unique qui est la sienne dans la littérature américaine contemporaine.
Avis : « Louise Erdrich illumine la littérature américaine depuis quatre décennies. Cette écrivaine est un trésor. » Colum McCann
Mon avis :
Un roman polyphonique qui mérite amplement le prix Pulitzer de la Fiction. De plus je dois dire que le fait d’avoir lu récemment le livre de David Treuer « Notre coeur bat à Wounded Knee » m’a remis le livre dans le contexte, ce qui est toujours un confort de lecture supplémentaire.
Ce roman est une fois de plus un coup de cœur.
Il commence dans les années 1950, dans la réserve « Turtle Mountain » ou vivent les indiens Chippewas. Il nous fera voyager du Dakota du Nord jusqu’à Washington et nous fera aussi voyager au Minnesota (Minneapolis).
Un voyage en compagnie de personnages attachants et en particulier de Thomas Wazhashk (nommé en référence au rat musqué : animal qui a pour caractéristiques d’être travailleur, modeste et essentiel), inspiré par son grand-père maternel, indien du peuple Ojibwe qui va se donner pour mission de sauver la communauté de Turtle Mountain. Thomas, né dans la réserve et qui y a vécu toute sa vie. D’ailleurs sa vie, c’est la Réserve. Il a été élevé avec les traditions et dans la culture et la langue de son peuple ; il avait quitté un moment la réserve pour aller dans une école financée par le gouvernement, où il avait appris l’anglais mais avait été choqué par le fait qu’entrer dans cette école équivalait à renoncer à ce qu’il était (il fallait par exemple se couper les cheveux ce qui signifie que quelqu’un de proche était mort dans sa culture).
Il y a aussi Patrice, une jeune fille que tout le monde appelle Pixie, qui travaille à l’Usine de pierres d’horlogerie, une indienne qui souhaite vivre sa vie et non se la faire imposer et qui partira à la recherche de sa grande sœur Vera qui a quitté sa Réserve pour réussir à la grande ville et a disparu. Patrice qui va prendre le train pour se rendre à Minneapolis pour rechercher sa sœur et son bébé. Elle vivra bien des aventures et se trouvera confrontée aux dangers que doivent affronter les indiens qui arrivent dans la grande ville.
Depuis 1492, les Blancs ont volé les richesses des Indiens et cela n’a jamais cessé. Ils veulent maintenant les déposséder des terres qui leur restent, de leur identité. Thomas va rassembler des témoignages et des fonds pour se rendre à Washington pour plaider la cause des habitants de la réserve de Turtle Mountain au Capitole, devant le Comité aux Affaires Indiennes du Sénat des Etats-Unis ; il organisera un combat de boxe qui permettra de financer en partie le voyage et fera appel à une jeune indienne qui a quitté la réserve pour poursuivre des études à l’Université.
En plus de nous parler des personnages, le livre nous fait partager la vie des indiens de la réserve, de ceux qui l’ont quittée (pour la ville, pour aller faire des études) et nous fait baigner dans les croyances et traditions (la vue d’un harfang des neiges signifie une mort prochaine.). J’ai beaucoup apprécié les scènes de vie dans la réserve, les traditions relatives à la fabrication d’un porte-bébé, les rites funéraires, l’importance des gens des temps anciens, la présence des fantômes, la tisane qui unit le ciel et la terre…
En plus des deux personnages qui j’ai cité (Thomas et Patrice) il y a beaucoup d’autres habitants de la Réserve que je vous laisse le plaisir de découvrir : les amis, les parents, les amours…
Ce roman allie aventure, romance et histoire. C’est un moment lumineux et instructif, qui montre les Indiens comme un peuple qui se bat, qui véhicule un message d’espoir.
Un énorme merci aux Editions Albin-Michel de leur confiance et de m’avoir permis de le découvrir parmi les premières.
Extraits :
Mais voilà que, de temps à autre, le gouvernement se souvenait de l’existence des Indiens. Et s’efforçait toujours alors de les résoudre. Pour nous résoudre, se dit Thomas, ils se débarrassent de nous.
Ses sentiments étaient comme les aléas de la météo. Il les subissait ou les savourait.
Dans la presse, l’auteur de la proposition de loi avait construit autour de son texte un nuage de grands mots – émancipation, liberté, égalité, succès – qui maquillaient sa vérité : la termination. Ne manquait que le préfixe. Le « ex ».
Nous ne sentons pas le frottement du temps. Le temps n’est rien sinon tout. Il ne se réduit pas aux secondes, aux minutes, aux heures, aux jours, aux années. Cette substance sans substance, ce façonnement par fléchissement, ce gauchissement, c’est pourtant ainsi que se comprend notre monde.
Demander l’aide de la police des Blancs quand il s’agissait d’une femme indienne revenait presque immanquablement à mettre cette femme en tort. Peu importaient les faits, ce serait elle qu’on jugerait coupable et qu’on punirait.
Un ennemi, il faut le vaincre sur le champ de bataille, mais un adversaire, c’est différent. Il faut se montrer plus malin que lui. Et donc bien le connaître.
[…] on ne connaît jamais vraiment un homme tant qu’on ne lui a pas dit qu’on ne l’aime pas – c’est seulement alors que sa vraie laideur, restée masquée le temps de la séduction, peut faire surface.
Ce n’est pas en légiférant qu’on peut instiller chez les gens la moralité, le sens du devoir, ni aucune autre de ces belles vertus. C’est en marchant que l’on apprend à marcher.