Didierlaurent, Jean-Paul « La fissure » (2018)

Didierlaurent, Jean-Paul « La fissure » (2018)

 

Auteur : né le 2 mars 1962 à Cornimont (Vosges) et mort le 5 décembre 2021 à Strasbourg (Bas-Rhin) .
Nouvelliste exceptionnel lauréat de nombreux concours, trois fois finaliste et deux fois lauréat du Prix Hemingway, Son premier roman « Le Liseur du 6h27 » m’avait beaucoup plu. Il publie ensuite « Le Reste de leur vie » (2016), puis « La Fissure »  (2018) et « Malamute»  en 2021

Au diable vauvert – 18.1.2018 – 327 pages /  Folio 16.05.2019 – 288 pages

Résumé : Dernier représentant d’une entreprise de nains de jardin rachetée par une holding américaine, Xavier Barthoux mène une vie bien rangée entre la tournée de ses clients, son épouse, son chien et sa résidence secondaire des Cévennes. Mais quand il découvre une fissure dans le mur de sa maison, c’est tout son univers qui se lézarde… Animé par une unique obsession, réparer la fissure, il entreprend un périple extrême et merveilleux jusqu’à l’autre bout du monde.

Mon avis : Une vie apparemment bien réglée, une existence sur les rails, pépère, morne et sans aucune fantaisie. Il suffit d’un grain de sable pour que tout se déglingue et que l’angoisse profonde que portait Xavier en lui explose. La fissure, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, qui va faire voler en éclat le vernis des apparences, le trop plein d’acceptations. Tout était si propre, en ordre à première vue, tout ce qui dérangeait bien caché, bien dissimulé … Mais quand le crépi éclate, quand le masque se fissure, quand le maquillage ne suffit plus à cacher la vérité, c’est le naufrage.   Une fissure, c’est comme une cicatrice. On a beau colmater, il n’en demeure pas moins que cela cache quelque chose : une trace qui indique qu’il y a quelque chose dessous, en profondeur, qui se propage insidieusement, cherche à sortir d’une manière ou d’une autre, qui finit par tout gangrener. La solution : aller à la racine du mal, à l’origine des choses, se libérer des contraintes pour retrouver son vrai moi. C’est ce que va faire notre anti-héros, avec une bonne dose d’humour noir. Il va se focaliser sur l’envers des choses, retourner sa vie, et avec l’aide de celui qui va devenir son guide, son ami – un nain de jardin qui va devenir son ami imaginaire, puis son double, une statue moaï – il va vivre l’envers de sa vie. « À chaque recto son verso, encore et toujours. La fouine à Alzon, le kiore à Waitangi. »

Une fissure, une fracture … un livre que j’ai beaucoup aimé. Il y a le coté imaginatif, absurde, déjanté qui cache le mal-être profond et ses conséquences. Suivez avec moi ce bricoleur du dimanche dans sa remise en état des lieux.

Troisième livre que je lis de cet auteur et troisième fois que je ne peux que le recommander. Un auteur que j’aime de plus en plus. Sous le déjanté et le fantaisiste, un vrai sujet.. Et pourtant « J’aime pô les nains de jardin »..

Décidemment, je fais dans les âmes fissurées qui s’évadent à l’autre bout du monde ces jours :  entre le Vendela Vida, le Christiana Moreau, le Didierlaurent , le Tiffany Tavernier et le Cercas..

Extraits : 

Comme les arbres, les êtres humains ont besoin d’un cran de chute pour que s’engage le processus d’effondrement. Il peut se présenter sous différentes formes, grossières ou non, provoquées ou pas, parfois violentes, souvent imprévisibles.

Ma pauvre chérie, les fissures en maçonnerie, c’est comme les rides chez les humains. L’apparition de la première ne fait qu’annoncer les suivantes.

Il avait toujours rêvé d’un chat. Un bon gros minet câlin à souhait, un de ces jouisseurs qui, entre deux grignotages de mulots, viennent se poser sur vos genoux dans l’attente de la caresse. Tigré, noir, blanc, moucheté, de race, de père inconnu, de gouttière, peu lui aurait importé. Juste un chat, pas avare en ronrons et avec suffisamment de fourrure pour pouvoir y plonger les mains.

Ils avaient sauté dans leur pyjama respectif sitôt arrivés et s’étaient couchés, lui avec sa fatigue, elle avec sa liseuse.

la fonction première d’un nain de jardin n’était pas de croupir seul au fond d’une cave mais bien de vieillir les pieds ancrés dans une belle terre grasse à respirer le grand air entouré de verdure.

Toujours bien nettoyer la plaie avant de traiter, pas qu’une saloperie nosocomiale ne vienne infecter la maçonnerie.

Unique trace de modernité, l’ordinateur posé sur un coin du bureau et dont l’écran poussiéreux et continuellement éteint n’avait pour toute fonction que celle de servir de support à d’innombrables post-it.

Surtout pas trop d’eau d’un coup, avait-elle insisté, ça ferait crever les racines. Pas d’eau du tout mène apparemment au même résultat,

mais il y avait pire que l’oubli. Ses souvenirs s’étaient nécrosés, avaient perdu toutes leurs couleurs. Comme sur le portrait de famille, il n’en distinguait plus que les bouloches d’une netteté parfaite. Depuis quelque temps, il ne parvenait plus à voir la vie autrement qu’à travers un prisme déformant qui réfractait chaque chose et chaque être pour n’en montrer que la laideur.

Les hommes ont tous une fissure quelque part qui les attend, une fissure bien à eux, aussi unique et personnelle que leur adn.

Tout le monde est écrivain de nos jours. Pas besoin de notions particulières, pas d’instrument ni de matériel spécifique à part un stylo et un cahier. Et puis ça a de la gueule écrivain, ça porte à fantasmes.

L’alcool faisait partie intégrante de la panoplie de l’écrivain. Il afficha un sourire entendu.
— Le génie est dans la bouteille, à condition de pouvoir se relire.

Il a soulevé des pans entiers d’oubli, libéré des choses qui n’auraient pas dû l’être et qui sont remontées à la surface.

Seule solution pour elle pour ne pas perdre son fils, faire partie du rêve pour ne pas rester au bord de la route.

Jamais il n’avouerait ce qu’il sait au plus profond de lui-même : que la réalité tuerait le mythe, ferait voler en éclats cette Amérique qu’il s’est patiemment construite toute sa vie durant. Une réalité qui pourrait jusqu’à le tuer lui-même.

— Il n’y a rien à voler ici, à part des souvenirs,

Il existait deux manières de s’extraire d’un mensonge : l’avouer ou faire en sorte que celui-ci devienne vérité.

Pour en savoir plus sur les  moaï 

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