Katouh, Zoulfa « Tant que fleuriront les citronniers » (RL2023) 430 pages

Katouh, Zoulfa « Tant que fleuriront les citronniers » (RL2023) 430 pages

Autrice: D’origine syrienne issue de la diaspora, née au Canada, elle a grandi entre Suisse et Dubaï.  Elle s’installe en Suisse en 2017. Titulaire d’une licence en pharmacie, elle poursuit un master en sciences du médicament. Elle parle couramment anglais, allemand et arabe.
« Tant que fleuriront les citronniers » (« As Long As the Lemon Trees Grow », 2022) est son premier roman. Avec ce livre, Zoulfa Katouh est la première autrice young adult syrienne publiée en Angleterre et aux États-Unis. (Source Babelio)

Editions Nathan –  07.09.2023 –  416 pages («  As Long as the Lemon Trees Grow » 2022 – traduit par Anne Guitton)

Résumé:

Tant que les citronniers fleuriront, il y aura de l’espoir… Salama Kassab, 18 ans, avait la vie devant elle, quand la révolution a commencé en Syrie et quand les combats lui ont tout pris : sa famille, son avenir de pharmacienne. Il ne lui reste plus que Layla, sa belle-soeur enceinte, et sa conviction de pouvoir aider son pays grâce à son travail bénévole à l’hôpital. Mais elle est tiraillée entre l’envie de se rendre utile, et celle de mettre Layla à l’abri.
Au moment où elle se résigne finalement à fuir la Syrie, une rencontre avec un jeune militant plein d’espoir va tout remettre en cause.

Mon avis:

Une histoire poignante sur le cauchemar que vivent les Syriens sous les bombes, l’horreur qu’ils affrontent chaque jour, tiraillés par le besoin de rester pour défendre leur Syrie et le besoin de partir pour sauver leur vie.

Salama est liée à la promesse qu’elle a fait à son frère quand il a été arrêté par les militaires : sauver sa mère et la femme de son frère qui est enceinte. Elle est tiraillée entre cette promesse et son désir de rester, de soigner des vies, de défendre sa terre. Si partir c’est mourir, rester c’est mourir aussi…
Pour tenir le coup, la jeune Salama s’accroche aux souvenirs, à sa vie d’avant…
Le moyen que Salama a inventé pour survivre, la présence de Khawf qui lui parle chaque nuit ou quand elle est en état de panique ou de stress complet.
Tous les personnages sont incroyablement présents, qu’ils soient vivants, imaginaires, absents ou disparus : Salama, sa belle-soeur Layla , Khawf, Kenan, les personnes qu’elle fréquente à l’hôpital comme le Dr Ziad qui est comme un père de substitution pour elle.  

J’ai beaucoup aimé la manière dont Salama, pharmacienne et botaniste de formation, mais devenue médecin par la force des choses parle de tout comme d’une maladie à soigner :
La Révolution : l’hôpital n’est pas immunisé, la maladie de la dictature, la dictature est un cancer qui ronge la Syrie…
L’Amour : « Je tente désespérément de trouver une explication scientifique à l’amour que je sens naître en moi. Combien de temps dure la période d’incubation ? Quand apparaissent les premiers symptômes ? Est-ce une maladie chronique ou passagère ? La guerre qu’on vit accélère-t-elle le processus ?
Mon cœur sera-t-il affecté par notre séparation dans un mois ? »

Et ses références aux fleurs et plantes pour soigner , comme le jasmin pour la douleur et l’anxiété,   la lavande pour ses propriétés antiseptique et anti-inflammatoires et l’insomnie, et sa façon de s’accrocher à la vision des pâquerettes parfumées…

Et il y a les couleurs… le gris de la peur et de la souffrance qui a remplacé les couleurs vives d’avant la révolution, le bleu du tableau peint par sa belle-soeur, puis les couleurs du coucher de soleil quand l’amour vient illuminer sa vie…

Il ne faut surtout pas oublier de lire la nouvelle « joie » qui figure à la fin du livre. Pour ma part, elle fait partie intégrante du roman, elle parle de l’amour entre Salama et Kenan.
Comme souvent, j’aime voir si les prénom ont un sens des le roman.
Le prénom « Salama » signifie sécurité, paix et est le symbole de la protection et de la sécurité; il se veut donc porteur d’espoir.

Pour le reste, je vous laisse vibrer, souffrir, lutter, aider, culpabiliser, aimer, vivre en compagnie de Salama et surtout ESPERER que le drame que vit la Syrie depuis mars 2011 arrive un jour à son terme; il ne faut jamais oublier que  le gouvernement bombarde le peuple, massacre les Syriens qui fuient leur pays alors qu’ils ne souhaitent qu’une chose : être chez eux et recommencer à vivre libres…

Roman coup de poing qui restera dans ma mémoire. Magnifique mais trop dur pour qu’il soit dans la catégorie « coup de coeur », quoique…

Lu quelque part:  le personnage nommé Khawf (« la peur », en arabe) permet en effet de donner vie aux états d’âmes, aux émotions et aux peurs de Salama, permettant aux lecteurs d’encore mieux comprendre ses déchirements et les effets non visibles de cet enfer.

Je ne peux que penser à des lectures précédentes évoquant des sujets qui s’en approchent :
Minoui, Delphine «Les Passeurs de livres de Daraya – Une bibliothèque secrète en Syrie»
Croubalian, Mélanie « Azad » ( 2023) 232 pages

Extraits:

Le malheur règne sur les branches mortes et les gravats, même si une petite étincelle d’espoir survit encore dans le cœur des habitants.

On m’a confié mon premier corps à recoudre et j’ai appris sur le tas. La mort est un excellent professeur.

Le semblant de contenance que je parviens à conserver durant la journée se désagrège toujours au coucher du soleil.

Tu ne crois pas que la dictature est un cancer qui ronge la Syrie depuis des décennies ? Et qu’il vaut mieux opérer, quels que soient les risques, plutôt que de le laisser s’étendre ? Bien sûr, ça ne sera pas facile, car les tissus sont profondément touchés. Il y aura forcément un prix à payer.

Même si les souvenirs font mal, c’est la seule façon pour nous de revoir ceux qu’on aime. On se répète nos dernières conversations, notre imagination amplifie ou adoucit les voix à notre guise.

Le « docteur », c’était le président Bachar el-Assad, ophtalmologue de formation. Il y avait une certaine ironie dans le fait que cet homme aux mains trempées de sang innocent ait autrefois fait le serment de ne pas faire de mal.

– C’est normal de penser à l’avenir, m’assure-t-elle. Ce n’est pas parce qu’on risque de mourir qu’on n’a plus le droit de vivre. Tout le monde, partout, peut mourir n’importe quand. On est comme les autres, juste obligées de regarder la mort en face plus souvent.

Peu importe ce qui arrive, souviens-toi que le monde ne se résume pas à la souffrance.

– Promets-moi de te concentrer sur la joie. Les souvenirs sont plus beaux ainsi.

– Tu n’as pas peur ? je m’étonne.

Il me dévisage une seconde et sourit.

– Bien sûr que si. Mais je n’ai rien à perdre.

Je tente désespérément de trouver une explication scientifique à l’amour que je sens naître en moi. Combien de temps dure la période d’incubation ? Quand apparaissent les premiers symptômes ? Est-ce une maladie chronique ou passagère ? La guerre qu’on vit accélère-t-elle le processus ?

Mon cœur sera-t-il affecté par notre séparation dans un mois ?

Depuis la nuit des temps, je nais dans le cœur des hommes. On m’a donné bien des noms, dans bien des langues. Dans la tienne, je suis Khawf. En français, Peur. En allemand, Angst. Beaucoup ont écouté mes murmures, suivi mes conseils, éprouvé ma puissance. Je suis partout. 

Le destin. Un mot complexe qui renferme une multitude de portes ouvrant sur autant de chemins, tous conditionnés par nos actions. 

Je suis une fille coupée de ses racines, brisée en mille morceaux et recollée tant bien que mal.

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