Enriquez, Mariana « Ce que nous avons perdu dans le feu » (2017) 246 pages

Enriquez, Mariana « Ce que nous avons perdu dans le feu » (2017) 246 pages

Autrice : Née à Buenos Aires en 1973, elle a fait des études de journalisme à l’université de La Plata et dirige Radar, le supplément culturel du journal Página/12. Elle a passé son enfance à Corrientes. Elle a publié deux recueils de nouvelles, dont le très remarqué Ce que nous avons perdu dans le feu, publié aux Editions du sous-sol en 2017 (Points, 2021). Elle a reçu le prestigieux prix Heralde et le prix de la Critique pour son premier roman Notre part de nuit, succès de librairie en Espagne et en Amérique latine et en cours de traduction dans plus d’une vingtaine de langues. Succès de la rentrée étrangère de 2021, elle a reçu les prestigieux prix de l’Imaginaire, prix Imaginales, prix des Libraires du Québec, prix Payot du roman étranger pour Notre part de nuit. Les Dangers de fumer au lit a été finaliste de l’édition 2021 de l’International Booker Prize.

Romans :  Bajar es lo peor (Espasa Calpe, 1995), Cómo desaparecer completamente (Emecé, 2004) et Notre part de nuit (Anagrama, 2019 / Editions du Sous-Sol 2021 ).
Nouvelles : « Les dangers de fumer au lit» (Los peligros de fumar en la cama (Emecé, 2009), « Ce que nous avons perdu dans le feu » – 2019 (Las cosas que perdimos en el fuego – Editorial Anagrama, 2016) et le roman court Chicos que vuelven (Eduvim, 2010).

Editions du Sous-Sol – 12.01.2017 – 238 pages – Traduit par Anne Plantagenet  (Las cosas que perdimos en el fuego 2016 )  / Point Poche – 19.08.2021 – 246 pages

Résumé Editeur:

Douze nouvelles. Un enfant de junkie disparaît du jour au lendemain dans un ancien quartier cossu de Buenos Aires, livré désormais à la drogue et à la violence. Des jeunes femmes se promettent dans le sang de ne jamais avoir d’amants et sont obsédées par la silhouette fugace d’une adolescente disparue. Adela, amputée d’un bras, aime se faire peur en regardant des films d’horreur jusqu’à en devenir prisonnière. Alors qu’il vient de devenir père, Pablo est hanté par la figure du Petiso Orejudo, un enfant serial killer. Un voyage confiné en voiture dans l’humidité du Nord se termine sur un malentendu. Marcela, elle, se mutile en pleine salle de classe, au grand désarroi de ses camarades. Vera, un crâne repêché dans la rue, se meut en double dénué de chair d’une femme au bord de la crise de nerfs. Paula, ancienne assistante sociale, se bat avec ses démons et ses hallucinations. Marco, lui, se cache derrière sa porte, mutique, espérant échapper à l’existence, dehors. Sous l’eau noire, des secrets bien gardés par la police sont prêts à ressurgir. Et des femmes, désespérées, s’enflamment pour protester contre la violence.
L’univers de Mariana Enriquez n’est pas tendre. Sorte de Julio Cortázar féminine et féministe, elle partage avec l’auteur de Tous les feux le feu, l’art de jouer avec les codes du fantastique sans jamais y plonger. Le monstre n’est pas tapi dans les bois : nous sommes les monstres. D’une main de maître, elle dessine avec Ce que nous avons perdu dans le feu un univers romanesque qui flirte avec l’horreur mais n’y sombre pas. Mêlant petites histoires et grande Histoire, elle évoque le passé de l’Argentine – ses morts, ses fantômes – par petites touches. Dans une langue délicate et faussement simple, elle déploie une construction narrative où le suspense et l’humour s’entremêlent pour mieux nous faire rire et frissonner du même coup.

Mon avis ( et extraits en italique ) : 12 nouvelles  ( un petit paragraphe par nouvelle) 
Ici contrairement aux autres livres de l’autrice, on plonge dans le quotidien et non dans le surnaturel.
Bienvenue dans le quotidien de la société et des femmes en particulier en Amérique Latine! Et le quotidien décrit ici est un pur cauchemar ! On va se trouver confrontés à des corps qui disparaissent ou réapparaissent… Nous allons aller à la rencontre des « invisibles », des en marge de la société.
Le thème principal est la femme, le statut de la femme dans une société patriarcale, et la question de sa possible liberté dans cette société.
Ces nouvelles explorent la terreur, la dépression, la pauvreté, les inégalités, les violences – la violence domestique en particulier -, la magie noire, les superstitions …
Un conseil : si vous n’avez pas le moral, ce n’est pas le moment de le lire ! Car c’est difficile de se remettre d’une telle violence sociale! Je ne suis toujours pas particulièrement fan de nouvelles mais l’univers de cette autrice me fascine! 

L’enfant sale

Dans un ancien quartier bourgeois de Buenos Aires, du XIXème qui a été abandonné et est devenu très mal fréquenté – peut-être le plus dangereuse de Buenos Aires –  habité par des junkies, des paumés, des travelos bourrés, où le risque de se faire agresser est permanent, qui vivent souvent dans la rue. Une jeune femme de la classe moyenne a choisi d’habiter dans l’ancienne maison de ses grands parents. En face de chez elle vivent une jeune femme et son enfant de 5 ans. La mère va disparaitre puis réapparaitre. Quelques jours après on va découvrir le corps d’un jeune enfant décapité, qui a été agressé sexuellement. Dans ce quartier , il y a un endroit où l’on dresse des autels au San la Muerte.. une question se pose : est-ce une offrande ? Est-ce que cela a quelque chose à voir avec le Satanisme? Est-ce le petit d’en face?
La violence dans les rues de Buenos-Aires

Il s’agit de ne pas avoir peur, de nouer des amitiés stratégiques, de saluer ses voisins même si ce sont des délinquants – surtout si ce sont des délinquants –, de marcher la tête haute, en se tenant sur ses gardes.

L’Hôtel

A Sanagaste, lieu touristique, il n’y a qu’un hôtel comme lieu pour s’amuser.
Une famille va souvent dans ce village en vacances avec leurs deux filles : Lali 15 ans, qui a une réputation de fêtards et de petite pute et sa soeur Florence plus âgée. Une des amies de l’une des soeurs habite dans le village et elles vont s’introduire de nuit dans l’hôtel pour se vanter de la propriétaire de l’hôtel qui a viré le père de la jeune fille qui y travaillait comme guide…

Les années intoxiquées

Alcool, drogue, médicaments, inflation, avortement, chômage…

Parfois il nous déposait devant chez l’une ou l’autre, parfois plaza Italia, où on achetait aux hippies du marché artisanal un peu de cette herbe démente qui s’appelait punto rojo.

La maison d’Adela. (Ma préférée) 

Une petite fille handicapée, des films d’horreur, une maison qui parle… Trois jeunes vont réussir à s’introduire dans la vielle maison qui va se refermer sur l’une d’entre eux. Petit problème : la maison que les enfants ont visitée n’est pas la maison que perçoivent les autres gens…
Une histoire de maison hantée

La maison n’avait rien de spécial à première vue, mais, quand on y regardait de plus près, certains détails étaient inquiétants. Les fenêtres étaient murées, de part en part, avec des briques. Pour éviter que quelqu’un entre ou que quelque chose ne sorte ? 

— C’est la maison qui nous parle. Tu ne l’entends pas ?
— La pauvre, dit Pablo. Elle n’entend pas la voix de la maison.
— Ça ne fait rien, dit Adela. On te raconte.
Et ils me racontaient.
La petite vieille, qui avait des yeux sans pupilles mais n’était pas aveugle.
Le petit vieux, qui brûlait des livres de médecine à côté du poulailler vide, dans la cour arrière.
La cour arrière, aussi sèche et morte que le jardin, pleine de petits trous comme des terriers à rats.
Un robinet qui n’arrêtait pas de goutter car ce qui vivait dans la maison avait besoin d’eau.

“Pablito clavó un clavito” : une évocation du Petiso Orejudo

Une agence touristique de Buenos-Aires propose des tours et surtout un circuit sur les lieux des crimes et sur les criminels célèbres. Un soir, le guide voit dans le bus un criminel mort depuis des années qui avait commencé à tuer à l’âge de neuf ans … Le guide est le seul à le voir. Est-ce le fantôme du criminel décédé en 1944?
Le criminel en question a bien existé au début du XXème siècle 

La ville n’avait pas de grands assassins, à l’exception des dictateurs, non inclus dans le circuit par bienséance politique. 

 lui, tout ce qui lui plaisait, c’était d’attaquer des enfants et d’allumer des incendies. Car il était aussi pyromane ; il aimait voir les flammes et observer le travail des pompiers, “surtout quand ils tombaient dans le feu”, 

Toile d’araignée

Petit tour au Paraguay, et plus particulièrement au marché d’Asunción. Sur le retour, panne de voiture…

Je me demandais pourquoi on appelait le ñanduti “toile d’araignée” ; probablement à cause de la technique de tissage, car le résultat final évoquait plutôt la queue des paons royaux, avec les yeux entre les plumes, beaux et inquiétants en même temps, de multiples yeux éparpillés sur l’animal, qui marchait lourdement – un oiseau sublime mais qui avait toujours l’air fatigué.

— On commet tous des erreurs, me dit-elle. L’important, c’est de les corriger.
— Et comment on la corrige, celle-là ?
— Ma petite, la seule chose irréparable, c’est la mort.

Fin des classes

Marcela, une jeune fille se mutile à l’école. Pour quelle raison ? Et en plus, il semble qu’elle ne ressente aucune douleur … Est-ce de la folie ? Du délire ? Une jeune fille sous emprise? 

Pas de chair sur nous

Un Crâne sans mâchoire, avec uhh numéro inscrit dessus. Et la fille qui l’a trouvé va l’adopter… 

Nous marchons tous sur des os, il suffit de faire des trous profonds pour atteindre les morts enfouis. Il faut que je creuse, avec une pelle, avec les mains, comme les chiens, qui trouvent toujours des os, qui savent toujours où on les a cachés, où on les a oubliés.

Le patio du voisin

Paola et Miguel déménagent dans une nouvelle maison. Paola est en dépression mais son mari pense que tout est question de volonté et que si elle veut s’en sortir, elle n’a qu’à se bouger. Le couple ne va donc pas très bien.
Paola, alors qu’elle est seule dans la maison guette le chat gris qu’elle avait vu dans le patio du voisin. Au lieu du chat, elle voit un enfant enchaîné..son mari la traite de fille et ne la croit pas… Problèmes de couple, de communication, mise en doute de l’utilité de la psychiatrie.

Sous l’eau noire

Devant la procureure comparait un policier. Dans le Sud du pays, les policiers tuent les jeunes plutôt que de les protéger. Deux jeunes de 15 ans ont été battus et jetés au fleuve par des flics alcoolisés et brutaux sans aucun motif valable. Une jeune toxico affirme avoir vu landes deux morts bien en vie… La procureure va se rendre sur place, seule, dans un des pires bidonville de la région. Une question : qu’est-ce qu’il y a dans l’eau noire de la rivière de ce bidonville? 

Vert rouge orangé

Un homme se renferme de plus en plus sur lui-même, en compagnie de son ordinateur, du Darkweb, du monde virtuel. Il vit dans le monde de ceux qui ne veulent plus sortir de chez eux. Là encore les problèmes de communication entre les êtres est au centre de la nouvelle.

Tu es un hikikomori. Tu sais ce que c’est, n’est-ce pas ? Ce sont ces Japonais qui s’enferment dans leurs chambres, leur famille les entretient, ils ne souffrent d’aucun autre problème mental, c’est juste que la pression du monde extérieur leur est insupportable, le fait d’avoir une vie sociale, ce genre de choses. Leurs parents ne les expulsent jamais. C’est une épidémie au Japon. Ça n’existe quasiment pas dans les autres pays. Même si parfois ils sortent, surtout la nuit, seuls. 

Oublier les gens qu’on a seulement connus à travers des mots est bizarre, tant qu’ils existaient ils étaient plus intenses que la réalité, et à présent ils sont plus éloignés que des étrangers.

Ce que nous avons perdu dans le feu

Une fille dans le métro, atrocement brulée par son mari qui l’a défigurée car elle l’avait trompé. Une top-modèle brulée à 70% par son mari… Puis des femmes commencent à s’immoler par le feu…
cette nouvelle parle de la violence de genre, de la violence conjugale, de la jalousie, des sorcières qui furent condamnées pour leurs acts et brûlées par les hommes. 

— De tous temps les hommes ont brûlé les femmes, ma petite. Ils nous ont toujours brûlées. Désormais on le fait nous-mêmes. Mais pas pour mourir : pour leur montrer nos cicatrices.

Elle entra dans le feu comme dans une piscine, plongea, désireuse de s’y enfoncer : il n’y avait aucun doute sur le fait qu’elle agissait de sa propre volonté, une volonté irrationnelle ou sous influence, mais propre. Elle brûla à peine vingt secondes. 

 Je leur raconte que nous, les femmes, on nous a toujours brûlées, on nous a brûlées pendant quatre siècles ! Elles ont du mal à le croire, elles ne savaient rien des procès en sorcellerie, vous imaginez ? L’éducation de ce pays laisse vraiment à désirer.

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