Andréa, Jean-Baptiste « Des diables et des saints » (2021) 298 pages
Auteur:
Jean-Baptiste Andrea, né le 4 avril 1971 à Saint-Germain-en-Laye, est un écrivain, scénariste et réalisateur français. Il a des origines italiennes par sa mère, ainsi que grecques, baléares et pied-noir d’Algérie.
Romans:
Ma Reine (2017) – Cent millions d’années et un jour (2019) – Des diables et des Saints (2021) – Veiller sur elle (2023)
Il reçoit le prix Femina des lycéens et le prix du premier roman pour son premier livre, Ma reine, sorti en 2017, le Grand Prix RTL-Lire en 2021, ainsi que le prix Goncourt 2023 et le Grand prix des lectrices de Elle pour son quatrième roman, Veiller sur elle.
Iconoclaste – 14.01.2021 – 368 pages / Poche – 18.08.2022 – 298 pages
Grand prix RTL-Lire – Prix Relay des Voyages lecteurs.
Résumé:
Qui prête attention à Joe ? Ses doigts agiles courent sur le clavier des pianos publics dans les gares. Il joue divinement Beethoven. Les voyageurs passent. Lui reste. Il attend quelqu’un, qui descendra d’un train, un jour peut-être. C’est une longue histoire. Elle a commencé il y a cinquante ans dans un orphelinat lugubre. On y croise des diables et des saints. Et une rose.
Mon avis:
Tout comme le premier livre que j’ai lu de cet auteur, « La reine » j’ai retrouvé les thèmes de l’enfance, – plutôt l’adolescence dans le cas présent – , des êtres cabossés par la vie, la quête de liberté, la nature hostile, l’étranger qui est muré dans son silence…
Avec ce roman je suis passée à un cheveu du coup de coeur absolu. Tout y était… l’écriture, le rythme, la musique… tout sauf la petite étincelle qui est pour moi l’attachement aux personnages. Et pourtant il avait tout pour lui le petit Joe… mais voilà… Je l’ai suivi avec intérêt, tristesse, révolte, pitié, intérêt, tout tout tout mais je ne m’y suis pas attachée viscéralement …
Il n’empêche que je recommande chaleureusement ce livre qui est poignant, révoltant, qui raconte une belle aventure humaine… et les diables ne sont pas ceux que l’on croit…
Il parle du statut des orphelins, mis à l’écart de la société, enfermés dans des conditions monstrueuses, du pouvoir des prêtres, de la maltraitance enfantine, de l’injustice, des brimades, des châtiments corporels… et des orphelins qui deviendront des artistes reconnus, hors normes, comme Bach, Caravaggio, Ella Fitzgerald, Bruckner, Louis Armstrong, Ray Charles, John Lennon, et la liste est longue…
Il parle de survie, d’amitié « à la vie à la mort », des liens qui se tissent entre les pensionnaires, de la trahison, de la haine de l’enfer sur terre. En toile de fond, le souvenir de son prof de musique quand il il n’avait pas encore perdu ses parents…
Il parle aussi d’amour, de musique, de rythme… beaucoup de rythme. Il parle musique, de Beethoven, de Sinatra, de piano, de guitare avec Robert Johnson – voir ma chronique sur le livre d’Hervé Gagnon« Crossroads – La dernière chanson de Robert Johnson » (2021) 560 pages – , de rock ,de samba, de cante jondo…
Il nous parle aussi du ciel, des confins de l’univers et de sa propre réalité, confrontée aux confins de la France, au bout du bout de la civilisation …
J’ai eu le plaisir de rencontrer l’auteur au Festival du lac 2024 ( dans la campagne genevoise) et ce fut un pur bonheur. Je ne vais pas tarder à lire « Veiller sur elle ».
Extraits:
Une motrice TGV s’échoue voie L, haletant par toutes ses ouïes. Une baleine électrique qui nage depuis Nice à trois cents kilomètres-heure, le fretin indigeste qu’elle recrache sur le quai, tourbillonnant en une pâte lourde de verre fondu.
J’étais orphelin comme on est lépreux, phtisique, pestiféré. Incurable. Pour protéger les bien-portants de mes exhalaisons de souffrance, il fallait me mettre à l’écart. Simple mesure de prophylaxie, au cas où ce serait contagieux.
Vous vous demanderez en le découvrant comment ils ont pu construire là, dans ce fond de vallée. Tout vient buter contre une paroi de cent mètres : le vent, la route, le pays même, puisque au-delà c’est l’Espagne. Vous admirerez la prouesse, le décaissement d’un espace assez vaste pour confier la vieille bâtisse à la montagne, à la fin du dix-huitième siècle.
Cette haine fut le premier secret que nous partageâmes, une fondation solide sur laquelle nous bâtirions le reste, murs de mépris, tourelles d’indifférence, mâchicoulis, poterne, contrescarpe de dédain, de mesquinerie, de colère ravalée, une forteresse d’ombrage et de ressentiment qui s’effondrerait six mois plus tard au premier souffle de vent, preuve qu’elle n’était pas si solide après tout.
Paganini, le plus grand violoniste de tous les temps, dont on disait que sa mère avait vendu son âme à sa naissance. Le joueur de blues Robert Johnson, piètre guitariste revenu virtuose après avoir disparu quelques semaines du côté de Clarksdale, Mississippi. À l’intersection des routes 49 et 61, murmurait la légende, le diable avait accordé sa guitare.
Là-bas un gars m’a dit : « Sois ombre », et il avait raison. Le meilleur moyen de survivre ici, de survivre ailleurs, c’est de disparaître. De pas se faire remarquer. Un jour tu sortiras, naturellement. D’ici là, n’existe pas, et personne te verra.
La haine, comme la prière, se nourrit de silence.
– Oui, je te trouve belle.
– Belle comment ?
– Comme do mineur.
Do mineur, la tonalité préférée de Beethoven. Une clé où la beauté rôdait sous la tempête. L’une n’existait pas sans l’autre.
« Tout ira bien », et dans ce futur, ira, tenait le seul avenir dont nous osions parler.
Je n’avais pas encore acquis cette sagesse des hommes mûrs, qui savent qu’en matière de susceptibilité, il en va des femmes comme de l’Église. Que l’on a forcément péché, en-pensée-en-parole-par-action-et-par-omission, et qu’il faut savoir demander pardon même si l’on n’a rien fait, puisqu’il ne sert à rien de s’opposer à un décret divin.
– Sympathy, en anglais, c’est « compassion ». Ça peut être sympathie, mais là, je crois que c’est compassion.
– Ça ne change pas grand-chose.
– Ça change beaucoup de choses. Je n’ai pas de sympathie pour le diable, mais j’ai de la compassion pour lui.
– Ne confonds pas rythme et tempo, tête de mule. Le rythme n’est pas une structure horizontale mais verticale. C’est une rosée qui monte de la terre, ce qui reste d’une cloche quand elle cesse de sonner, c’est clair ?
Si mon regard est un peu lointain, parfois, pardonnez-moi. C’est que mes yeux ont trop longtemps fixé des royaumes oubliés.
Le rythme, la chose qui tenait tout, nos vies debout. Et je sus que cette fois, je ne l’oublierais pas.
C’était le pays du cante jondo, le chant profond, mais ils l’avaient rarement entendu si profond.
One Reply to “Andréa, Jean-Baptiste « Des diables et des saints » (2021) 298 pages”
Comme demandé par ma Soeurette, je remets ici mon petit commentaire…
“Belle découverte que celle du roman de Jean-Baptiste Andrea…
Le récit se déroule en grande partie dans l’orphelinat “Les Confins“, lequel porte bien son nom car au bout d’une route, aux abords de la montagne.
Joe, pianiste dans les gares, raconte son enfance, celle des autres orphelins, tous ballotés par les cruautés de la vie et des hommes.
Autre personnage important : le Rythme…
Celui de la musique de Beethoven, celui de l’oubli, celui du temps qui passe ou ne passe pas…
J’ai été scotchée par l’écriture et par les idées développées. Je n’en dirai pas plus pour ne pas trop dévoiler cette pépite “