Salem, Carlos «Le plus jeune fils de Dieu» (2017)
(Un évangile de Bière-Fiction)
Auteur : Carlos Salem, né en 1959 à Buenos Aires, a multiplié les petits boulots après ses études de journalisme. Installé en Espagne depuis 1988, il vit aujourd’hui à Madrid. Son œuvre est disponible en France chez Actes Sud.
Ses romans : Aller simple – Nager sans se mouiller – Je reste roi d’Espagne – Un jambon calibre 45 – Japonais grillés (Recueil de cinq nouvelles ) Le Plus Jeune Fils de Dieu – Attends-moi au ciel –
Actes Sud – 02.2015 – 416 pages / Babel noir – avril 2017 – 480 pages – Traductrice Amandine Py
Résumé : Un serial killer élimine des stars de téléréalité. Le principal suspect est Dieu Jr, un jeune paumé qui avait connu son quart d’heure de gloire en prétendant être le plus jeune fils de Dieu avant de se faire descendre en flèche et en direct par des journalistes sur un plateau de télévision. Dieu Jr assurait être venu sur Terre pour devenir plus célèbre que son demi-frère Jésus, un type insupportable et condescendant qu’il ne pouvait pas sentir.
Une seule personne croit dur comme fer à son innocence, un écrivain et ami de longue date surnommé Poe. Il écume les rues de Madrid pour retrouver le plus jeune fils de Dieu avant que les flics corrompus lancés à ses trousses n’arrivent à le descendre. Poe peut compter sur l’aide indéfectible du Greffier, un policier romantique et brutal amoureux d’une vierge catin, et du détective Arregui, engagé par le Vatican pour éviter le scandale. En chemin, il va croiser Mariah, sa redoutable mère, son beau-père George S. Atan, homme d’affaires à la tête d’un groupe de télévision, mais aussi Madeleine, un transsexuel vénézuélien qui fut un jour le grand amour du fugitif. Parviendra-t-il à sauver Dieu Jr ? Qui sait. La seule certitude, c’est que Poe tiendra sa promesse. Une promesse qu’il avait faite à son ami du temps où ils étaient inséparables : relater ses faits et gestes dans sa quête de célébrité.
Avec ce roman qu’il qualifie lui-même d’“évangile de bièrefiction”, Salem continue d’annoncer la bonne nouvelle du roman noir.
Mon avis : J’ai retrouvé avec plaisir Arregui qui m’avait conquise dans le roman « Je reste roi d’Espagne ». Une fois de plus l’univers de Carlos Salem est totalement déjanté. Un roman noir qui manie l’ironie et la couple avec un roman d’action. L’écriture de Salem, qui va de la poésie au langage le plus cru, en passant par l’argot et le langage ampoulé est juste magique de diversité et de saveurs.
Un roman qui parle d’amitié. Un O.L.N.I savoureux plein de rebondissement et qui m’a amusée du début à la fin. L’auteur aborde le monde de la télé-réalité, qui est un monde nauséabond et je pense que ce livre veut avant tout nous faire réagir, parler du bon et du mauvais journalisme, car un auteur doit provoquer des réactions. C’est de fait une critique de ce monde de la télé-réalité et du battage médiatique qui va avec. Dans ce roman, l’auteur montre aussi que le monde a changé et que maintenant les gens sont capables de faire n’importe quoi pour passer à la télé. Les héros d’aujourd’hui sont affligeants et nos idéaux réduits à néant. Les valeurs ont changé : George Lucas est plus craint et plus puissant que le Vatican…
Mais je dois toutefois dire que c’est le roman de Carlos Salem que j’ai le moins aimé. J’ai eu du mal à suivre, peut-être un peu trop déjanté pour moi et trop de scènes de sexe qui n’apportent pas grand-chose à l’intrigue. Mais l’intrigue, ce n’est pas la raison pour laquelle je lis cet auteur. C’est pour tout ce qui est autour. J’ai été jusqu’à la fin mais je l’ai trouvé un peu long, peut-être parce que cette fois je ne me suis attachée à aucun personnage…
Extraits :
En ce temps-là je buvais pas mal. Comme aujourd’hui, mais à l’époque c’était pour me noyer.
Maintenant je ne bois plus que pour calmer ma soif. Et j’ai presque toujours soif.
Dieu Jr se battait comme un karatéka souffrant de Parkinson.
Des individus aux culs moulés dans des sièges design placés en demi-cercle discutent comme s’ils avaient des choses à dire.
Au centre de la pelouse, Fleur peint avec une concentration que seuls les enfants, les génies et les déments, membres du même club d’ennemis de l’imposture, savent atteindre.
C’est l’inconvénient du bonheur volé : à peine évaporé, il laisse sur le palais un arrière-goût tenace de fleurs artificielles.
J’ai toujours eu une faiblesse particulière pour les filles dans son genre. Elles sont conscientes de leur corps sans en être prisonnières. Elles font avec leurs cheveux ce qu’elles font avec la vie : les secouer, les mettre de côté, les attacher et les détacher d’un seul coup, dans un élan qui n’a jamais rien de calculé.
Il y a des cons qui changent de tête, et d’autres qui changent carrément de vie.
Dès que je connais par cœur le plan d’une ville, je ressens le besoin de la quitter pour une autre où j’aurais le loisir de me perdre sans que des souvenirs trop exacts ne viennent gâcher mes découvertes. J’ai lu il y a quelque temps un roman qui se déroulait dans une ville imaginaire. Elle s’appelait “Aucune” et avait en elle un peu de toutes les villes du monde.
Une fille à chat.
Ils ont en commun des secrets, des codes qui dépassent les clichés, des sourires qui te laisseront toujours hors de leurs courbes. N’allez pas me faire le coup de la solitude et d’une compagnie qui n’exige rien d’autre qu’un bol de lait et un peu de pâtée Ronron. Par pitié ne ressortez pas cette théorie banale du privilège que nous avons de les castrer comme s’ils nous castraient nous-mêmes, pour leur éviter de succomber quand ils partent rôder sur un autre toit. Vous savez bien que ce n’est pas ça, qu’entre les filles et leur chat il s’agit d’autre chose. Vous pouvez passer votre vie à tenter de les comprendre.
Le jour où il a compris que mon nom ne me nommait plus, il m’a surnommé “Poe”.
— Parce que tu es à moitié poète, me dit-il en guise d’explication.
C’est un quartier fait de morceaux d’Histoire et d’histoires tout court. Un quartier à l’âme de fleuve, qui coule de bras en affluents dans des rues rapides comme des torrents.
Les gens se fichent bien qu’on les prenne pour des cons.
Mais ils ne supportent pas de s’en rendre compte.
Mais être journaliste, c’est comme être alcoolique : tu l’es pour toujours, que tu le veuilles ou non.
Parfois je me demandais ce qu’un Inuit pouvait bien foutre de mon recueil de poésie alcoolique, mais mon inquiétude ne durait pas longtemps : j’ai toujours su que j’étais plutôt glacial comme écrivain.
À de rares exceptions près, je ne foutais plus les pieds à la rédaction. Il me suffisait d’envoyer mon article chaque jour, et on me payait dix fois plus qu’avant. Je me pris à rêver que tout ne soit qu’une succession de clics. Ça m’avait l’air très bien. Tant que tu entends clic de temps en temps, rien n’est perdu. Tu sens que les pièces du puzzle s’emboîtent, même si tu sais bien que l’ensemble, tout le reste, n’a aucun sens. Mais il suffit d’un clic, et ça va à peu près. Par contre quand tu n’entends plus de clics, c’est mauvais signe, ça veut dire que quelque chose fait crac à l’intérieur.
Un crac, c’est l’horreur. Et il ne faut pas faire comme tous ces abrutis qui confondent un crac avec un clac ou pire, qui sont convaincus qu’un clac est la même chose qu’un clic.
Tu l’as fait pour le pouvoir des mots. Tu veux sentir que tu as réussi à ruiner cette fondation de merde et tu tiens à ce que tout le monde le sache. C’est précisément ce qui fait la différence entre un journaliste et un écrivain.
Mais c’est toujours truqué ! Même quand c’est vrai ! Et le téléspectateur, tu crois pas qu’il s’en tape de savoir si c’est truqué ou non ? Ce qu’il achète, lui, c’est du rêve.
Un cinglé exceptionnel, mais un cinglé tout de même. Ce qui me poussait à le supporter, je pense, c’est cet enthousiasme désespéré qu’il savait transmettre, ce besoin enfantin de revendiquer son origine tout en tentant désespérément de la nier.
qu’est-ce que les gens veulent, de nos jours ? Se sentir différents des autres, même s’il faut dépenser quatre fois plus pour avoir le modèle d’ordinateur que tout le monde rêve d’avoir, ou foutre la moitié de son salaire dans un portable, de telle marque et pas un autre.
Existe-t-il prison plus hermétique que celle qu’on se construit en soi-même ?
Ou plutôt l’écume d’une idée. Au moindre souffle, si je veux la voir de près, elle risque de se défaire en mille bulles aériennes.
J’ai été journaliste et je sais ce que ce métier peut avoir de merdique, mais les émissions people, ça n’a rien à voir avec du journalisme. Ça n’en sera jamais. C’est de la merde pure. Ma morale est élastique mais elle a ses limites.