Germain, Sylvie «Un monde sans vous» (2011)
Récit : « Chacun recèle dans son imaginaire un atlas amoureux qu’il compulse selon sa fantaisie. Un atlas amoureux est forcément extravagant, illustré de cartes et de planches qui ne respectent pas toujours la bonne échelle. C’est un imprécis de géographie passionnelle. »Que le voyage soit dans l’espace, la Sibérie en transsibérien jusqu’à Vladivostok, ou dans le temps, le souvenir des êtres chers et disparus, Sylvie Germain, par la puissance et la beauté des images qu’elle évoque, nous en fait partager l’émotion, la force des sentiments, l’aura des légendes qui le nimbe et la fragilité de toute existence.
Contexte : 28 mai 2010, à Moscou, un petit groupe d’écrivains français (et deux photographes) montent à bord du Transsibérien, dans deux wagons de première classe fraîchement repeints aux couleurs de l’année France-Russie. Direction Vladivostok, à marche lente, au gré d’un programme de rencontres et de visites supposées promouvoir l’amitié franco-russe et les échanges littéraires entre les deux pays. Sylvie Germain, Mathias Enard et Olivier Rolin ont évoqué ce voyage sans en témoigner vraiment, dans des livres parus en 2011.
Aujourd’hui, près d’un siècle après la publication de ce poème mythique, ces auteurs représentatifs de la littérature française contemporaine, dont certains ont déjà écrit leurs textes sur ce voyage, accompliront le voyage imaginé par le poète: Patrick Deville, Géraldine Dunbar (Seule sur le Transsibérien- Transboréal- 2010), Jean Echenoz, Mathias Enard (L’alcool et la nostalgie- Inculte éditions, 2011), Dominique Fernandez (Transsibérien-Grasset, 2012), Sylvie Germain (Le monde sans vous- Albin Michel, 2011), Guy Goffette, Minh Tran Huy, Maylis de Kerangal (Tangente vers l’est- Verticales, 2012), Kris, Wilfried N’Sondé, Jean-Noël Pancrazi, Olivier Rolin (Sibérie – Inculte éditions, 2011), Danièle Sallenave (Sibir- Gallimard, 2012), et Eugène Savitskaya accompagnés des photographes Tadeusz Kluba et Ferrante Ferranti, se sont lancés dans l’aventure en traversant la Russie d’Ouest en Est.
Mon avis : Encore et toujours sous le charme … Ce n’est pas pour rien qu’elle fait partie de mes auteurs « Coup de cœur » et tout en haut de la liste !!! Une fois encore cette écriture ciselée, magnifique, poétique, précise, évocatrice, subtile, délicate, éthérée. Les mots sont des touches de couleur, nuances, posées par touches délicates sur le monde et les sentiments. «Variations sibériennes» en relation avec la disparition de sa mère, «Kaléidoscope» dédié à son père, «Il n’y a plus d’images» et «Cependant» ; entre rêve et réalité, quatre textes sur le manque, le deuil, le lien impalpable avec ceux qui ne sont plus.. Le vide des paysages sibériens et le désert que son père aimait tant se rejoignent pour parler de l’absence, du manque, du trou laissé par le départ .. Nostalgie et tristesse ne sont toutefois pas du voyage car les disparus revivent par une évocation, un souvenir, le rappel d’une couleur ou d’une œuvre.. . Sylvie Germain tisse et entrelace vivants et disparus, grains de sable et étoiles, reflets de l’eau et regards… Un dialogue muet, silencieux avec les âmes envolées… Elle illustre aussi ces quelques pages avec des poètes (Ossip Mandelstam – Anna Akhmatova) et des peintres (Piero Della Francesca) … Lumière et eau se conjuguent pour lier présent et passé, lueurs évanescentes, reflets des glaces translucides, remous de l’eau, miroitements et scintillements sont les échappées vers nos morts. L’immensité, si proche et si lointaine, si vide et si remplie, si silencieuse et si bruissante; espace et temps se confondent, lumière et ombre, jour et nuit, sable et poussière,. Dans l’hommage au père, on est davantage en contact avec le concret, une terre « vivante » ( les collines, les vallées , la végétation, les animaux) .
Vivons avec nos morts, et comme les anciens égyptiens, ne les enterrons pas.. .Il faut les évoquer, leur parler, les garder vivants
Extraits : ( que quelques phrases; je vous laisse le plaisir de la découverte)
Il va, le Transsibérien, il va il va, il épouse le temps, macéré de patience. Il traverse une géographie du temps, d’ouest en est. Il va à rebours du trajet du soleil. Il désheure le corps, et peu à peu, l’esprit des passagers.
Mais elle ruse, la terre, comme rusent les morts, pour s’exprimer encore, envers et malgré tout. Elle déploie un grand vocabulaire : minéral, ligneux, végétal et aqueux. Elle parle en noir et brun, en vert et bleu et en lueurs argentées. Par instants, elle lance des cris furtifs, orange ou jaune aigu.
Les mares et les flaques qui croupissent dans les fondrières ont des lueurs d’étain ou d’argent miroitant, pareilles à des crevés de satin blanc ornant les manches d’une robe de velours noir.
Les heures s’écoulent, s’épanchent les unes dans les autres, forment des jours qui à leur tour s’entrelacent, se confondent, tissent avec les nuits un long jour indéfini qui passe du blême au gris rosé, du gris bleuté au gris cendreux, du violet au noir et du noir ——– au rien.
Le lac et les remous du ciel suffisent à son bonheur, ils lui sont une aventure sans fin renouvelée.
Mais s’il fut orpailleur du langage, il n’en devint jamais orfèvre. Le plaisir et la jouissance des mots l’ont emporté chez lui sur le souci de perfection
Tout ce qui s’exhume de l’oubli garde de son séjour dans l’absence, dans le hors-champ mental, un « sfumato », un léger tremblé. La mémoire est un théâtre où les souvenirs prennent souvent une grande liberté avec le passé qu’ils sont censés représenter, et la conscience est une chaire souvent bancale, branlante, dotée d’un abat-voix à l’acoustique fantasque ; le sens qui s’élabore en elle est sujet à des emmêlements, des confusions et des télescopages, il se propage en zigzags ou en spirales, parfois se brise dans sa course, se renoue, se relâche, se resserre, se relance.
Sylvie Germain « Auteur Coup de cœur » : voir la page
2 Replies to “Germain, Sylvie «Un monde sans vous» (2011)”
Merci Catherine pour tous tes articles !
Meilleurs souhaits de belles et heureuses lectures partagées pour cette nouvelle année sans oublier tous les autres plaisirs de notre vie ! Que paix, joie et santé t’accompagnent !
Je n’ai pas lu ce livre de Sylvie Germain mais beaucoup d’autres desquels il se dégage vraiment une magie et une atmosphère si particulières et que j’aime beaucoup, je rejoins ce que tu décris si bien pour cette auteure!
Merci Fran. Sylvie Germain est une de mes romancières préférées. Un pur moment de délicatesse et un festival de nuances qui me bouleverse toujours.