Appanah, Nathacha «La noce d’Anna» (2005)

Appanah, Nathacha «La noce d’Anna» (2005)

Auteur : Ayant le créole mauricien comme langue maternelle, Nathacha Devi Pathareddy Appanah, dont la famille descend d’« engagés » indiens immigrés à Maurice, écrit en français. Elle travaille d’abord à l’île Maurice comme journaliste pour Le Mauricien et Week-End Scope. Elle s’installe en 1998 en France, où elle poursuit sa carrière de journaliste dans la presse écrite et en radio. Ses articles sont publiés dans Géo Magazine, Air France Magazine, Viva Magazine et elle fait des reportages pour la Radio suisse romande, RFI, France Culture.
Son premier roman, Les Rochers de Poudre d’Or, publié en 2003 aux Éditions Gallimard raconte l’épopée des travailleurs indiens venus remplacer les esclaves dans les champs de canne à sucre à l’île Maurice. Son deuxième roman Blue Bay Palace (Gallimard, 2004) donne à voir la schizophrénie d’une île Maurice entre l’image de la carte postale et une société très marquée par les classes, les castes et les préjugés.
Dans La Noce d’Anna, publié en 2005 aux éditions Gallimard, la narratrice, tout en vivant la journée du mariage de sa fille, Anna, s’interroge sur la transmission entre mère et fille.
Le Dernier Frère, publié en 2007, aux éditions de l’Olivier, raconte l’histoire de Raj, un garçon mauricien et de David, un jeune juif qui se retrouve enfermé à la prison de Beau-Bassin pendant la Seconde Guerre mondiale. Le Dernier Frère a reçu plusieurs prix littéraires dont le prix du roman Fnac 2007, le prix des lecteurs de L’Express 2008, le prix de la Fondation France-Israël. Il a été traduit dans plus de quinze langues. En 2015, parution de En attendant demain (Gallimard 2105)
Paru en 2016, son roman Tropique de la violence est issu de l’expérience de son séjour à Mayotte où elle découvre une jeunesse à la dérive (source Wikipedia). Et toujours en 2016, «Petit éloge des fantômes» , 7 petites nouvelles.

Résumé : « Sur le mur, la robe est accrochée comme un tableau de chasse. Elle est belle, sans doute un peu sage mais, qu’importe, c’est le jour d’Anna. Aujourd’hui, 21 avril, je marie ma fille, je laisserai de côté mes pensées de vieille folle, je serai comme elle aime que je sois : digne, bien coiffée, bien maquillée, souriante, prête à des conversations que je suivrai avec un enthousiasme feint et qui ne me laisseront aucun souvenir, parée pour butiner d’invité en invitée, mère parfaite que je serai aujourd’hui. Je me cacherai pour inhaler mes Fumer Tue.

Je marie ma fille, aujourd’hui. Cette phrase bondit dans ma tête tandis que je la regarde dormir. J’ai quarante-deux ans et je marie ma fille aujourd’hui. J’ai soudain l’impression d’être sortie de mon corps, de flotter au-dessus d’Anna endormie et de moi-même, de regarder tout cela comme on regarde un film, de me dire que cela ne peut pas m’arriver, pas à moi. J’aurais souhaité être sage le jour du mariage de ma fille… »

Pendant la noce d’Anna, sa mère se souvient. De la jeune femme qu’elle a été, si différente de sa fille aujourd’hui, de ses rêves, de ses espoirs, de ses envies ; parce qu’elle en a encore, des envies, cette femme célibataire qui marie sa fille… Pendant la noce, l’enfance d’Anna resurgit avec le souvenir du père, de l’absent, de l’inconnu… Et un autre bonheur pointe son nez dans la nuit. »

Mon avis : Ah oui ! Appanah je découvre et je ne vais pas m’arrêter là. Une Maman et sa fille unique. L’amour les lie mais il y a un fossé entre elles. La Maman ne veut que le bonheur de sa fille mais sa définition de la vie et du bonheur est aux antipodes de la vie rêvée par sa fille. Mais pour lui faire plaisir elle va, comme toujours, brider son exubérance et sa nature libre pour rentrer dans le moule bon chic bon genre. L’eau et le feu, la flamboyance et la grisaille, la spontanéité et la normalité se côtoient. Beau roman sur l’amour et le respect de l’autre. Je recommande vivement. Par moments, j’ai eu l’impression de retrouver ma Maman, qui faisait tout pour mon bien, qui vivait pour moi.. et qui m’étouffait un peu… car même si on s’adorait, on ne pensait pas toujours de la même façon.. mais je pense que c’est le cas quand une mère élève seule sa fille.. et qu’elle rêve pour elle d’un avenir..

Extraits :

Peut-être n’est-ce qu’une idée à moi, de ces milliers d’idées qui me trottent dans la tête et auxquelles je crois tout simplement parce qu’elles sont là, toujours, au même endroit

J’aurais aimé qu’elle me donne un petit nom, quelque chose qu’elle aurait inventé pour moi, qui ne serait qu’à moi

Ou est-ce moi qui ai fait le premier pas de côté à force d’être penchée sur des livres, de nourrir des familles entières dans ma tête, de les aimer, de les faire grandir, de les tuer, de les triturer à ma guise, peut-être dans ces moment-là, ai-je été une mère distante, absente, faite de cendres et de fumée

j’aime bien ça, entendre mon prénom et un vous qui s’y colle. J’ai l’impression d’être respectée et pourtant d’être assez séduisante pour encore avoir un prénom qu’on promène sur la langue

Peut-être, après tout, ce sont ces petits riens qui font la différence ? Une habitude, une routine et, soudain, un changement et on découvre, les mains dans la tête, ce que l’on a perdu

Je me suis dit qu’il y avait plein de choses comme cela, des choix que nous faisons pour les autres, croyant leur faire plaisir, et par je ne sais quelle construction arrogante de l’esprit, finir par croire être meilleur juge qu’eux-mêmes de leur bonheur

Oui, j’espérais que tu tombes sur un garçon qui te fasse rêver, qui t’emporte loin de tes chiffres et de tes rêves de vie bien réglée, qui t’emmène en voyage dans les pays dont on n’arrive même pas à prononcer les noms, un homme qui lise le matin, pas juste le soir histoire de s’endormir, un homme avec une barbe de deux jours qui pique et qui chatouille et qui ferait rire ta mère, aussi

acheter des fleurs deux jours avant pour donner l’impression qu’on a toujours des fleurs chez soi, pas qu’on les a achetées pour l’occasion

devant cette phrase définitive, cette phrase couperet, qu’on ne devrait jamais énoncer ou alors juste devant la mort quand on se souvient de nos amours passées et qu’on en choisit un, rien qu’un pour emmener avec soi de l’autre côté, devant cette phrase que je n’ai moi-même jamais dite, jamais pensée, j’ai cédé

je mets de la musique des années soixante en boucle. Je connais les paroles par cœur, je swingue, je rocke, j’ai l’impression d’avoir quinze ans. Je monte le volume très haut, je grignote des choses qui sont forcément mauvaises pour ma santé et mon estomac se remplit vite

qu’elle souffre quand je suis comme cela, évanescente et translucide, me comportant comme si ma vie était ailleurs, dans mes livres et pas ici, maintenant

j’ai soudain peur que cette pensée se réalise et qu’un policier frappe à ma porte et m’accuse d’avoir souhaité que ces deux-là restent ensemble pour l’éternité, enchaînés dans la vie et la mort

Moi qui aimais tant Londres, moi qui aimais tant cette ville où sur le même trottoir pouvaient marcher un punk, une bourgeoise rousse en tailleur, un businessman, une femme indienne en sari et un Écossais en kilt, moi qui m’émerveillais quotidiennement du vent, de l’herbe, du bleu unique du ciel les jours où il faisait beau, je n’ai pu rester

Mais j’ai appris que l’expérience des autres n’a jamais servi à rien. D’ailleurs, on se demande bien si on apprend de sa propre expérience.

Je la protège, sans elle je n’existe pas ; un court instant je ne voudrais pas qu’elle s’en aille, je voudrais la revoir petite fille penchée sur ses cahiers Clairefontaine et me posant des milliers de questions avec la certitude que sa mère saurait répondre à tout

Je ne suis peut-être après tout que comme ces arbres aux racines adventices, affleurant le sol, pouvant se faire balayer d’un coup de vent mais qui tout aussi vite peuvent s’accrocher à n’importe quelle terre

il porte en lui le courage de l’émerveillement, aujourd’hui la campagne, demain un livre, après-demain un visage. Les années et les nombreuses épreuves ne sont pas arrivées à bout de cette qualité

Mais je ne peux pas partir, je perds mon temps, je me fais des fausses joies, alors que j’ai une fille qui m’attend, un bout de moi et d’un homme que j’ai aimé du mieux que j’ai pu, tendrement, tranquillement, qui écoutait la musique de mes mots et que j’ai laissé partir parce que c’est ce qu’on fait quand on aime. Laisser partir, attendre, ne rien attendre, recevoir, redonner

Je voudrais mettre un point final à cette histoire, fermer la page, plus rien à ajouter. Une fin parfaite, un happy end, avec un petit dessin romantique en dessous, une guirlande, un bouquet, de ce genre de dessins qui apparaissent à la fin des dessins animés ou des films d’amour. Ma vie ressemblerait alors à un paquet cadeau bien emballé

Combien de temps passons-nous à compliquer notre vie ? Combien de temps gaspillons-nous à nous occuper du monde, de notre image, des semblants et des faux-semblants et oublier, ainsi, de regarder ceux qui nous sont chers ? Combien de théories avons-nous élaborées sur l’égalité, la tolérance et combien de fois avons-nous fait preuve, chez nous, le masque levé, de racisme primaire ?

Je me dis alors qu’il faut que je me souvienne. J’ai si peu fait cela. Amasser les souvenirs comme autant de beaux galets pour les jours où je serai seule

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *