Salem Carlos : « Nager sans se mouiller » (10.2010)

Salem Carlos : « Nager sans se mouiller » (10.2010)

Auteur : Carlos Salem, né en 1959 à Buenos Aires, a multiplié les petits boulots après ses études de journalisme. Installé en Espagne depuis 1988, il vit aujourd’hui à Madrid. Son œuvre est disponible en France chez Actes Sud.
Ses romans : Aller simple – Nager sans se mouiller – Je reste roi d’Espagne – Un jambon calibre 45 – Japonais grillés (Recueil de cinq nouvelles ) Le Plus Jeune Fils de Dieu – Attends-moi au ciel –

Résume de l’éditeur : Juanito Pérez Pérez, bientôt quadragénaire, timide et divorcé, est cadre supérieur dans une multinationale. Mais il est aussi Numéro Trois, un redoutable tueur à gages qui ne s’est jamais posé de questions sur son métier. Jusqu’à ce jour. Au cours des premières vacances qu’il passe seul avec ses enfants, il devra remplir un contrat de dernière minute : surveiller une future victime dans un camping de nudistes sur la côte sud de l’Espagne. Là, Juanito/Numéro Trois va découvrir que rien n’est ce que l’on croit. Nu face à la vie et nu face à la mort, il rencontrera son ex-femme et son nouvel amoureux, un ami d’enfance à qui il a volé un œil et une jambe, un policier atypique qui a plusieurs fois croisé sa route, un rival au sein de sa propre Entreprise qui est peut-être là pour l’exécuter ainsi que sa famille, et une mystérieuse jeune fille qui va le pousser à affronter les dangers de l’amour. Entre l’urgence de sauver les siens et le besoin de comprendre, le protagoniste sent que l’heure est arrivée de choisir qui il veut être, s’il survit. Et que, comme disait toujours son vieux maître, “il est impossible de nager sans se mouiller”.

Mon avis : Nettement moins déjanté que « Je reste roi d’Espagne » ( son troisième) mais très sympa. Moins poétique que son premier (Aller simple) Permet de comprendre les liens qui unissent les personnages et nous accompagnent de livres en livres.. Mais toujours plein d’humour, de « pétillance », d’ironie. On est dans le délire… mais moins que d’habitude. On est aussi davantage dans le polar.. et comme toujours dans des situations bien à lui…

Extraits:

« Nous faisions tout ensemble et ensemble nous serions pirates. La vie, à quatorze ans, consistait encore à se demander si on serait pirate ou astronaute. »

« Leti, je ne sais pas, je la surprends à regarder furtivement, elle hoche doucement la tête comme si elle était en train d’enregistrer une connaissance théorique dans le casier correspondant de la réalité. Comme sa mère, ma fille sera une femme à casiers. »

« Je gémis ou c’est elle ou nous deux, ensemble. J’entre en Yolanda comme dans une maison nouvelle, pleine de surprises, j’en explore chaque recoin, une fois puis une autre, parce que les chambres de son plaisir sont illuminées ou s’éclairent chaque fois que j’y pénètre. »

« Une pause, nous reprenons notre souffle, les vagues nous lèchent comme nous le faisions un instant auparavant, et la lune me dit que la nuit ne fait que commencer. Et qu’elle nous appartient. »

« Elle ouvre les yeux et son regard est une caresse. — Je veux plus, murmure-t-elle. Je veux une nuit encore, je veux d’autres nuits et, s’il t’en reste, je veux un jour aussi. »

« Je la prends dans mes bras. Nous flottons dans des nuages de champagne, nous respirons des bulles, nous aspirons des liqueurs, dans une langueur tendue d’énergie. »

« Nous flottons dans des nuages de champagne, nous respirons des bulles, nous aspirons des liqueurs, dans une langueur tendue d’énergie. Je sais que dehors il fait jour. Mais, dans une chanson dont je ne me souviens pas, il était dit qu’il faut être deux pour que le matin soit toujours hier soir. Il suffit de fermer les volets. Nous n’en avons pas ici, mais il y a cette couverture légère qui ne nous a pas servis et dans l’ombre de laquelle nous plongeons. »

« La nuit est partie avec elle et d’un seul coup le jour redevient le maître du monde. »

« Le moment où j’aurais pu me lancer s’est présenté et je l’ai laissé filer. Quand on passe sa vie à lire, on finit par croire que la vie est un livre, qu’on peut revenir en arrière si l’on perd le fil de l’histoire. Mais ce n’est pas comme ça. La vie, notre propre vie, on ne peut la lire qu’une fois, tout en avançant. Et connaissez-vous quelque chose de plus difficile que de lire en marchant ? »

« Je lui tourne le dos et me dirige vers la piscine. Je ne suis pas fier, mais ce n’est pas désagréable de voir quelqu’un se montrer ridicule. Quelqu’un d’autre que moi. »

« — Souviens-toi de ce que je vais te dire, mon gars. C’est la leçon numéro zéro, la première et la dernière : la nature est sage, mais elle a ses limites. Une chenille peut se transformer en papillon, mais un fils de pute sera toujours un fils de pute. J’ai eu envie de lui demander s’il faisait allusion à Numéro Treize ou s’il voulait parler de nous. »

« Que puis-je lui dire, comment lui raconter ce que je ne me raconte pas à moi-même ? Le mieux c’est de ne rien dire, de regarder les nuages et la mer au loin. Attendre que le silence réponde. »

« Les souvenirs perdent leur précieuse imperfection, même s’ils acquièrent la gloire des mots. Quand on n’a plus rien, il reste les paroles, pauvres compagnes de lit. Les livres sont un harem surpeuplé, dans les couloirs duquel il est aisé d’égarer le désir ou d’entrer dans le mauvais lit. Et puis, cher Juan, ne vous faites pas d’illusions : il est des occasions où les livres ne servent à rien. »

« J’exige que, à la fin du roman, je puisse vivre sans mensonges, savoir si je suis Juanito ou Numéro Trois. Savoir. Vivre. Aimer. Même si ça doit me faire souffrir. Même si je dois mourir en conjuguant ces verbes. »

« Cette ardeur lui appartient et je dois la garder jusqu’à son retour. Tout le reste peut attendre, pas son souvenir. »

« Et quoique dise Camilleri, il n’y a pas de mots qui puissent rendre plus beau ce que je garde d’elle sur le bout de mes doigts. Triste joie, bonheur peint à l’aquarelle et séché par des soupirs, tout ça est si nouveau et si ancien que, comme un adolescent amoureux, je m’endors paisiblement, mon sexe accusant le ciel de ne pas me permettre de la posséder ici et maintenant. »

« Quelque chose en relation avec mon travail, je pourrais le jurer. Ce que nous savons, nous ne le tenons pas entièrement de notre formation. Les expériences s’additionnent, par couches. Des couches minces. Des signes. Des pistes. »

« Mais avant je ne savais pas le distinguer, comme la plupart des gens. Le silence de ce que l’on n’attend pas, de la mauvaise nouvelle qui ne nous concerne pas mais qui est passée si près qu’elle nous glace le sang. Le silence des murmures quand on n’a pas encore de bras assez solides pour s’accrocher à quelqu’un, pas de jambes pour courir comme le vent. Le silence déchiré par les spéculations avortées, des bribes de questions. Le bruit d’une terreur informe. Mais précise. »

« Comme si j’allais au cinéma. Je fais ça de temps en temps. Regarder les gens comme s’ils étaient les personnages d’un film. »

« Le vieux Trois disait qu’il existe un instant, un seul, pas une heure ni une minute ni même une foutue seconde, un instant au cours duquel les choses changent. »

« Je regrette, mais je ne vois pas de solution. Chacun construit son personnage, et puis vient un moment où ce n’est plus un personnage, c’est devenu toi. Et si tu ne quittes pas très vite ce masque, tu te rendras compte que ce que tu essaies d’enlever c’est ton propre visage. C’est douloureux, juge. C’est très douloureux. »

« Je crois que je demandais au vieux Numéro Trois qui étaient les personnes assises aux autres tables, il haussait les épaules et répondait que les gens ne disparaissent jamais complètement, ils sont toujours avec toi mais, si tu apprends à les porter sur tes épaules, ils ne te dérangent pas trop. »

« Je crois que je demandais au vieux Numéro Trois qui étaient les personnes assises aux autres tables, il haussait les épaules et répondait que les gens ne disparaissent jamais complètement, ils sont toujours avec toi mais, si tu apprends à les porter sur tes épaules, ils ne te dérangent pas trop. Je comptais ces personnes sans visages et souriantes, elles étaient quatorze, c’étaient mes morts. »

« Il pleut. Comme si le ciel voulait laver quelque chose. Quelque chose de si sale que seul un déluge d’été pourrait débarrasser de sa crasse. Il pleut et je crois que ça vaut mieux. La visibilité réduite équilibre les forces. Si tant est qu’il m’en reste. »

« Peut-être n’étaient-ce pas des larmes mais les gouttes de cette pluie qui martèle l’asphalte comme Arregui martèle maintenant mon bras de son poing puissant. C’est sûr qu’utiliser ma tête n’est pas mon truc ce soir, avec tous les verres et tous les doutes qui la remplissent. »

« Nous récupérons notre souffle, enlacés comme deux arbres ayant survécu à un ouragan, mais qui craignent de s’effondrer à la prochaine brise. »

« Je retourne sur le lit et je profite du temps qu’il met à revenir pour réfléchir. Je n’arrive à aucune conclusion, mais je m’attarde sur les franges des rêves que j’ai faits avant de me réveiller. Ce n’étaient pas des rêves, plutôt des souvenirs dont j’ignorais l’existence, des ébauches de révélations imminentes. »

 

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