Ng, Celeste «Tout ce qu’on ne s’est jamais dit» (2016)

Ng, Celeste «Tout ce qu’on ne s’est jamais dit» (2016)

Auteur : Celeste Ng est une romancière et nouvelliste americaine née à Pittsburgh, Pennsylvanie en1980. Originaires de Hong Kong, ses parents se sont installés aux États-Unis à la fin des années soixante. Son père, physicien, a travaillé au Glenn Research Center et sa mère, chimiste, a enseigné à l’Université d’État de Cleveland. Celeste obtient un BA d’anglais à l’Université Harvard en 2002, puis un MFA en écriture à l’Université du Michigan où elle a été lauréat du prix Hopwood pour sa nouvelle « What Passes Over ».  Celeste Ng vit à Cambridge, dans le Massachusetts, avec son mari et son fils.

Son premier roman, « Tout ce qu’on ne s’est jamais dit » (Everything I Never Told You, 2014) a été récompensé aux USA par le Alex Award et le Massachusetts Book Award en 2015, et en France par le Prix Relay des Voyageurs – Lecteurs 2016. Avec son deuxième roman, « La Saison des feux » paru en France en 2018 (Little Fires Everywhere, 2017), elle confirme son talent exceptionnel. Il va être adapté en mini-série produite et jouée par Reese Witherspoon et Kerry Washington.

Sonatine – 03.03.2016 – 278 pages -Traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau – Prix Relay des voyageurs-Leclerc / Pocket – 02.03.2017 – 343 pages

Résumé : Connaissez-vous vraiment vos proches ? Lydia Lee, seize ans, est morte. Mais sa famille l’ignore encore… Élève modèle, ses parents ont placé en elle tous leurs espoirs. Sa mère, Marylin, femme au foyer, rêve que sa fille fasse les études de médecine qu’elle n’a pas pu accomplir. Son père, James, professeur d’université d’origine chinoise, a tant souffert de sa différence qu’il a hâte de la retrouver parfaitement intégrée sur le campus. Mais le corps de Lydia gît au fond d’un lac. Accident, meurtre ou suicide ? Lorsque l’adolescente est retrouvée, la famille Lee, en apparence si soudée, va devoir affronter ses secrets les mieux gardés.
Des secrets si longtemps enfouis qu’au fil du temps ils ont imperceptiblement éloigné ses membres, creusant des failles qui ne pourront sans doute jamais être comblées. Bien sûr, Tout ce qu’on ne s’est jamais dit distille un suspense d’une rare efficacité. Mais ce livre qu’on garde en soi très longtemps est bien plus que cela. Celeste Ng aborde la violence de la dynamique familiale, les difficultés de communication, le malaise adolescent, avec une intensité exceptionnelle qui évoque l’univers de Laura Kasischke.
En distinguant cette ouvre envoûtante comme l’un des meilleurs romans de l’année, les critiques anglo-saxons ont salué la naissance d’un écrivain majeur et fait le succès du livre, vendu à plus d’un million d’exemplaires.

 

Mon avis : C’est vrai que si on aime Laura Kasischke, on devrait aimer cette romancière. Les thèmes chers à Kasischke sont au centre du roman : l’adolescence, la peur, la culpabilité, la solitude, le mal-être, les relations mère/fille …

Le poids de la différence : être métis ou oriental dans un monde de blancs… Etre homosexuel. Oser être un couple mixte … Vouloir etre une femme active au même niveau que les hommes … Ne pas être intégré, être à part… Etre seul non par véritable choix mais par peur des réactions de l’autre. Etre une femme ambitieuse dans une société masculine. Ne pas être reconnue pour ce qu’on est réellement mais voir sa vie conditionnée par les phrases d’un livre de cuisine ou d’éducation des jeunes filles pour bien tenir une maison et être une bonne mère et épouse… Le poids que fait peser sur les épaules des enfants l’envie de faire de leur vie ce que leurs parents souhaitent… Modeler leur attitude pour se conformer à leur souhait : des petits sacrifices minuscules qui mis bout à bout changent leur vie, même s’ils le font pour faire plaisir et non parce que les parents le leur demandent…

Un roman tout en finesse. L’histoire d’une famille qui vit de non-dits… La vie d’une jeune fille qui vit avec la peur : peur de déplaire, peur d’être abandonnée, peur de ne pas etre conforme aux attentes, peur de ne pas être à la hauteur. Dans l’Amérique des années 60/ 70, la femme n’est pas encore libre mais c’est en bonne voie. Et du coup la jeune fille va porter sur ses épaules la vie que sa mère rêvait pour elle-même. Et comme elle ne veut pas que sa mère l’abandonne, elle ne va jamais oser lui dire ce qu’elle ressent.

Le père se sent coupable de la non réussite de sa femme ; le frère n’aspire qu’à une chose : fuir la maison ; la petite dernière est juste transparente et inexistante. Elle se fait toute petite pour ne pas déranger… Que de souffrance cachée dans ce magnifique premier roman.

Ce que j’ai beaucoup aimé c’et que l’auteur va s’attacher à chaque personnage de la famille et que tous ont leur rôle dans le drame qui va se dérouler. Une analyse psychologique très fine pour ce roman sur une disparition … mais quelle disparition ? un crime ? un suicide ? un accident ? il faudra aller au terme de cette belle lecture pour le savoir… Et je vous y encourage vivement .

Extraits :

Ça avait été un geste impulsif – comme quand elle essayait parfois d’attraper une feuille charriée par le vent, ou quand elle sautait à pieds joints dans une flaque les jours de pluie –, une chose qu’elle avait faite sans réfléchir ni chercher à se retenir, une chose insignifiante et inoffensive.

Mais sur le coup, elle avait su, avec une certitude qu’elle n’aurait plus jamais de sa vie, que c’était ce qu’il fallait faire, qu’elle voulait cet homme dans sa vie.

Dans les Chinatowns, la vie de tous ces fils de papier était fragile et facile à anéantir. Tout le monde avait un faux nom. Tout le monde espérait ne pas être démasqué et renvoyé. Tout le monde restait groupé pour ne pas se faire remarquer.

Quand ils firent l’amour, les cheveux de Marilyn prirent vie. Ils s’assombrirent, passant du blé doré à l’ambre. Ils s’enroulèrent comme des crosses de fougères. Il fut stupéfait de produire un tel effet sur quelqu’un. Lorsqu’elle s’assoupit entre ses bras, ses cheveux se détendirent lentement, et, à son réveil, ils avaient retrouvé leur ondulation naturelle.

Quelques mois plus tard, lorsqu’ils furent mariés, ils se promirent une chose : de laisser le passé s’évanouir, de cesser de poser des questions, de désormais toujours regarder en avant, jamais en arrière.

Il soupire alors pour de bon, et quand il parle de nouveau, sa voix est cassante, prête à se briser.

Elle ne peut pas garder les yeux fermés ; même battre des paupières la rend nerveuse. Chaque fois qu’elle essaie de rester immobile, son esprit s’anime comme un jouet trop remonté.

Dans cette pièce, une profonde douleur se diffuse en elle, comme si ses os avaient des bleus.

Elle roula dans la nuit, vers chez elle, ses cheveux pleurant lentement de minuscules ruisseaux dans son dos.

ses paroles sont comme une balle qui jaillit de la bouche de sa femme et se loge profondément dans sa poitrine.

De ces deux syllabes – courbettes – explose une vision de coolies avec des chapeaux coniques, de Chinois nattés aux mains crasseuses. Aux yeux plissés et serviles. L’échine courbée et méprisés.

Entre ses bras, les livres et les classeurs bougent sous la toile comme des os sous la peau.

À la maternelle, il avait appris à faire en sorte qu’un bleu ne fasse plus mal : il suffisait d’appuyer dessus encore et encore avec son pouce. La première fois, ça faisait tellement mal que les larmes vous montaient aux yeux. La deuxième fois, ça faisait un peu moins mal. La dixième fois, vous ne sentiez presque plus rien.

Ce mot essentiel : demain.

Ce qui s’était passé était trop considérable pour qu’ils en parlent. C’était comme un paysage qu’ils ne pouvaient pas voir dans son ensemble ; c’était comme le ciel nocturne, qui tournait et tournait si bien qu’on n’en distinguait jamais les limites. Ce serait toujours trop considérable.

Yale avait commencé à accepter les femmes, puis Harvard. La nation apprenait de nouveaux mots : discrimination positive ; amendement pour l’égalité entre les sexes ; Mlle.

Il comprenait tout ce qu’elle ne disait pas, à savoir, fondamentalement : Ne lâche pas.

Trop occupé à rêver de son avenir, il n’entendait plus tout ce qu’elle ne disait pas.

Quand j’irai à la fac… Il n’achevait jamais sa phrase, mais dans le futur qu’il s’imaginait, il s’éloignait en flottant, sans entraves.

Il voulait savourer la lettre tant attendue, la promesse d’enfin partir, d’un nouveau monde qui l’attendait aussi blanc et propre que de la craie.

une expression légère avait traversé son visage, comme des nuages glissant dans le ciel après un vent puissant.

Ils venaient d’atteindre le lac, et ses yeux étaient froids et figés, comme l’eau gelée derrière lui.

Si à l’aise. Si sûr de lui. Indifférent à ce que pensaient les autres. Pas étonnant qu’ils ne puissent pas se supporter.

Les gens décident comment tu es avant même de te connaître. » Elle le toisa, soudain féroce. « Un peu comme tu l’as fait avec moi. Ils pensent tout savoir de toi. Sauf que tu n’es jamais ce qu’ils croient. »

Ça lui semblait un réconfort factice, comme un animal de zoo tapi dans sa cage, ignorant les regards hébétés, faisant mine de toujours être en liberté.

De tout le temps qu’ils ont été ensemble, le blanc a uniquement été la couleur du papier, de la neige, du sucre.

Le whiskey ne produit pas l’effet escompté. Il croyait que ça effacerait son esprit, comme une éponge sur un tableau noir, mais à la place le monde devient plus net à chaque gorgée, l’étourdissant avec ses détails

Ça fait tellement longtemps qu’il n’a pas considéré sa femme comme une créature douée d’envies.

Il ne priait pas, il rêvait – ce qui, comprendrait-elle plus tard, revenait presque au même.

« Ne souris jamais si tu n’en as pas envie »

l’attention était accompagnée d’attentes qui – comme la neige – s’abattaient et s’accumulaient et vous broyaient sous leur poids.

elle avait eu si longtemps peur qu’elle avait oublié comment c’était de ne pas être effrayée

Autrefois, il parvenait à lire l’humeur de sa femme, même quand elle lui tournait le dos. À l’inclinaison de ses épaules, à sa façon de déporter son poids de son pied gauche à son pied droit, il savait ce qu’elle pensait. Mais ça fait longtemps qu’il ne l’a plus observée attentivement, et maintenant, même de face, tout ce qu’il voit, ce sont les rides légères au coin de ses yeux, les rides légères à l’endroit où son chemisier a été écrasé, puis rajusté.

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