Martin, Nastassja «Croire aux fauves» (2019)
Autrice : Nastassja Martin est anthropologue. Diplômée de l’École des hautes études en sciences sociales, elle est spécialiste des populations arctiques.
Elle avait 23 ans quand elle est partie vivre avec les Gwich’in, une société de chasseurs-cueilleurs athapascans du nord-est de l’Alaska. Elle est restée deux ans et de cette rencontre, elle raconte l’histoire dans « Les Âmes sauvages » (2016), son premier livre.
Editions Verticales – 10.10.2019 – 152 pages
Résumé : » Ce jour-là, le 25 août 2015, l’événement n’est pas : un ours attaque une anthropologue française quelque part dans les montagnes du Kamtchatka. L’événement est : un ours et une femme se rencontrent et les frontières entre les mondes implosent. Non seulement les limites physiques entre un humain et une bête qui, en se confrontant, ouvrent des failles sur leurs corps et dans leurs têtes. C’est aussi le temps du mythe qui rejoint la réalité ; le jadis qui rejoint l’actuel ; le rêve qui rejoint l’incarné « .
« Selon une légende, quand on se fait attaquer par un ours, on prend une partie de son âme et lui prend une partie de la nôtre. »
Mon avis : Mon amie CatWoman ayant « coup-de-coeurisé » sur ce livre, elle m’a fortement conseillé de le lire. Je dois dire que j’ suis allée à reculons, car le thème ne me branchait pas trop.. Et puis, mes rencontres avec les ours dans les romans ne sont pas une franche réussite : entre Sandrine Collette et son « Animal » (2019) et , Joy Sorman et « la peau de l’ours » (08/2014) j’avoue que je ne me trouve pas trop dans mon élément…
Alors ma lecture : Cauchemardesque. Moi qui ne supporte pas les hôpitaux, ce qui parle de médecine, de chirurgie, d’opérations, de maladie, bref tout ce qui touche au médical avec du sang et des blessures, j’ai été servie avec la description de cette jeune femme qui se fait démolir le portrait (et pas que) par un ours et tout ce qui va avec…
Elle a donc été attaquée par un ours, elle est dans la neige en se demandant si elle va s’en sortir ; puis on la retrouve aux urgences dans un hôpital du Kamtchatka et après la boucherie évoquée lors de l’attaque de l’ours, j’ai eu droit à la réparation du charcutage et aux descriptions des soins et des conditions hospitalières… Bon si elle est sortie vivante de cette galère, pas de raison pour que je n’arrive pas au bout du livre… Comme elle je vais m’accrocher… J’espère juste qu’on va finir par quitter la charcuterie pour passer à l’intériorité…
Alors le coté boucherie, plus de la moitié du livre… Les désavantages comparés des hôpitaux russes, parisiens et grenoblois… Les opérations mal faites, les maladies nosocomiales… le rêve quoi… et au passage, un petit rappel des couloirs d’hôpitaux à l’époque de son adolescence… Par veine (presque) il y a les attentats de Novembre à Paris, la Salpêtrière est bondée et on lui lâche la grappe. Ouf, d’ailleurs… car ils n’avaient pas été foutus de faire un bon diagnostic. Et en plus ils sont tellement mal organisés dans ces hôpitaux parisiens qu’ils ne savent pas ce qu’ils font des dossiers et des prélèvements.
Ah que c’est dur la vie ! Et maintenant que Maman l’a remise sur pied, elle se fout de ce qu’elle peut ressentir et craindre pour sa fifille… retour à la case départ – le pays de l’ours – pour son petit confort mental… et accessoirement risquer de foutre les autres dans la panade.
Là c’est typiquement la personne mal dans sa peau, mal avec les humains, qui fuit sa vie en allant au-devant des dangers, et en se foutant pas mal de mettre les autres en péril (j’ai peut-être une maladie qui peut contaminer d’autres personnes ? m’en fout… – je vais aller dans des endroits impossibles ? et si j’ai un accident ? d’autres personnes vont mettre leur vie en jeu pour venir me tirer du pétrin dans lequel je me suis mise ? m’en fout.) Elle a besoin de quoi la miss ? de se répandre ? et ça apporte quoi ?
Ah oui l’ours ! je l’avais oublié celui-ci !
La relation fusionnelle entre elle et l’ours qui l’agresse et l’enserre dans ses patounes… Elle aurait été désincarcérée lors d’un accident de voiture, je me demande si elle aurait ressenti le coté fusionnel des griffes de l’acier de la carrosserie… Remarque, je me sens dans la position de la personne que l’on force à s’arrêter pour regarder quand il a un accident de la circulation… Mais moi, je tourne la tête et je ne suis pas fascinée par les scènes de massacre.
Au final : elle s’effondre, son monde s’effondre, les montagnes dégringolent, avec le réchauffement climatique, le monde entier s’effondre… Et elle y retourne pour s’entendre dire que l’ours était chouette et sympa car il l’a épargnée en la laissant en vie. Ah ça valait la peine de s’enfiler les ¾ du roman pour lire ça… Certes, elle est encore en un seul morceau (bien déglingué le morceau) mais si elle ne l’avait pas attaqué à coup de piolet, il n’aurait peut-être pas fichu le camp, le charmant « fusionneur » ; alors coté « osmose » vous repasserez… Alors un corps à corps à la vie à la mort qui finit par deux blessés, désolée, mais pour moi ce n’est pas de la communication de deux esprits… C’est une lutte … Un ours qui vous mord la figure et vous arrache la moitié du visage, ce n’est pas un baiser… et cela ne veut pas dire que l’ours vous a choisi pour fusionner avec votre esprit… C’est une rencontre entre deux êtres qui ont peur et qui luttent pour s’en sortir vivants et non pas un « trait d’union improbable, entre eux comme êtres humains, et avec le monde des ours là-haut dans la toundra d’altitude. » ! Et si le fait de rêver d’un ours dans un pays bourré d’ours vous met en contact avec la bestiole et fait que vous vous sentez faire un avec… moi je rêve de requins aux Maldives, de chevaux en Camargue et de guanacos en Argentine… Ils viennent visiter mon sommeil car je les ai vu la veille ou que je rêve/cauchemarde à l’idée d’une rencontre en face à face… Et je crois que toute personne attaquée par un ours va en rêver : connexion animiste ou pas
Ah j’allais oublier : faudrait pas rater ça… les pique-nique sanglants (voir extrait) et pour finir sur une note sanglante : un massacre, le carnage des rennes…
Ma CatW.. tu voulais mon avis ? Ben voilà.. Il m’a fait penser – un peu – au livre de Catherine Poulain «Le Grand Marin» (2016) : dans « le grand marin, c’était le dépassement de soi » on aime ou pas, mais je peux comprendre… Là c’est juste l’horreur totale et complète. Elle s’est pris une griffe en travers de la figure : c’est très triste et j’en suis désolée pour elle. Mais de là à chercher une raison à l’accident, une relation particulière avec le plantigrade et les esprits..
Elle était mal avant de partir ; elle est partie car elle se sentait mal chez elle, mal en elle… Elle a fui, rencontré l’ours, et qu’elle soit d’un coté de la terre ou de l’autre, elle sera toujours mal partout si elle est mal en elle… Elle fuit les griffes de l’ours, les griffes des médecins…
Vous avez compris ? j’ai PAS aimé ! J’ai « viscéralement » rejeté le livre en bloc. Ce qui est dommage c’est que ce soit du « vécu » .. et ce qui est arrivé à cette dame devrait normalement engendrer de la compassion et non du rejet.. Peut-être que si j’avais eu le point de vue de l’ours? Mais je suppose que la fusion entre les esprits n’a pas été jusque là.. ce qui est certain c’est que je suis totalement passé à coté de la magie du livre..
Extraits :
Mon esprit part vers l’ours, revient ici, tourne, construit des liens, analyse et décortique, fait des plans de survivant sur la comète. Dedans cela doit ressembler à une prolifération incontrôlable de synapses qui envoient et reçoivent des informations plus rapidement que jamais, le tempo est celui, éclatant, fulgurant, autonome et ingouvernable, du rêve, pourtant rien n’a jamais été plus réel ni plus actuel. Les sons que je perçois sont démultipliés, j’entends comme le fauve, je suis le fauve. Je me demande un instant si l’ours va revenir pour m’achever, ou pour que je l’achève, moi, ou bien pour que nous mourions tous les deux dans une ultime étreinte.
Les humains ont cette curieuse manie de s’accrocher à la souffrance des autres telles des huîtres à leurs rochers. Tout se passe comme si l’événement les révélait enfin à eux-mêmes, comme si le drame faisait resurgir des émotions trop longtemps enfouies sous leurs peaux dans leurs organes, des sentiments si extraordinairement authentiques qu’ils en deviennent trop lourds à porter.
Faute de mieux, je lui réponds que mon psychisme ressemble certainement à ma peau et à mes os, déchiré, cassé, tailladé.
Je cherche le passage sans trop réfléchir, je fais comme l’eau, j’essaie d’aller au plus logique.
L’impression de laisser le monde derrière moi ; une version du monde ; mon monde. Dans lequel je suis devenue inadéquate ; dans lequel j’échoue à me comprendre moi-même.
Chaque jour Daria hache de la viande de renne pour moi, extrait la moelle des os, me donne des lamelles de foie cru (pour la digestion) de cœur cru (pour la guérison) de poumon (pour la respiration). Elle m’a aussi servi un verre de sang chaud (pour la force) lorsque nous avons tué le renne.
7 Replies to “Martin, Nastassja «Croire aux fauves» (2019)”
Alors ça, c’est du cassage en règle, non pas que je me réjouis que tu as détesté mais je crois bien que c’est la première fois où j’ai ressenti un peu plus que de l’agacement de ta part et ça vaut le détour, ça c’est sûr (rire…) Je te remercie de t’être donné la peine d’écrire un avis détaillé et pas qu’un « je déteste, c’est de la m….)
Quant à moi, je reste sur mon coup de coeur, tout le côté hospitalier ne m’a pas rebuté, j’ai trouvé qu’elle ne se plaignait pas et affronter ce double cauchemar : la défiguration et la douleur avec du courage. J’ai beaucoup aimé le côté chamanique du livre dans sa rencontre avec l’ours. Ces peuples ont une approche totalement différente avec les éléments et les êtres vivants. Ils n’interpretent pas les choses comme nous. Cette ouverture pourtant me touche car j’en ressens le respect de ce qui les entoure y compris quand la nature ou l’animal leur est hostile. J’ai vraiment beaucoup, beaucoup aimé. Et je vous explique pourquoi :
Waouh, quelle belle surprise que ce livre. Un thème aux antipodes de mes croyances terre-à-terre, l’animisme, l’art d’attribuer une âme aux choses mais qui est loin d’en être le thème principal.
Natia, anthropologue, 25 août 2015 dans les hautes montagnes du Kamtchatka en Russie s’immerge au cœur de la population évène. « Dans cette population, pour vivre en forêt au quotidien, l’impératif est la fluidité des rôles ; le mouvement incessant des uns et des autres, leur nomadisme journalier implique qu’il faut pouvoir tout faire à tout moment car la survie concrète dépend des capacités partagées lorsqu’un membre de la famille s’absente. » La femme de ce fait est l’égal de l’homme et pas besoin de loi pour le légitimer (mais bon je dis ça, je dis rien…)
Ce jour-là, elle rencontre l’ours, un face à face terrible qui emportera d’elle un bout de sa mâchoire et lui une blessure à la jambe causée par le piolet de celle-ci qui va lui permettre de sauver sa vie à elle. De cette rencontre va naître une reconstruction physique, une chirurgie reconstructrice dans différents hôpitaux et quand tout le monde s’accorde à mettre au premier plan la reconstruction physique c’est celle psychique et morale qui devient plus complexe. Et c’est là que l’auteur nous invite dans son monde, cet autre monde de l’indicible, de l’entre-deux-mondes comme celui du rêve, que l’on vit, que l’on ressent qui nous relie avec un ailleurs que l’on ne contrôle pas. « Une perméabilité des esprits, la transversalité des songes, un truc qui se vie mais qui échappe à l’explication. »
Mais pour guérir de l’intérieur et comprendre la métamorphose qui s’opère en elle, Natia va devoir retourner à la forêt parce qu’elle y est liée à jamais, une part de l’ours, sa morsure comme un baiser qui lui a pris une part de sa bouche est une nouvelle empreinte en elle qui lui parle d’autre chose, de liens entre les choses. Car d’autres forces sont à l’œuvre autour d’elle qui vivent, sentent, pensent, écoutent la forêt tout comme elle. Cette porte qui s’ouvre c’est l’essence même de son métier d’anthropologue : connaître l’autre, l’étudier dans son environnement mais surtout s’ouvrir à ses croyances pour mieux le comprendre.
Lire Croire aux fauves c’est s’ouvrir à une expérience étrange, hors du temps et de l’intelligible, une expérience qui ouvre des portes insoupçonnées, profondément humaines, j’ai adoré.
mais moi je l’attends toujours le coté chamanique! si j’ai passé la moitié du livre à l’hosto c’est pour rencontrer l’esprit de l’ours après… Rien vu de chamanique ni d’esprit ! Juste une nana qui te dit qu’elle a été prise dans les bras et reçu le baiser de l’ours … « Au baiser de l’ours sur mon visage, à ses dents qui se ferment sur ma face, à ma mâchoire qui craque, à mon crâne qui craque, au noir qu’il fait dans sa bouche, à sa chaleur moite et à son haleine chargée, à l’emprise de ses dents qui se relâchent, à mon ours qui brusquement inexplicablement change d’avis, ses dents ne seront pas les instruments de ma mort, il ne m’avalera pas. »
Si tu veux un livre « chamanique » lis « Le don de Qâ » de Jean-Marc Pasquet … c’est un superbe moment de communion … c’est pas je t’arrache la gueule et tu m’envoie le piolet dans la patte…
Je suis ouverte à la communion avec les êtres et la nature.. justement ici elle est pas au top ! J’adore les mythes, les légendes, les croyances, la mythologie de tous bords mais là c’est une nana qui rame , ou qu’elle aille… elle est égoïste, égocentrique et elle est juste incapable de s’ouvrir au monde…
Je ne le lirai pas ,je n’ai pas envie de sang de drame ,les hôpitaux ,opérations je connais .Je suivrai Catherine pour des lectures plus douces!!
Alors voilà un autre avis sur ce livre : il n’est ni bon ni mauvais, mais un peu raté. Parce qu’il « explique », « parle », au lieu de raconter, au lieu de nous faire partager le vécu.
Exemple :
« Daria, elle aussi, a toujours su. Elle sait qui me visite quand je dors ; je lui raconte au petit matin les ours de ma nuit, familiers, hostiles, drôles, pernicieux, affectueux, inquiétants. Elle écoute en silence. Elle rit de me voir accroupie dans les buissons de baies avec mes cheveux blonds qui dépassent des feuillages, tu as comme une fourrure elle me dit chaque fois. Elle compare mon corps musclé à celui de l’ourse ; elle se demande qui de l’une ou de l’autre dort dans le terrier de son double. »
J’aurais préféré que l’auteur raconte un rêve, se montre pister les traces, espérer une rencontre, qu’elle se montre habitée par l’esprit de l’ours.
Plutôt que visiter les hôpitaux …
Plutôt que des réflexions du genre :
« Il faudrait toujours être sûrs de pouvoir revenir. Revenir de l’autre monde, comme Perséphone. Six mois en haut, six mois en bas, pratique. Mais hors du temps du mythe, le cycle se brise, parce que c’est comme ça, parce que c’est l’Époque, parce que c’est ce à quoi nous faisons tous face. Il faudrait que les deux visages du masque animiste cessent de s’entre-tuer, qu’ils créent la vie, qu’ils créent autre chose qu’eux-mêmes. Il faudrait, non, il faut à tout prix sortir de cette dualité réversible mortifère. »
Merci Kochka . Un peu de nuance…
Et puis sur les hôpitaux.. elle y va pas de main morte!
Comme je le pressentais,je ne suis pas allé jusqu’au bout de la lecture !! Désolé CatWoman, mais je n’ai pas du tout aimé ce livre. Peut être ne suis je pas assez ouvert d’esprit pour tout comprendre !! Puis j’ai regardé l’avis de Catherine ci-dessus, tout y est dit de superbe manière ( et même mieux ) sur le ressenti que j’ai également eu.
Contente de te lire ici Pioupiou. En tous cas, ce livre a le mérite de nous faire réagir ! C’est sympa cet échange !