Carofiglio, Gianrico «Trois heures du matin» (2020)

Carofiglio, Gianrico «Trois heures du matin» (2020)

Auteur : Gianrico Carofiglio est né à Bari en 1961. Gianrico Carofiglio est le fils de l’écrivaine Enza Buono et le frère de l’écrivain Francesco Carofiglio. Il devient magistrat à Prato en 1986, puis procureur à Foggia et procureur adjoint à Bari où il est chargé des dossiers concernant la mafia. Il est élu sénateur en 2008.Procureur, conseiller du Comité anti-mafi a au Parlement italien, il a été sénateur de 2008 à 2013. Ses romans et ses essais sont traduits dans le monde entier.  

Série Guido Guerrieri : Témoin involontaire (2002 – 2007) – Les Yeux fermés (2003 – 2008)– Les Raisons du doute (2006 – 2010)  – Le Silence pour preuve (2010 – 2011)  – La regola dell’equilibrio (2014 – pas traduit)

Série Pietro Fenoglio : « Une vérité changeante » (2022) – «L’été froid» (2021) – La Version de Fenoglio (2023)

Autres romans traduits : Le Passé est une terre étrangère (2009) En attendant la vague, (2013). «Trois heures du matin»(2020)


Editions Slatkine & Cie – 2.3.2020 – 224 pages – Traduit de l’italien par Elsa Damien 

Résumé :
— Balikwas ! C’est un mot tagalog, la langue majoritaire des Philippines. C’est difficile à traduire. Ça veut dire quelque chose comme : bondir soudain dans une situation nouvelle et être surpris, changer de point de vue, percevoir d’une manière différente ce que nous pensions connaître.

Là, je murmure sans réfléchir :
— Il y a à peine deux jours, je ne connaissais pas mon père.
— Eh bien ça, c’est balikwas.

En juin 1983, un Italien de dix-sept ans se retrouve à Marseille avec son père. Pour finaliser un traitement médical, on préconise au jeune homme de ne pas dormir durant quarante-huit heures et de prendre à intervalles réguliers des amphétamines. Son père l’accompagne. Un livre initiatique aussi fin qu’émouvant.
La rencontre que vous n’avez jamais eue avec votre père.

Mon avis :

Un homme de 51 ans se remémore un épisode bien particulier de son passé. Une rencontre avec son père qui avait alors l’âge qu’il a lui-même aujourd’hui, dans une situation bien particulière.
Un huis-clos à l’air libre si je puis m’exprimer ainsi … Que font deux personnes condamnées à rester ensemble deux jours et deux nuits sans dormir, sans aucune obligation : parler, découvrir, se découvrir, meubler le temps… C’est l’histoire d’une rencontre père-fils mais c’est aussi un récit sur la maladie, la différence.

L’épilepsie… cela fait peur… à celui qui en est atteint, mais aussi aux autres. D’ailleurs il n’y a encore pas si longtemps, c’était assimilé à la folie… mais c’est aussi l’occasion d’apprendre qu’un bon nombre de grands personnages (artistes) souffrent de cette maladie… de dédramatiser la maladie en laissant entrevoir à ceux qui en souffrent que loin d’etre un paria, ils peuvent se considérer comme des élus, des êtres presque comme tout le monde avec un petit quelque chose en plus … et non différents avec un truc en moins…

C’est l’histoire de la rencontre entre un père et son fils. Les parents étant séparés, le fils n’a jamais souhaité faire ample connaissance avec son père et il s’était façonné une idée de qui était son père. Un rapprochement inattendu et incontournable va les faire se rapprocher : le fils va s’intéresser au père, lui poser des questions, et le père ne va pas fuir : il va se raconter, se livrer… Il va parler de lui, de sa jeunesse, de ses expériences, de es sentiments, et aussi de la rencontre avec la mère, de son amour pour les mathématiques et la musique… et petit à petit les yeux du jeune homme vont se dessiller.  

Le roman se déroule dans une ambiance anxiété : le déroulement de la vie future du jeune homme dépend de ce qui pourrait se passer pendant cette période. Le temps est d’une certaine façon suspendu, on évolue hors du temps, et les conversations dépassent la réalité quotidienne. Dans cette bulle, on ne se comporte pas comme dans la vie normale ; dans ce contexte, le père parle au fils de sa vision des mathématiques, qui sont pour lui «  une défense contre la peur, un remède au chaos et un moyen de l’apprivoiser. » , d’échapper à l’imprévisible et l’incontrôlable.  Le roman parle aussi du rapport à la lecture que le mathématicien voit comme « un passe-temps frivole de l’intelligence avant le retour aux choses sérieuses ». Il lui explique aussi sa relation avec le jazz.

Ensemble, ils vont découvrir Marseille, se perdre et se retrouver, découvrir l’extérieur mais aussi ce qui est enfoui à l’intérieur d’eux-mêmes. Ils vont aller à la rencontre d’eux-mêmes et des autres, se découvrir des points communs, voir vaciller des certitudes, se remettre en question. Apprendre à parler et apprendre à se taire, apprendre à écouter l’autre.  Ils vont aussi devoir trouver de quoi s’occuper ensemble pendant les longues heures à tuer.

Lire ce livre en cette période toute particulière de confinement m’a très souvent fait penser à ce que nous vivons maintenant : une situation particulière qui nous permet d’aller à la rencontre de ceux qui vivent à coté de nous ; et pourtant il ne s’agit aucunement de confinement dans le livre. Il s’agit de ne pas passer à côté de l’autre et c’est un message formidable.

Je remercie beaucoup les Editions Slatkine et Cie de m’avoir envoyé ce roman.

Extraits :

Je serais incapable de dire quelle est la dernière fois où il m’est arrivé d’avoir deux jours devant moi sans engagement, sans rien de spécial à faire, sans aucune contrainte. C’est ça, qui est étrange.

Tu te charges de superflu – des objets, des obligations ou des relations personnelles – , et toutes ces choses deviennent autant de fils invisibles qui t’enveloppent de plus en plus, jour après jour, justement, comme une toile d’araignée.

Fitzgerald était un grand écrivain et un homme malheureux. Je pense souvent à cette citation de lui : “Dans la véritable nuit noire de l’âme, il est toujours trois heures du matin.

Pour finir elle explique qu’il faut épuiser la joie quand elle nous surprend car c’est la seule façon de ne pas la gâcher. Elle répète cette expression, à l’évidence très importante, et qui reste en effet gravée en moi : il faut épuiser la joie, c’est la seule façon de ne pas la gâcher, après, elle disparait

Faire passer le temps, quelle expression idiote ! Le temps y pense tout sel, à passer, il n’a nullement besoin d’aide, a dit mon père.

Les lieux communiquaient un sentiment ambigu, on oscillait entre une atmosphère presque familiale, comme dans un village, et la sensation d’une menace diffuse et latente ; on aurait dit que quelque chose rampait, se déplaçait silencieusement dans les ruelles et nous regardait sans être vu.

Info : Cavafy ( poète) : Constantin Cavafy ou Cavafis, connu aussi comme Konstantinos Petrou Kavafis, ou Kavaphes (en grec Κωνσταντίνος Πέτρου Καβάφης), est un poète grec né à Alexandrie en Égypte le 29 avril 1863 et mort dans la même ville le 29 avril 1933.
Très peu connu de son vivant, il est désormais considéré comme une des figures les plus importantes de la littérature grecque du xxe siècle. Il fut fonctionnaire au ministère des travaux publics d’Alexandrie, journaliste et courtier à la bourse d’Alexandrie.     (source Wikipédia)

AUTANT QUE POSSIBLE, PAR CONSTANTIN CAVAFIS. (1913)

Et si tu ne peux pas mener la vie que tu veux,
essaie au moins de faire en sorte, autant
que possible: de ne pas la gâcher
dans trop de rapports mondains,
dans trop d’agitation et de discours.

Ne la galvaude pas en l’engageant à tout propos,
en la traînant partout et en l’exposant
à l’inanité quotidienne
des relations et des fréquentations,
jusqu’à en faire une étrangère importune.

(Traduit du grec par Dominique Grandmont. Extrait de Constantin Cavafis, En attendant les barbares et autres poèmes, Paris, Gallimard, NRF Poésie, 2003.)

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