Schecroun, Jacques «Le Procès de Spinoza» (2021)

Schecroun, Jacques «Le Procès de Spinoza» (2021)

Auteur : Avocat pendant 40 ans, Jacques Schecroun est co-fondateur de l’Ecole Européenne de Philosophie et de Psychothérapies appliquées. Il est écrivain, penseur et conférencier.
Il a publié :  La lumineuse histoire du prince qui manquait de tout (Albin Michel, 2008), Et si la vie voulait le meilleur pour nous ? avec Nicole Aknin (Presse de la Renaissance, 2010), ainsi que, plus récemment Une autre façon d’aimer (Editions de l’Homme, 2015) et Pardonne, aime et revis (Leduc, 2019) et Le procès de Spinoza (2021)

Albin-Michel – 31.03.2021 – 352 pages

Résumé :
« Ne nous appartient-il pas d’inclure au lieu d’exclure ? De voir en l’autre une possible richesse et, avant cela, de regarder au plus profond de nous ce qui nous dérange en lui ?» 

Amsterdam, 1656. Dans la synagogue de la communauté hispano-portugaise transformée en tribunal, un très jeune homme est jugé pour hérésie et autres actes monstrueux. Il risque un bannissement à vie.
Comment celui en qui tous voyaient un futur rabbin en est-il arrivé là ? Quelles rencontres ont pu le détourner d’une voie toute tracée ? Quel cheminement a été le sien pour passer d’un Dieu qui punit à un Dieu qui, ayant tout et étant tout, ne demande rien ?

Dans ce roman passionnant, qui nous plonge au cœur des débats précurseurs du siècle des Lumières, Jacques Shecroun imagine les événements qui marquèrent un tournant majeur dans la vie de Spinoza. Le procès dont le philosophe fut l’objet souligne, aujourd’hui encore, la modernité de sa pensée, et l’actualité de la question de la liberté d’expression.

Mon avis :

Que ce soit maintenant ou au XVIIème siècle, la liberté de penser est toujours un écueil qui pousse les plus sectaires à la haine et à l’intolérance.
Au XVIIème siècle Amsterdam est une ville ouverte, capitale du commerce, et réputée pour sa liberté de culte. De nombreux juifs persécutés ailleurs en Europe s’y refugient et parmi eux la famille de Baruch « Bento » Spinoza qui réside dans un quartier ibérique, peuplé de juifs espagnols et portugais. Nous sommes en 1651, au milieu du XVIIème siècle.
Bento va grandir dans une famille de négociants aisés mais qui est frappée par de nombreux malheurs, notamment le décès de sa mère alors qu’il n’avait que six ans. Son père marque sa préférence pour son fils ainé, et toute sa vie il aura le sentiment d’être en quelque sorte rejeté. Il avait aussi l’impression d’être tenu à l’écart par sa sœur ainée. Et pourtant il était évident dès son plus jeune âge qu’il était le plus intelligent.
Bento, pour qui l’étude était primordiale ne souhaitait ni être rabbin ni travailler dans le commerce. Malheureusement, au décès de son frère ainé, pas question de désobéir à son père.
Lui qui rêvait de liberté de corps et d’esprit vivait dans un monde ou la liberté n’avait pas trop sa place et était mal vue. Dans sa communauté, on ne fréquentait pas les non-juifs ! Alors que lui souhaitait s’ouvrir au monde et aux autres religions, même s’il aimait sa religion et son Dieu. Accepter les différences n’était en aucun cas une offense faite à sa religion…
Mais je vous laisse découvrir la suite de la vie de Bento Spinoza, homme éclairé dans un monde obscurantiste…

Plus je lis des romans qui se déroulent en Hollande au XVIIème siècle et plus j’aime ça : « Miniaturiste » de Jessie Burton, « Les mots entre mes mains » de Guinevere Glasfurd, « La jeune fille à la perle » de Tracy Chevalier (pas de lien car livre lu avant la création du blog)

Extraits :

Je crois bien, commenta Bento en ponctuant son propos de plusieurs silences, que depuis que le monde est monde, les gens ont quitté les lieux où ils vivaient soit par souci de sécurité, soit parce qu’ils n’avaient plus de quoi manger et ils se sont naturellement dirigés vers les pays réputés pour leurs richesses.

Dans ce sens que la compétition aboutit à l’exclusion de l’autre, à son élimination, voire à son extermination, alors que la collaboration et la coopération, tout en permettant de coexister les uns avec les autres, enrichit les sciences, les arts et les métiers.

– Oui… bien sûr ! répondit-il avec cette sorte d’assurance dont le mensonge se fait une alliée pour paraître plus vrai que vrai.

En fait, pour nous, être juifs avait quelque chose à voir avec la nostalgie d’un paradis récemment perdu. À la limite, ce sont beaucoup plus des traditions qui ont pu arriver jusqu’à ma génération que la religion à proprement parler.

– Vous savez, après toutes ces années passées le cul entre deux chaises, j’ai besoin de savoir où le poser.

la lumière est la connaissance claire et distincte de la vérité dans l’entendement de chaque homme, par laquelle il est tellement convaincu de l’existence et de la qualité des choses qu’il ne peut en douter.

Sans changer, on ne grandit pas et, pour ma part, j’ai bien l’intention de grandir en connaissance et en amour.

– C’est curieux, s’était-il exclamé, cette fichue manie qu’ont les hommes en général et les ecclésiastiques en particulier de crier au blasphème dès que d’aucuns osent penser par eux-mêmes !

D’autant plus qu’à bien y réfléchir, ce ne sont pas nos expériences qui précèdent nos croyances, comme la plupart de nos contemporains le pensent, mais ce sont nos croyances qui précèdent nos expériences.

Sa devise étant « Intus ut libet, foris ut moris est », ce qui signifiait : « en dedans penser ce qu’on veut, en dehors obéir à l’usage », le jeune homme avait eu quelque peine à savoir qui il était vraiment.

– La vérité ne saurait être confuse. Il est probable, cependant, qu’elle ne puisse s’accommoder avec des incohérences, voire avec des mensonges.

Certes, il doutait déjà avant que d’avoir lu Descartes, mais le fait de voir ce doute explicité, voire radicalisé, par le philosophe français le confortait dans cette disposition. Ce doute, non point sceptique mais méthodique, l’animait et maintenant lui procurait une joie extrême.

Comment, en effet, pouvait-on répéter, tous les ans, que chaque génération avait son ennemi sans semer dans l’esprit des jeunes gens l’idée d’un conflit inévitable avec les autres et comment ne pas voir qu’en procédant ainsi, nous en venons à créer nous-mêmes cet ennemi pour nous confirmer, comme le lui avait expliqué Van den Enden, que les croyances de nos pères sont bien vraies ? Comment ?

la théorie du complot présuppose, le plus souvent, un dérangement mental et je crois être encore sain d’esprit.

Pour ce qui me concerne, et je le revendique, avant que d’être juif, je suis un homme et, de ce fait, les points qui me sont communs avec les autres, de quelque religion qu’ils soient, sont infiniment plus nombreux que ceux qui m’en distinguent.

La vie est ainsi faite, songea-t-il encore, que nous nous trahissons nous-mêmes en nous adaptant à ce que d’autres veulent pour nous et que la trahison s’inscrit alors dans les cellules de notre corps.

Image : trouvée sur le net mais je sais plus où..

4 Replies to “Schecroun, Jacques «Le Procès de Spinoza» (2021)”

  1. Moi aussi Catherine j’ai beaucoup beaucoup aimé ce livre.
    Passionnante lecture liée au contexte historique où les juifs ibériens courant 1646  fuient leur pays pour migrer en Hollande mais aussi par L’Histoire elle-même malgré quelques libertés ne nuisant en rien à l’intégrité du personnage Spinoza car  le talent de l’auteur  restitue en mon sens la pensée  de Spinoza. 
    Ce livre raconte l’apprentissage de Bento petit garçon qui va devenir l’adulte Spinoza avec comme seul guide son sens de la réflexion, son intelligence, son sens critique qui lui ouvre les portes d’un raisonnement libre qui va le mener à prendre conscience  de certaines incohérences et interprétations de l’homme qui sont faites par la religion juive. Il ne remet pas en question l’existence de Dieu juste la parole qui lui a été attribuée par l’homme au fil des siècles.  D’ailleurs il dit : ”je ne crois pas en Dieu, je sais Dieu”. C’est un message puissant sur la liberté de pensée qui fait un juste écho à la nôtre. C’est un avertissement sur la sanction des autres qui s’en attribuent la légitimité. C’est un avertissement sur les risques des communautés à vivre entre elles se coupant des autres y compris dans leur pays d’accueil. Spinoza pointe du doigt leur communauté qui rejoue toujours cette même histoire où le peuple juif serait l’élu sous-entendu que les autres ne le seraient. Et cela vaut bien évidemment pour toutes les autres religions.  Alors restons vigilants et que la pensée  philosophique de Spinoza puisse nous habiter quelque peu afin de nous pousser à la réflexion et de parvenir à la connaissance  de la vérité et la possibilité de nous en délivrer  en doutant de toutes choses. Il donne à réfléchir  à la précision des mots que nous employons et puissions nous en inspirer.
    Une phrase m’a apporté un angle de vue que je n’avais jusqu’alors jamais envisagé  » l’histoire démontre que, hélas, elles sèment souvent dans les cervelles des futures générations l’idée d’un possible recommencement, en sorte que celles-ci, évidemment  sans le vouloir et sans avoir conscience qu’elles y sont pour quelque  chose, attireront à elles de nouveaux bourreaux ».

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