Goetz, Adrien « Le coiffeur de Chateaubriand» (2010)

Goetz, Adrien « Le coiffeur de Chateaubriand» (2010)

Auteur : Adrien Goetz, né le 10 février 1966 à Caen, est un écrivain français, historien de l’art, auteur de plusieurs romans axés sur l’histoire de l’art. Après une thèse de doctorat d’histoire de l’art portant sur la période romantique, il enseigne aujourd’hui à l’université de Paris-Sorbonne. Ces romans ont tous pour toile de fond le monde de l’art.

Série Les enquêtes de Penelope : « Intrigue à l’anglaise » (2007) – « Intrigue à Versailles » (2009) – « Intrigue à Venise » (2012) – « Intrigue à Giverny » (2014) 2014 – « Intrigue en Egypte » (2020)
Autres romans : « Webcam » (2003) – « La dormeuse de Naples » (2004),- Une petite légende dorée (2005) – À bas la nuit !» (2006) – Le Coiffeur de Chateaubriand (2010) – La nouvelle vie d’Arsène Lupin » (2015) – Les Oiseaux de Christophe Colomb (2016) –  « Villa Kérylos » (2017)

Grasset – 03.03.2010 – 173 pages / Livre de poche – 01.06.2011 – 120 pages

Résumé : Adolphe Pâques est coiffeur. Pas n’importe quel coiffeur : celui de François-René de Chateaubriand, le grand écrivain, l’ancien ministre, l’homme le plus célèbre d’Europe. Il est en train d’écrire ce qui sera les Mémoires d’outre-tombe sous la curiosité universelle. Notamment celle d’Adolphe, si fasciné par son client qu’il conserve tous ses cheveux coupés et s’en sert pour composer des tableaux… Arrive de Saint-Malo une jeune métisse, Sophie, qui s’insinue dans la relation entre le jeune coiffeur et le grand maître. Adolphe fait l’acquisition d’une arme à feu… Une rocambolesque histoire d’amour et de littérature s’engage.
Adolphe Pâques a existé. Il a réalisé un tableau « en cheveux de Chateaubriand », exposé au Musée de Saint-Malo, qui représente la chambre natale de l’écrivain, et laissé un volume de souvenirs. Adrien Goetz a retrouvé, à la documentation du musée Carnavalet, tout ce qu’on sait de ce Fabrice Lucchini du XIXe siècle. L’intrigue autour du manuscrit des Mémoires d’Outre-Tombe est authentique.  (sur la page Hachette)

Mon avis :

Une fois de plus, je suis les aventures d’un coiffeur. Il y a Léonard Autier (et sa modiste Rose Bertin de Frédéric Lenormand (voir la série commentée sur le blog) , et me voici maintenant en compagnie d’ Adolphe Pâques qui lui aussi a bel et bien existé ( mais on ne pouvait en douter quand on sait que l’auteur est Adrien Goetz ; mais hélas c’est la première fois que je ne suis pas convaincue à cent pour cent par la lecture d’un livre de cet auteur. Ce n’est pas de sa faute, c’est le sujet qui me passionne moins…

Adolphe Pâques, « artiste coiffeur » (24 ans) va s’occuper de la tête de Chateaubriand – né le 4 septembre 1768 à Saint-Malo et mort le 4 juillet 1848 à Paris – de 1840 (il a alors 72 ans)  à 1848, année de sa mort et il va entrer dans son intimité. Quelle chance pour lui d’avoir l’honneur de pénétrer dans l’intimité de son idole … tout du moins au début car la relation ne va pas être harmonieuse tout le temps… On va fréquenter le monde des coiffeurs qui se déplacent chez les grands de ce monde, les ducs et les duchesses… Chateaubriand voulait du désordre dans le reste de ses cheveux, Rossini pour qui le Toupet était primordial… Des hommes qui attachaient une grande importance à leur allure. On va aussi assister au début de la fin des coiffeurs à domicile et au début de la création des salons de coiffure…

C’est plein d’anecdotes, d’ironie, d’humour et on apprend ce qui se cache dans l’intimité des personnages de cette époque … Certes la face cachée est bien différente de ce que Chateaubriand montre.
Ce livre nous conte aussi l’histoire du Manuscrit des Mémoires d’Outre-Tombe qui est à elle seule une aventure …
Un moment de lecture agréable pour qui aime la littérature et l’Histoire mais auquel il manque un petit quelque chose…

Extraits :

Coiffer François-René, vicomte de Chateaubriand, ancien ministre, ancien ambassadeur, ancien pair de France, ancien jeune homme désespéré, n’était pas facile. Il avait de moins en moins de cheveux et il fallait toujours qu’il semble décoiffé.

Donner l’air ébouriffé à un grand homme qui a l’habitude de rabattre sa dernière mèche sur le dessus du crâne, c’est un exploit. Il voulait toujours ressembler à son portrait par Girodet, le visage bruni par le soleil d’Orient, tête en bataille, main sur le cœur, dans les ruines de Rome. Comme si le vent qui souffle aux environs du Colisée le portait encore, ce vent de l’histoire et de l’Italie ; alors que, dans ses dernières années, il marchait à petits pas, sur le pavé de la rue du Bac.

C’est un chef-d’œuvre. J’avais la charge d’entretenir la ressemblance du modèle, travail plus difficile que celui du peintre.

En 1830, Victor Hugo, qui ne s’était pas encore laissé pousser la barbe, avait pris la tête d’un bataillon de chevelus. Ce fut la bataille d’Hernani, au cours de laquelle on cria « Au cimetière les genoux ! » pour se moquer des chauves défenseurs de l’alexandrin et du classicisme. Attraper une « tête de genou » quand on a été « le grand sachem du romantisme », ainsi que me le dit un jour M. Théophile Gautier, prince de l’hirsutisme, cela n’était pas possible.

Le père de M. de Chateaubriand était un gentilhomme du Moyen Âge. Les Mémoires de son fils ont fait passer à la postérité l’idée d’un grand seigneur qui glaçait de peur ses enfants.

À l’époque où je voulais acheter une clientèle, les coiffeurs de grandes maisons avaient leurs listes, un peu comme des notaires ou des médecins.

Personne en ce temps-là ne parlait de vieillir, sauf Chateaubriand, dont c’était un des sujets de prédilection.

J’avais ma bibliothèque avec ses rayonnages bien organisés à l’intérieur de la cavité de mon crâne.

Je tremblais de peur devant cette mosaïque de bonnes intentions. À son pavement, je venais de reconnaître l’Enfer.

Dans le particulier, il aimait rire et ne semblait pas toujours croire à son personnage. Dès qu’il était en public, tout changeait. Il devenait le plus grand écrivain de son temps, l’homme d’Etat, le diplomate, l’opposant qui avait tenu tête à « Buonaparte » et qui méprisait ouvertement le gros «Philippe». Il ne riait jamais en société, ne plaisantait plus et racontait ses voyages en prévoyant ses effets […]

Ces bibelots, c’était sa vie posée sur des étagères.

Nous étions deux bibliothécaires qui se faisaient visiter leurs réserves mutuelles, mais nos livres étaient en nous – et c’est au fond de ses yeux que je pensais toujours, avant d’entrer dans les pages dont elle me laissait la clef. Je l’explorais, je caressais les lignes, je dévorais ce qu’elle me montrait.

Seule l’amicale des coiffeurs parisiens parvient à mettre en œuvre cette circulation secrète, ces communications entre maisons rivales : nous sommes plus efficaces que des avocats, nous dénouons les problèmes comme les chignons, nous démêlons, nous passons les appartements au peigne fin.

Après l’opération de coiffure, M. de Chateaubriand prenait un bain parfumé, en ayant garde de ne pas modifier l’équilibre de mon chef-d’œuvre, que je renouvelais tous les quinze jours, parfois chaque semaine.

Mon salon de coiffure est le lieu de rendez-vous de toutes les élégances qui passent à Fontainebleau quand Napoléon III y chasse et des sommités de notre petite ville. Dans un salon de coiffure, on s’installe, on bavarde, je crois bien que c’est la fin des coiffeurs à domicile. Nous avons compris que nous devions nous démocratiser, nous aussi. Toutes les aristocraties doivent apprendre à évoluer.

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