Jérusalmy, Raphaël « Évacuation » (2017)

Jérusalmy, Raphaël « Évacuation » (2017)

Auteur : Ecrivain français né à Paris le 7 novembre 1954, Raphaël Jérusalmy est issu de l’École normale supérieure. Après ses études, il s’engage dans l’armée israélienne, au sein de laquelle il évolue rapidement vers le service de renseignement. Après une quinzaine d’années, il prend sa retraite de l’armée et mène des actions éducatives et humanitaires, puis devient négociant en livres anciens à Tel Aviv. Il est également expert sur la chaîne de télévision I24news.

Œuvres : Shalom Tsahal : confessions d’un lieutenant-colonel des renseignements israéliens (2002),  « Sauver Mozart » , « La Confrérie des chasseurs de livres » , « Les obus jouaient à pigeon vole » (2016) . En 2017, il publie « Évacuation« , en 2018 « La Rose de Saragosse« ,  en 2022 « In Absentia »

Actes Sud – 05.04.2017 – 127 pages / Babel – 02.03.2022 – 127 pages

Résumé :
C’est la guerre. L’ensemble de la population de Tel- Aviv est évacué. Sauf qu’à la dernière minute, Saba, le grand-père de Naor, descend du bus, entraînant le jeune homme et sa petite amie Yaël dans une dérive clandestine au coeur de la cité désertée désormais toute à eux. Une expérience de survie à hauts risques, à l’intensité démultipliée par trois – trois âmes dont la fraternité efface les générations, trois grands enfants éperdus : Saba, le rescapé beckettien aux velléités oubliées, Yaël, la belle artiste aux idéaux intacts, et Naor, l’étudiant en cinéma aux yeux grands ouverts.
Dans une ville bombardée devenue terrain de jeu, cocon paradoxal pour une innocence réinventée, Evacuation est un conte sans morale, une bulle de poésie arrachée aux entrailles de l’histoire au présent, une ode urbaine au désir de vivre, et de paix.

Mon avis :

En cette période où le mot « évacuation » résonne tout particulièrement avec la guerre en Ukraine, la lecture de ce court roman – qui s’apparente plus de fait à un conte sans message moralisateur – s’est comme imposée à moi. Ce faisait un moment qu’il m’attendait et j’avais pris quelques notes en écoutant une interview de l’auteur. Un auteur que j’affectionne et qui associe toujours ses écrits avec un art. Dans Sauver Mozart la musique, dans La Confrérie des chasseurs de livres la poésie (Villon), dans Les obus jouaient à pigeon vole la poésie (Lamartine), dans La Rose de Saragosse la gravure, et dans Evacuation le cinéma.
Les habitants de Tel-Aviv doivent évacuer. Mais un trio refuse de s’en aller. Ce trio est composé de Saba – grand-père en hébreu -, de Naor – un étudiant en cinéma qui tourne un film qui a pour titre « Evacuation » et la jeune femme, Yaël – artiste peintre. Le quatrième personnage est la ville de Tel-Aviv, une ville qui est réputée pour son ouverture, la fête, l’art, la joie de vivre.
Evacuer… mais pour quelle durée ? ce n’est pas précisé au début du roman. Lors du conflit Israelo-Palestinien …
Ce livre est un livre anti-guerre ; il fait ressortir les sentiments et l’humanité qui ressort dans des circonstances dramatiques.
Les trois personnages refusent la guerre, ils veulent rester fidèles à leurs valeurs, combattre en vivant normalement, en ne fuyant pas.  Ils vont s’exprimer à travers le tournage d’un film et montrer ainsi leur façon d’appréhender et de vivre la situation. L’auteur va faire du livre de Beckett « Malloy » un fil rouge, symbole de l’absurde, de la liberté, de la dissidence ; au fur et à mesure du roman, perte de repères et dépouillement progressif. Et aussi des circonstances qui vont révéler le caractère refoulé des trois protagonistes par le choix de leurs vêtements, des habits de scène en quelque sorte. Quand au quatrième protagoniste, la ville, elle vit, souffre, se révèle aussi.
C’est un roman d’espoir qui colle à la réalité des conflits et des gens qui refusent de sacrifier leur vie D’avant sous la menace des missiles… Comme le dit l’auteur… ils veulent être plus malins que les missiles…

Extraits :

Ça ne t’est jamais arrivé, à toi, de faire abstraction de ce qu’il se passe autour ? Comme si tu étais un personnage de Beckett. D’éprouver ce sentiment de dérision. À propos de tout.
Comme si tu étais Molloy.

Le mot même de “réfugié” l’a toujours exaspéré. Alors, je le lui ai répété plusieurs fois. Pour le gonfler.
Réfugié, réfugié, réfugié…

Nous n’étions sûrement pas les seuls restés dans la ville en catimini. Où étaient donc les autres ?
Nous évoluions comme dans un rêve.

C’est ainsi que le souvenir de ce qu’il s’était passé a pris forme. Qu’il s’est inscrit dans nos esprits. Plan par plan, comme au montage. Mais plus il se reconstituait, élément après élément, et moins il nous semblait réel.

L’essence, l’électricité, tu peux t’en passer. L’Internet aussi. Mais l’eau, c’est une autre histoire.

Nous étions solidaires, tu vois. Ceux qui étaient restés. Mais pas tributaires les uns des autres.

Les réseaux étaient tombés. Mais il restait les ondes courtes. La radio, quoi. Ça nous a permis de nous tenir au courant des mouvements de troupes, de l’évolution du conflit, du décompte des morts et des blessés. Et aussi du temps qu’il ferait.

Lorsqu’ils pensent à toi, lorsqu’ils te regardent, ils ne voient que ce maudit “conflit”. Ils t’identifient à lui. Ou du moins à l’idée qu’ils s’en font. Et ils te parlent de paix. Ils ne te parlent que de ça. Le conflit, les négociations, la paix.

Le code de la route ne lui était pas destiné. Ne le concernait pas. Il affichait la même attitude à l’égard de son cancer. Et des missiles. La même conviction qu’il suffisait de s’en taper pour passer au travers.

Comme pour ne pas violer le silence qui régnait sur la ville. Un silence grave. Une absence totale de bruit comme il n’y en a qu’à la campagne ou dans le désert. Jamais à Tel-Aviv.

Rien ne serait plus pareil, après l’évacuation. Tel-Aviv ne serait plus la même. Immune. Dispensée de cours d’histoire-géo. Elle aurait un passé, désormais. Tout comme Paris ou Madrid. Un passé mémorable et des rides.
En déambulant dans les rues, ce jour-là, je crois que nous avons ressenti tous les trois une sorte de nostalgie avant l’heure. C’était comme si nous marchions dans un décor de théâtre laissé à l’abandon. Suranné. Que nous ne pouvions nous résigner à quitter.

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