Malzieu, Mathias « Le guerrier de porcelaine » (2022)
Auteur : chanteur, musicien et écrivain français, né le 16 avril 1974 à Montpellier. Il est le chanteur du groupe de rock français Dionysos. Il a écrit : 38 mini westerns (avec des fantômes), (Pimientos, 2003) – Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi, (Flammarion, 2005) – La Mécanique du cœur, (Flammarion, 2007) – Métamorphose en bord de ciel (Flammarion, 2011) – L’Homme Volcan, (Flammarion & Actialuna, 2011) – Le Plus Petit Baiser jamais recensé, (Flammarion, 2013) – Journal d’un vampire en pyjama, (Albin Michel, 2016) – Une sirène à Paris, (Albin Michel, 2019) – Le Dérèglement joyeux de la métrique amoureuse (Éditions de l’Iconoclaste, 2020) – Le guerrier de porcelaine, (Albin Michel, 2022)
Albin Michel 12.01.2022 – 240 pages
Résumé :
En juin 1944, le père de Mathias, le petit Mainou, neuf ans, vient de perdre sa mère, morte en couches. On décide de l’envoyer, caché dans une charrette à foin, par-delà la ligne de démarcation, chez sa grand-mère qui a une ferme en Lorraine. Ce sont ces derniers mois de guerre, vus à hauteur d’enfant, que fait revivre Mathias Malzieu, mêlant sa voix à celle de son père. Mainou va rencontrer cette famille qu’il ne connaît pas encore, découvrir avec l’oncle Emile le pouvoir de l’imagination, trouver la force de faire son deuil et de survivre dans une France occupée.
Il aura fallu plus de six ans à Mathias Malzieu pour écrire ce Guerrier de porcelaine, son roman le plus intime, où, alliant humour et poésie, il retrace l’enfance de son père et s’interroge sur les liens puissants de la filiation.
Mon avis :
Une fois encore je retombe sous le charme de l’écriture poétique de Mathias Malzieu.
Même sur des sujets graves, il arrive toujours à allier poésie, imagination, sourire, et émotions. C’est tendre et émouvant, jamais souffreteux et misérabiliste, même dans les moments les plus difficiles. Il insuffle l’espoir au milieu de l’obscurité.
C’est une autobiographie, un récit familial, un message d’amour destiné à son père et à sa mère disparue. C’est un regard lumineux et rempli d’étoiles dans un contexte particulièrement difficile. L’enfance du père de l’auteur qui se retrouva parachuté chez sa grand-mère pour y attendre la fin de la guerre en sécurité, alors qu’il vient de perdre sa Maman, que son père est sur le front, qu’il ne connait personne et a interdiction de sortir de la maison pour raisons de sécurité. Et malgré tout il arrive à nous faire vivre cela comme un moment magique… Extrêmement touchant.
Et quel personnage fabuleux que l’Emile, « qui allume les trucs de joie » mais la description de tous les personnages est également remarquable.
Entre les mots d’enfants et les mots d’adultes, une parenthèse presque enchantée entre deux bombardements…
Mais parmi les livres que j’ai lu de cet auteur, mon préféré jusqu’à présent reste Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi .
Extraits :
On pense. Les mots ne servent à rien, donc on ne s’en sert pas.
Nous voyageons avec une boîte, deux valises remplies de fantômes et l’impossibilité de soigner l’angine de questions.
C’est toi qui m’as appris ça. « Imaginer quelque chose de joyeux pour diluer la douleur », me disais-tu.
D’un coup mon cœur recommence son tambourinage. On dirait un voisin pas content qui tape à la porte des poumons.
– Il y a un passage secret dans ton cerveau qui mène directement à ton cœur. Pour l’emprunter, il va falloir muscler ton imagination
Faut-il s’entraîner à se souvenir ou s’entraîner à oublier ? Je ne me souviens pas toujours très bien, je n’oublie pas très bien non plus.
Je vais devoir écrire un mode d’emploi pour mon cerveau, je crois. Sauf que je le reconnais à peine. Plus rien ne fonctionne comme avant. Tout est mélangé, le cœur et les souvenirs. Dès que j’en allume un, ça me réchauffe un instant avant de foutre le feu partout. Toute l’électricité est à refaire. Le cœur fait des faux contacts, je respire n’importe comment.
Parfois ton souvenir se décolore comme le font les photos avec le temps. Alors je t’écris, ça ralentit le processus de disparition.
écrire, c’était comme faire la cuisine : les mots sont les ingrédients, comme les couleurs pour le peintre.
Tu apprendras que l’amour, ça s’entretient comme un potager. Et la poésie, c’est le meilleur des engrais.
La sirène hurle. Les avions partent se garer quelque part dans les nuages, c’est la fin de la tempête.
Ça ne marche pas du premier coup, mais je t’assure qu’essayer de rire, c’est une bonne technique. Du moins c’est la mienne.
Je crois que les commissures de ses lèvres tremblent, mais elle m’embrouille avec son sourire à fossettes. Ça fait des points, des virgules et toute une ponctuation.
Ton oncle est un rêveur. Mais il oublie que quand on rêve trop grand, on passe sa vie à être déçu de la réalité.
– Ta tante est une rêveuse. Mais elle oublie que quand on ne rêve pas ses propres rêves, on s’emmerde.
Les explosions se rapprochent. Je vois les avions pondre leurs bombes à l’horizon. Ça siffle comme une bouilloire géante à travers le ciel. La nuit se transforme en jour en un éclair.
e m’attends à recevoir un sermon de première classe. Mais rien. Pas un mot. Pas même une réflexion de la tante Louise. L’engueulade la plus terrible de ma vie se résumera à un grand silence plein de vide.
J’ai des envies de grenier. Cette salle d’attente du ciel. Près de là où on peut mourir si un avion décapite la maison, près de là où on peut rêver et se rapprocher de tout ce bordel d’étoiles.
Je me suis mis à préférer les souvenirs que je m’invente. Certains d’entre eux se passent dans le futur. J’imagine que mon cœur est une machine à voyager dans le temps.
Je prends quelques vrais souvenirs aussi, puis je les agrandis, je leur fais des suites. Je sculpte. Quand j’obtiens un tout nouveau souvenir tout neuf, j’ai l’impression d’avoir voyagé dans le temps.
Les vrais souvenirs, même les bons, sont des aimants à mélancolie. Alors que mes petites créations me rendent doucement joyeux. C’est artificiel, soluble dans l’air, mais je m’en vaporise l’esprit souvent. J’arrose ce cœur tout sec, j’huile ses engrenages.
Les étoiles mortes continuent de briller. Je voudrais briller encore pour toi, qu’un petit feu te réchauffe encore.