Ogawa, Ito « La Papeterie Tsubaki » (2018)
Autrice Ecrivaine japonaise, originaire de la ville de Yamagata, dans la préfecture du même nom au Japon, Ito Ogawa se rend à Tokyo pour poursuivre des études de Japonais classique à l’université. Elle est connue pour ses rédactions de chansons, notamment pour le groupe Fairlife, et ses livres illustrés pour les enfants.
Œuvres traduites en français : Le Restaurant de l’amour retrouvé (2013) – Le Ruban (2016) – Le Jardin arc-en-ciel (2016) – La Papeterie Tsubaki (2018) – La République du bonheur (2020) – Le goûter du lion (2022)
Editions Philippe Picquier – 23.08.2018 – 384 pages / – traduction par Myriam Dartois-Ako / Picquier poche – 03.06.2021 – 402 pages
Résumé :
Hatoko a vingt-cinq ans et la voici de retour à Kamakura, dans la petite papeterie que lui a léguée sa grand-mère. Le moment est venu pour elle de faire ses premiers pas comme écrivain public, car cette grand-mère, une femme exigeante et sévère, lui a enseigné l’art difficile d’écrire pour les autres. Le choix des mots, mais aussi la calligraphie, le papier, l’encre, l’enveloppe, le timbre, tout est important dans une lettre.
Hatoko répond aux souhaits même les plus surprenants de ceux qui viennent la voir : elle calligraphie des cartes de voeux, rédige un mot de condoléances pour le décès d’un singe, des lettres d’adieu aussi bien que d’amour. A toutes les exigences elle se plie avec bonheur, pour résoudre un conflit, apaiser un chagrin. Et c’est ainsi que, grâce à son talent, la papeterie Tsubaki devient bientôt un lieu de partage avec les autres et le théâtre des réconciliations inattendues.
Mon avis :
Une fois de plus sous le charme de l’écriture d’Ito Ogawa. Elle est d’une délicatesse, d’une justesse et d’une sensibilité exquises. Elle nous parle ici des « femmes à tout faire du pinceau », les calligraphes, les écrivains publics dont la mission est d’aider les autres à communiquer, à choisir la meilleure manière de faire passer les messages, de s’identifier à ceux qui s’adressent aux passeurs de mots et de les représenter du mieux possible.
Ce livre nous explique les différents types d’écriture, la manière de préparer des encres, la signification des couleurs et des densités des encres, la raison d’utiliser tel ou tel pinceau ou plume, pourquoi la délayer ou pas, pourquoi on utilise tel ou tel papier, telle ou telle enveloppe… Et le supplément d’âme qu’apporte la touche manuelle à l’écriture.
Le livre nous parle aussi des traditions et des croyances japonaises, des fêtes religieuses, des divinités, des rituels sacrés (l’adieu aux lettres, les sept herbes sauvages, la tournée des sept divinités, le rituel du jet de la coupelle… pour ne citer que ceux-là)
Il y a aussi toute la partie sentiments. La relation très particulière entre Hatoko, qui reprend la papeterie et les gens qui l’entourent, et surtout les souvenirs de la relation entre elle et sa grand-mère, l’Ainée, celle qui l’a élevée. Au fil des pages, Hatoko se rapprochera de l’Ainée, commencera à découvrir ce qui se cachait derrière une façade dure et peu amène et découvre sa vie.
Un très joli moment de lecture, hors du temps, qui nous parle d’amour, d’amitié, de valeurs, de traditions, de communication entre les êtres…
Extraits :
Sur la vieille porte à deux battants vitrés en haut figurent les mots Papeterie à gauche et Tsubaki à droite. Tsubaki, comme le grand camélia du Japon qui se dresse à l’entrée, véritable sentinelle chargée de protéger la maison.
A la différence des hiragana et des katakana dont le nombre est limité, il y a une infinité de kanji.
On dit que la préparation de l’encre a un effet apaisant. J’ai goûté de tout mon être, pour la première fois depuis longtemps, cette agréable sensation d’abandon.
Ce n’est pas qu’on s’endort, plutôt que l’esprit s’enfonce progressivement, à reculons, dans des profondeurs obscures, insondables. J’étais à deux doigts de plonger dans l’extase.
Les gens capables de mettre en mots leurs sentiments n’ont pas de problèmes, mais nous, nous prenons la plume pour les autres. Parce que cela peut les aider à mieux s’exprimer.
Le même texte offre un visage totalement différent selon qu’il est rédigé au stylo-bille, au stylo-plume, au stylo-pinceau ou au pinceau. Ecrire une lettre au crayon à papier étant foncièrement malpoli, ce choix n’est même pas envisageable.
Imaginer qu’une vilaine écriture était la marque d’une laideur intérieure, c’était d’une violence inouïe.
Bref, l’écriture, c’est comme une réaction physiologique. On a beau vouloir écrire joliment, quand la main ne suit pas, on n’y arrive pas. On peut se tordre de douleur par terre et souffrir tous les maux du monde, quand ça ne vient pas, rien n’y fait. L’écriture est ce genre de monstre.
Le manque d’inspiration, c’est un peu comme quand on est constipé. On voudrait que ça sorte, mais rien ne vient. On a quelque chose à évacuer, mais il y a une résistance.
On souffle sur une coupelle plate appelée kawarake pour y transférer les ondes négatives, puis on la jette de toutes ses forces contre des pierres.
Plutôt que de rechercher ce qu’on a perdu, mieux vaut prendre soin de ce qui nous reste.