Rouchon-Borie, Dimitri « Le démon de la colline aux loups » (2021)
Auteur : Dimitri Rouchon-Borie grandit à Nantes, puis fait des études de philosophie et de sciences cognitives. Il devient journaliste dans la presse régionale, et notamment à La Presse d’Armor puis au Télégramme. En 2011, il débute dans ce cadre des chroniques judicaires. Il écrit un premier livre de chroniques judiciaires romancées en 2018, dénommé Au tribunal. En janvier 2021, il publie son premier roman, « Le Démon de la colline aux loups », très remarqué par la critique (lauréat de nombreux prix, dont le Prix des Inrockuptibles et le Prix Première de la RTBF, 2021), Ritournelle (2021), Fariboles (2022) et Le Chien des étoiles (2023).
Le Tripode . 07.01.2021 – 240 pages / – Météores poche – 09.06.2022 – 192 pages – Prix les inrocks du premier roman
Résumé :
Un homme se retrouve en prison. Brutalisé dans sa mémoire et dans sa chair, il décide avant de mourir de nous livrer le récit de son destin.
Écrit dans un élan vertigineux, porté par une langue aussi fulgurante que bienveillante, Le Démon de la Colline aux Loups raconte un être, son enfance perdue, sa vie emplie de violence, de douleur et de rage, d’amour et de passion, de moments de lumière… Il dit sa solitude, immense, la condition humaine.
Le Démon de la Colline aux Loups est un premier roman. C’est surtout un flot ininterrompu d’images et de sensations, un texte étourdissant, une révélation littéraire.
Mon avis :
Avant de mourir, Duke se raconte. Et cela fait froid dans le dos. Il faut dire que la maltraitance enfantine atteint des sommets dans ce livre. Un premier roman exceptionnel.
Et quel style particulier… Oral… mais un rythme si particulier… pas de virgules… Un style totalement déstructuré, comme le personnage de Duke… un enfant non scolarisé, qui a grandi dans des conditions atroces et cette voix s’exprime comme il ressent, avec des mots presque d’enfants, et cette sorte d’innocence qui sort de la bouche d’un adulte qui a commis ( et subi) les pires exactions est juste bouleversante…
Mon Dieu qu’il est dur ce livre !!! Faut avoir le coeur bien accroché face à la description de maltraitance enfantine poussée à ce niveau !!! J’avais lu d’autres romans parlant du sujet ( de Vigan, Delphine «Les Loyautés» (2018), Seurat, Alexandre « La maladroite » (2015) – Gerhardsen, Carin «La maison en pain d’épices» (2011) – etc) , mais celui-ci les surclasse tous.
Un livre qui fleurte avec le sordide, qui aborde des thèmes ignobles et pourtant … Le personnage de Duke qui vient d’être condamné à la prison à perpétuité est au-delà de l’horreur, un personnage pour lequel on ressent de l’empathie… Tous les actes terribles qu’il a commis, il les a commis pour terrasser le Démon qui a accompagné toute sa vie… Il voit la vie tellement différemment… Il est tellement perturbé… Il est confronté au Démon depuis son enfance, essaye de comprendre le bien et le mal et quand son enfance lui revient en pleine face … il disjoncte avec une violence insoupçonnable.
Une fratrie qui vit dans une maison au milieu de nulle part, des parents qui maltraitent un enfant de la fratrie, le petit Duke. Quand Duke quitte pour quelques heures l’enfer familial pour l’école, il sera la cible des enfants qui seront méchants avec lui… et quand il se défendra, c’est tout son monde – sordide certes – qui va s’écrouler. Certes il va aller dans une famille accueil qui fera tout pour lui mais il va se retrouver séparé de sa sœur qui était sa raison de vivre. Et si les adultes de l’école sont gentils, les enfants sont terribles.
Il a deux frères plus âges, mais ils quittent le « nid » et disparaissent dans la nature. Dans le nid, il ne reste que Duke et ses sœurs qu’il va décider de protéger, comme il le pourra. Ce nid qui est un endroit cauchemardesque est toutefois un lieu de référence pour Duke, un cocon néfaste et nocif mais un endroit où il n’est pas seul et qu’il retrouvera presque dans le squat ou il échouera plus tard.
Rien ne nous sera épargné dans son monde sordide : viol, inceste, meurtres…
Et dans la rue, dans le squat, il reproduit ce qu’il avait vécu dans le nid : il va prendre sous sa protection une jeune droguée, comme il avait pris sous sa protection sa sœur… Et quand elle sombre, il disjoncte…
Je ne vous en dis pas plus mais c’est un de ces livres coup de poing coup de cœur… un livre qui marque.
Extraits :
Parfois j’observais la lune et les étoiles de nuit mais ma mère avait dit qu’il ne fallait pas fixer la lune car on pouvait attraper le Démon et je n’osais pas dire que je l’avais fait.
Je veux pas intervenir pour lui parce qu’en prison intervenir pour quelqu’un c’est comme éternuer à côté du château de cartes des relations et des affaires et des influences et j’ai pas le temps de m’occuper de ça après je vais pas finir de raconter à temps je m’en voudrais.
Je parlais de l’école et je dois y revenir pour que ce soit clair parce que les gens étaient gentils avec moi sauf les enfants.
Moi j’allais dans la cave et je savais comment ça marchait on peut aussi rêver dans la cave il se passe un temps et on n’a plus peur.
C’est comme ça que j’ai commis ma première erreur j’ai voulu faire comme dans les livres que j’avais vus à l’école mais je ne savais pas lire. J’ai voulu être un héros qui a un pouvoir extraordinaire et je pensais que comme ça j’aurais plus à subir ces choses pénibles et je pourrais m’acheter autant de sandwichs de la cantine et de bonbons que je voudrais.
Je crois que c’est ma souffrance qui m’a tué depuis longtemps je ne crois pas que je suis vivant autrement que par mes fonctions biologiques mais dedans je suis mort.
Et c’est aussi sans doute ma souffrance qui a fait le lit du Démon et qui a causé la mort de tous ces gens que j’ai tués.
Ce qui est étrange avec la fin de mon enfance et la disparition du nid c’est que ça m’a beaucoup intéressé de faire le parallèle parce que c’était l’horreur mais au fond c’était notre paradis et rien n’a été mieux que cela.
Celle qui raconte le livre est sainte Catherine elle explique qu’elle a eu des visions des âmes au Purgatoire je ne sais pas si c’est vrai mais merde imaginez si c’est vrai.
Il y a une vérité c’est qu’on peut pardonner quand on imagine que les gens ne font pas vraiment exprès mais vivre dans l’idée que les parents avaient prévu des plans en rapport avec le mal c’est insupportable et ça m’a obligé à beaucoup penser au Démon et à lui faire une place.
Je sais que c’est incompréhensible mais vous marchez sur un pont et moi sur un fil alors par pitié laissez-moi avoir mes raisons.
Je sentais bien que j’avais à l’intérieur une trace qui ne partait pas c’était la déchirure de l’enfance c’est pas parce qu’on a mis un pont au-dessus du ravin qu’on a bouché le vide.
Il a dit je vais écrire que vous n’êtes pas fou parce que c’est mon analyse mais vous êtes comme une maison qui tient sur deux parpaings au lieu d’un mur à cause de votre enfance.
J’ai dit les hommes sont des choses vides et des fois leur vie se remplit de bien et des fois de mal et des fois c’est partagé et ça fait une lutte.