Rochat, Anne-Frédérique «Quand meurent les éblouissements» (RL2022)
Autrice : Née à Vevey, Anne-Frédérique Rochat est comédienne et auteure de pièces de théâtre. Son premier roman, Accident de personne, est paru en 2012 aux Éditions Luce Wilquin. Suivent six autres romans, chez la même éditrice. Lauréate de plusieurs prix et bourses, Anne-Frédérique Rochat alterne désormais écriture narrative et dramatique.
Romans : Accident de personne (2012), Le Sous-bois (2013) – A l’abri des regards (2014) – Le Chant du canari (2015) – L’Autre Edgar (2016) – La ferme (vue de nuit) 2)016) Miradie, (2018) – Longues nuits et petits jours (2021) – Quand meurent les éblouissements (2022)
Editions Slatkine – 15.08.2022 – 264 pages
Résumé :
À l’âge de quinze ans, avec les encouragements de sa mère, Chiara passe un casting et décroche un rôle important au cinéma. Dès lors, un monde nouveau s’ouvre à elle. Un monde envoûtant qui répare certaines blessures, mais en ravive d’autres. Comment parvenir à un équilibre quand on a soif de reconnaissance et qu’on place son bien-être dans le regard d’autrui ?
Sur les conseils de son agent, Chiara Mastrini deviendra Aure Carmin afin d’éviter la confusion avec une autre actrice au nom trop similaire. Cela suffira-t-il à la rendre irremplaçable ?
Ce roman questionne la place que l’on prend et celle que l’on mérite. Ainsi que toutes les difficultés qu’engendre un succès. Surtout lorsque celui-ci est fragile…
Mon avis :
L’éblouissement pour l’écriture de cette autrice est loin d’être mort ! J’avais adoré le livre précédent de cette autrice (« Longues nuits et petits jours ») et je remercie une fois encore les Editions Slatkine grâce à qui je continue de découvrir cette autrice.
Je suis à nouveau tombée sous le charme de cette écriture pleine de sensibilité et de finesse, qui véhicule des doutes et des émotions.
J’ai ressenti ce livre comme un roman d’apprentissage ; pas seulement d’un métier – celui d’actrice – mais surtout de la vie, avec ses espoirs, ses rêves , ses difficultés, ses doutes, ses envies, ses amitiés de jeunesse, ses trahisons.
Et surtout la confrontation avec ses doubles… Une meilleure amie qui est tellement proche qu’elle porte un prénom miroir ( Chiara-Claire) jusqu’au moment où le miroir va se briser en milles morceaux , une sœur qui imite à tel point son idole, la chanteuse Mylène Farmer, qu’elle va se perde dans un monde irréel où tout tourne autour de sa fascination, une vie dans laquelle elle n’est plus elle-même … au point de ne plus être appelée par son nom et prénom mais par son pseudo… et quel pseudo… Aure Carmin … Or et rouge… Alliance de la lumière et du pouvoir… Aure, un prénom qui signifie « en or » semble bien lourd à porter. Tout ce qui brille n’est pas en or… la réalité et les apparences sont souvent deux choses bien différentes… Comment une jeune fille qui vient d’un milieu peu stable, poussée vers la lumière par une mère quittée par son mari, qui fabrique des poupées de chiffon à l’image des célébrités et rêve de voir sa fille en haut de l’affiche, alors qu’elle-même a raté sa vie pourra-t-elle survivre sous le feu des projecteurs, dans un monde qui n’est pas le sien si elle n’arrive pas à se sentir bien dans sa peau…
Vivre dans la peau des autres, vivre dans un environnement qui ne lui correspond pas, ne jamais se sentir chez elle, se glisser dans la vie de personnages, c’est une chose…Mais comment réattérir dans la vraie vie, dans sa peau à soi, et non pas dans les chaussures d’une autre ? Même le sujet de la gémellité – être soi et une autre – est évoqué ici (deux fillettes)
Chiara arrivera-t-elle à se décoller de Claire ? Parviendra-t-elle à être Chiara et à se séparer de Aure ? Parviendra-t-elle à survivre dans ce monde de faux-semblants, et vivre sa vie au lieu de sombrer dans l’alcool et la désespérance ?
Une réflexion sur le succès, sur le regard que les autres portent sur vous et que vous portez sur vous et sur les autres, sur la difficulté de percer dans le monde du cinéma, sur l’importance de l’image, sur la peur de vivre aussi.
Un magnifique moment de lecture, entre soleil et obscurité, entre éblouissement et passage dans l’ombre…
J’ai énormément aimé ce roman.
Extraits :
Tu as transformé mon visage, mes rêves, mes goûts, tu es entré dans ma vie et tu as tout chamboulé, tu ne peux pas me laisser, c’est toi l’adulte, toi le grand, je ne suis qu’une fichue gamine… À force d’être tournées en boucle, mâchées, les phrases perdaient de leur sens, et Chiara se demandait s’il était possible qu’elles se dissolvent dans le néant qu’elles engendraient.
Cela avait le ton de la plaisanterie, mais comme toujours avec elle les plaisanteries lui permettaient de faire passer des messages ou de glisser des piques.
Les arbres perdaient chaque jour un peu plus de leur flamboyance, mais ils ne s’inquiétaient pas, sachant qu’elle reviendrait l’année d’après. Quelle chance de pouvoir retrouver sa sève et sa jeunesse à chaque printemps.
Évidemment qu’elle avait le trac, elle était terrorisée même, mais elle avait compris le jour de l’audition que la peur prenait la place qu’on lui laissait : elle ne lui en céderait aucune. Elle chassait les unes après les autres les pensées anxiogènes qui affleuraient, en se convainquant qu’elle ne risquait pas grand-chose. Ce n’était pas comme si elle était atteinte d’une maladie grave ou qu’elle devait se faire opérer à cœur ouvert. Elle ne risquait rien, mis à part un sentiment d’impuissance et une humiliation publique.
À croire qu’elle n’avait pas réussi à investir ce lieu. Peut-être était-elle incapable d’investir quelque endroit que ce fût ? Uniquement des rôles, des personnages qui n’existaient pas, des histoires, des décors de cinéma, des maisons en carton-pâte. Par moments, elle avait l’impression de vivre à côté de sa vie ou au bord d’une immense piscine dans laquelle elle voyait les autres plonger, tandis qu’elle restait en retrait à les observer.
Son métier lui avait appris à percevoir la pensée qui se cachait derrière chaque intonation, parfois elle s’en serait passée, il était douloureux de voir trop clairement à l’intérieur des gens.
Demain, il y aura forcément un moment où je me retrouverai seule et où je pourrai soulager ma douleur avec un peu d’alcool, juste un petit peu, juste de quoi atténuer la blessure. On désinfecte bien les plaies du corps avec ce produit, pourquoi pas celles du cœur et de l’âme ?
L’existence paraissait moins lourde à porter quand on avait la possibilité de s’en échapper. Et l’art était-il autre chose qu’une évasion ? Une ivresse délicieuse qui vous faisait oublier la violence de la réalité ou alors la sublimait, en vous donnant la sensation de la maîtriser ?
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