Chavagné, Pierre « Abena » (2025 ) 264 pages

Auteur: Pierre Chavagné, né en 1975 en banlieue parisienne, vit et travaille dans le Sud de la France, en Uzège, dans une maison en bois avec sa femme et ses trois fils. Il est dirigeant d’une entreprise de biotechnologie.
Romans : Auteur Academy (2010) – Les duellistes (2017) – La femme paradis (2023) – Abena (2025)
Editeur : Le mot et le reste – 21.03.2025 – 264 pages
Sélectionné pour le Prix Ouest-France d’Étonnants voyageurs
Coup de cœur des libraires: Frédéric du Vrai lieu à Gradignan – Stéphanie du Furet du Nord à Lille – Romain, Le grain des mots à Montpellier. (Et beaucoup d’autres)
Résumé:
Au cœur d’un massif enneigé, Kofi et sa petite sœur Abena sont traqués par la « Souche », une milice de gardes-frontières. Dans leur fuite, ils croisent Caïn avec qui ils trouvent refuge en altitude chez la Vieille et l’Aveugle, un couple d’ermites mystérieux. La situation préoccupante dans la vallée et dans tout le pays les contraint à hiverner ensemble. Ils doivent alors s’organiser et s’approvisionner pour affronter la rudesse du climat. Ce confinement prolongé met la communauté à rude épreuve et les dissensions ne tardent pas à se faire sentir. Il s’avère que l’ennemi n’est pas toujours là où on l’attend. Avec pour décor des paysages sauvages et éternels, Abena est un huis clos qui interroge la capacité d’un groupe à résister collectivement à la violence et à la peur nous questionnant ainsi sur la place de la fraternité et de l’émerveillement dans toute vie.
Abena est un texte de l’extrême – climat extrême, beauté extrême, violence extrême – dans lequel Pierre Chavagné questionne la fraternité et repousse les limites de la fiction de sa plume précise et sensible.
Mon avis: ❤️❤️❤️❤️❤️
J’avais eu le coup de coeur pour son précédent « La femme paradis » et c’est à nouveau le cas. On y retrouve les mêmes thèmes : la femme mystérieuse qui vit dans la forêt, le passé dont on ne sait rien, la solitude, la difficulté des contacts humains, la survie en montagne, le coup de feu…
Les livres et la littérature – ici les citations aussi – ont une grande importance, ainsi que la nature.
Mais ici la femme vit dans une sorte de fausse solitude, même si elle vit dans un endroit sauvage à l’écart de la civilisation. Plusieurs personnages, aussi asociaux qu’elle vont graviter dans son entourage. Ils ont choisi la solitude et la protection de la forêt comme moyen de survie. Le refuge : la cabane, le silence, mais les mots aussi. Et cette belle idée qu’il est plus aisé de répondre par des citations que par des phrases…
Tout commence par la traque de deux migrants qui arrivent d’Érythrée après un long parcours extrêmement difficile : Kofi et sa petite soeur Abena. Pris en chasse par la milice des frontière, ils se font tirer dessus. Deux personnes vont voler à leur secours, deux personnes qui fuient la compagnie et le contact humain : Caïn – un jeune sauvage – et Jo, surnommée « la Vieille « qui vit dans une sorte de refuge enfoui au milieu de nulle part dans la montagne avec son mari, Rob qui est aveugle. Viendra se joindre à cette équipe de solitaires un ancien légionnaire, Pavel. Cette cabane deviendra une sorte de huis-clos, où les deux migrants survivront sous la protection de ces quelques esseulés.
Dans ce huis-clos nous allons suivre ces personnages et suivre également le responsable de la traque Karl et ceux qui travaillent pour lui, Paul et Deborah.. Et attendre que leurs histoires personnelles à tous se dévoilent…
Et une fois de plus, quelle écriture, quelle poésie, quelle délicatesse tant dans les mots que dans la perception de la vie ! Des descriptions de la nature magique également. Quelle humanité, quel suspense aussi..
J’ai lu ce livre juste après avoir lu « Darwyne » de Colin Niel. Deux coup de coeur qui ont des similitudes. Je pense que si vous avez apprécie « Darwyne » vous allez tomber en amour pour celui-ci
Extraits: (mais ce serait plus simple de recopier le roman)
En hiver, les montagnes ont faim ; au-delà d’une certaine altitude, les rochers deviennent des dents.
Dans cet au-delà de souffrance, il existe une extase dans laquelle la mort devient désirable, une forme d’acceptation sans quoi l’homme n’est rien.
Le sifflement du vent s’assourdit, la densité des plantations agit comme une protection, la température semble remonter. Ils avancent dans un silence crépusculaire, quelques feuillus disputent la place aux conifères. Les dernières feuilles qui se découpent sur le ciel blanc font des estampes japonaises plus belles que les vraies.
Les lèvres de la plaie lui ont souri. Un de ces sourires compatissants qui disent : « Pauvre vieux, tu dois vraiment t’ennuyer pour en arriver là !
la présence de l’autre l’insupporte. Quand un homme ou une femme s’approche, il suffoque. Depuis l’enfance, il combat cette angoisse par l’apnée. S’il ne respire plus, il disparaît ; de drôles de raisonnements logiques passent parfois par la tête des enfants. Ce n’est pas plus bête que de fermer les yeux pour se cacher, plus dangereux peut-être.
Il avait quinze ans et sa seule expérience du monde, en dehors de là où il était né, résidait dans la lecture d’une centaine de romans. Il découvrirait plus tard que la vie est bien plus fade que celle d’Edmond Dantès, Lord Jim ou Martin Eden.
Naître est une loterie, on gagne ou on perd, c’est la première manche de la partie. Migrer permet de rebattre les cartes, de risquer à quitte ou double son existence sur la promesse d’une vie plus douce ou d’une vie tout court.
À ce point du jour, les jeux d’ombres et de lumières transforment ce massif en un vaste papier froissé.
Il considère le monde vivant comme fracturé : il y a l’amour et la haine, l’ami et l’ennemi. Il sait que ce n’est pas vrai, que la vérité est plus complexe, mais cette simplification lui permet de vivre. Il n’essaie pas de réparer ou de justifier le monde ; il s’en accommode.
Quand on pose une question, même triviale, on ignore quelle porte on pousse. Celle-ci était sacrément lourde et renfermait quelque chose de volumineux.
– Vous n’êtes pas croyante ?
– Je crois dans le ciel et les montagnes, dans les arbres et les fleurs. Je ne crois pas en un dieu tout-puissant et encore moins aux hommes qui s’en revendiquent. Appelez cela l’expérience.
Tous se tiennent à l’extrême limite du langage, là où l’absence de parole révèle les êtres.
– Il y a deux choses que la société ne peut pas vous voler : vos pensées et vos secrets. Elle essaie pourtant.
Ses parents ne lui ont jamais dit qu’il l’aimait. Lui non plus ne leur a jamais dit, ça ne se fait pas chez eux. Il le déplore. Selon lui, il faut dire les choses quand elles sont belles, plutôt que de les enfouir au-dedans et de croire que l’autre va deviner.
Là commence la vraie solitude, quand on ne se soucie pas plus de vous mort que vivant.
Vouloir du poisson et pêcher, c’est un peu pareil. Non ?
– La rivière n’est pas un étal, la nature n’est pas un magasin. Il vous manque le respect.
– À quoi croyez-vous ?
– Au présent.
– C’est tout ?
– Au présent, à la poésie et aux équations car aucun des trois ne ment.
À ce moment précis, il est aussi vulnérable qu’une vérité.
– C’est juste que la voix de la vérité résonne plus fort dans le silence.
Les nuages se sont épaissis et mêlés à la brume grise venant du sol, ils ont dérobé le ciel et les sommets.
Ma femme est une ficelle, elle vous file entre les doigts dès que vous essayez de la retenir. Elle s’adapte à la situation, à force de se contorsionner, elle est tout pleine de nœuds. Et ses mouvements et ses pensées sont entravés, c’est cela aussi la vieillesse. Des nœuds serrés qui garrottent le cerveau et le cœur, les sentiments deviennent rugueux, le corps s’assèche et se retranche sur les fonctions vitales.
Il y a des silences légers et méditatifs, lumineux et d’autres denses et gris, celui-ci élevait une barrière entre eux.
Il déteste les photographies car, quand les choses tournent mal et qu’on regarde attentivement la personne figée dans un passé éternel, on a envie de lui crier de profiter du temps qu’il reste ou de l’informer de la catastrophe à venir. Cela n’existe pas et on reste avec sa tristesse et sa mélancolie.
Les flocons tombent au sol par millions. Comment les scientifiques peuvent-ils affirmer qu’aucun n’est identique ? Les hommes et les femmes ayant peuplé la terre sont comme ces flocons de neige, des passions constantes les animent depuis la nuit des temps – joie, tristesse, ambition, jalousie – on croit à tort qu’ils se ressemblent, on a du mal à distinguer leur singularité dans la multitude, mais chaque existence demeure unique.
Mythologie Africaine:
HOLAWAKA : Oiseau mythique envoyé par Dieu pour dire aux Oromo d’Ethiopie qu’ils ne mourraient pas
Image : les Allobroges