Appanah, Nathacha «Le ciel par-dessus le toit» (RL2019)

Appanah, Nathacha «Le ciel par-dessus le toit» (RL2019)

Auteur : Ayant le créole mauricien comme langue maternelle, Nathacha Devi Pathareddy Appanah, dont la famille descend d’« engagés » indiens immigrés à Maurice, écrit en français. Elle travaille d’abord à l’île Maurice comme journaliste pour Le Mauricien et Week-End Scope. Elle s’installe en 1998 en France, où elle poursuit sa carrière de journaliste dans la presse écrite et en radio. Ses articles sont publiés dans Géo Magazine, Air France Magazine, Viva Magazine et elle fait des reportages pour la Radio suisse romande, RFI, France Culture.
Son premier roman, Les Rochers de Poudre d’Or, publié en 2003 aux Éditions Gallimard raconte l’épopée des travailleurs indiens venus remplacer les esclaves dans les champs de canne à sucre à l’île Maurice. Son deuxième roman Blue Bay Palace (Gallimard, 2004) donne à voir la schizophrénie d’une île Maurice entre l’image de la carte postale et une société très marquée par les classes, les castes et les préjugés.
Dans La Noce d’Anna, publié en 2005 aux éditions Gallimard, la narratrice, tout en vivant la journée du mariage de sa fille, Anna, s’interroge sur la transmission entre mère et fille.
Le Dernier Frère, publié en 2007, aux éditions de l’Olivier, raconte l’histoire de Raj, un garçon mauricien et de David, un jeune juif qui se retrouve enfermé à la prison de Beau-Bassin pendant la Seconde Guerre mondiale. Le Dernier Frère a reçu plusieurs prix littéraires dont le prix du roman Fnac 2007, le prix des lecteurs de L’Express 2008, le prix de la Fondation France-Israël. Il a été traduit dans plus de quinze langues. En 2015, parution de En attendant demain (Gallimard 2105)
Paru en 2016, son roman Tropique de la violence est issu de l’expérience de son séjour à Mayotte où elle découvre une jeunesse à la dérive (source Wikipedia). Et toujours en 2016, «Petit éloge des fantômes» , 7 petites nouvelles. En 2018 paraît « Une année lumière », recueil de chroniques parues dans le journal La Croix en 2017, qui portent à la fois sur son métier d’écrivain et sur ses origines mauriciennes. En 2019 elle publie « Le ciel par-dessus le toit » (RL2019)

Gallimard – 22.08.2019 – 128 pages

Résumé : Sa mère et sa sœur savent que Loup dort en prison, même si le mot juste c’est maison d’arrêt mais qu’est-ce que ça peut faire les mots justes quand il y a des barreaux aux fenêtres, une porte en métal avec œilleton et toutes ces choses qui ne se trouvent qu’entre les murs.
Elles imaginent ce que c’est que de dormir en taule à dix-sept ans mais personne, vraiment, ne peut imaginer les soirs dans ces endroits-là.
Comme dans le poème de Verlaine auquel le titre fait référence, ce roman griffé de tant d’éclats de noirceur nous transporte pourtant par la grâce de l’écriture de Nathacha Appanah vers une lumière tombée d’un ciel si bleu, si calme, vers cette éternelle douceur qui lie une famille au-delà des drames.

Mon avis : C’est mon coup de cœur de l’année ! Tant par l’histoire que par l’écriture.
Il y a Éliette, Phénix, Paloma et Loup. Eliette, si l’on en croit l’étude des prénoms, est une jeune fille timide et introvertie, une vraie petite princesse qui s’oriente vers des métiers artistiques… Eliette qui va arracher le masque de la vie que son prénom lui propose, Eliette qui va changer, qui telle le Phenix va renaitre après avoir été « brulée » dans sa chair.  Il y a la colombe « Paloma », qui a des ailes pour s’envoler et va s’en servir pour s’enfuir et voler de ses propres ailes. Il y a Loup, un être doux, très sensible, et son prénom n’est donc pas en adéquation avec ce qu’il est en réalité, qui ne sait pas gérer ses émotions et ne sait pas se défendre. C’est un contemplatif.

L’un des thèmes du roman est le rapport parents/enfants. Aime-t-on ses enfants comme ils souhaitent être aimés ? Quand nous faisons ce que nous pensons être bien pour eux, faisons-nous ce qu’ils souhaitent aussi ?  Sommes-nous à leur écoute ? Vit-on les choses comme les gens avec lesquels on vit ? Nous comprenons-nous ? Osons-nous dire ce que l’on pense ? Quelle est l’importance des non-dits ? L’importance de la communication, des silences. Et quelles sont les conséquences de nos réactions quand nous agissons pour nous libérer de la vie qui nous est imposée contre notre personnalité propre et notre envie.
C’est aussi un livre sur l’enfance, sur les blessures de l’enfance, sur l’enfermement, sur les murs (réels ou non) qui nous empêchent de vivre. Le titre choisi n’est pas anodin :  en effet ce poème a écrit au moment où Verlaine était incarcéré, tout comme Loup dans le roman.
L’importance des sons est primordiale aussi … il y a tout d’abord le chant, plus tard il y a la guitare, il y a l’importance de l’écoute…et les bruits : les objets ont une vie propre : ils craquent, ronflent, claquent… Il y a les mots, les sons, les cris, … Les bruits de la vie, ceux de dehors, et ceux de la prison (ceux qui cognent, tapent, grincent, glissent, s’entrechoquent). Tout est son et odeur comme le dira Loup. Et les silences : ceux de la solitude, du manque de communication, et ceux de soulagement et de joie…
Les couleurs aussi ont leur importance mais pour une fois, j’ai été davantage sensible à la « bande son » des mots de Nathacha Appanah.

Extraits : ( le livre est court mais pour lui rendre justice il faudrait le copier dans son intégralité)

« Si je dis le vrai nom des choses qui habitent ici
La beauté la tendresse et l’imagination s’envolent à travers la fenêtre
« 

Mais toujours et encore, il y a les murs qui entourent, qui séparent, qui aliènent, qui protègent et qui ne guérissent pas les cœurs.

Cette nuit fond sur le jour en laissant des traînées roses et mauves et orange. Ce ciel, par-dessus les toits, ressemble à un morceau de soie chatoyant, pense-t-elle, et ça lui fait plaisir que ce chatoyant, qu’elle a rencontré jusqu’ici uniquement dans les pages de livres, lui vienne si aisément.

Debout devant sa fenêtre, elle perçoit la mélancolie qui accompagne toujours cette heure bleue ; d’où émerge ce sentiment, se demande-t-elle, est-ce le mélange de tous les sentiments du soir, petits et grands, beaux et laids, fades et puissants ?

sa mère ne laisse rien passer, pas une émotion, pas un mot d’avant, un mot de colère ou un mot de crainte, n’importe quoi qui laisserait entendre ce qui travaille son cœur.

Commencé ? Non, plutôt déraillé, divergé alors que jusqu’à maintenant la vie était comme elle est si souvent, ni extraordinaire ni triste, de ces vies travailleuses, sans grande intelligence ni bêtise, de ces vies à chercher le mieux, le meilleur mais pas trop quand même, on ne voudrait pas attirer le mauvais œil.

Ces regards-là disent des choses qu’elle ne connaît pas encore mais dont elle pressent la violence et l’étrangeté

Le temps passe et les mots qu’ils lui disent s’accumulent sur elle comme de la peau morte.

elle voudrait s’accrocher à cette colère qui semble la porter dans les rêveries, oh si seulement vous pouviez la voir brûler, casser, hurler !

il faut bien que cesse toute velléité du mieux, du magnifique, du meilleur, il faut bien en finir avec les belles paroles, les bons sentiments, les rêves doucereux, il faut bien, un jour, arracher à coups de dents sa place au monde.

À cette heure, elle a le sentiment que si elle n’écoutait pas ces bruits-là, le monde et toutes les choses qui l’habitent s’écrouleraient de solitude.

Elle ne fait aucun bruit, sa présence est immobile, surnaturelle, pareille à ces enfants dans les films d’horreur qui voient tout et savent tout.

Bientôt, pense-t-il moitié émerveillé, moitié effrayé, cette jeune femme au visage si parfait ne va faire qu’un avec le dragon et, oui, bientôt elle crie comme l’autre crache des flammes au croissant de son épaule droite, elle se redresse et, de ses deux mains, elle attrape le petit garçon qui glisse hors d’elle.

[…] parfois il vaut mieux ne rien dire, ne rien faire parce qu’on ne sait jamais si entre les mains on tient une arme ou un fruit.

c’est comme si le temps avait flouté ses traits de marbre, ses contours de pierre sculptée, l’acier de son regard, la fermeté de sa peau, tout ce qui la rendait si irréelle aux yeux des autres, tout ça s’est un peu effrité maintenant et peut-être que c’est mieux, elle est moins froide, moins distante, moins impressionnante tout simplement.

Bon sang, comment faut-il la mener cette putain de vie pour qu’elle ne vous morde pas au quotidien ?

elle leur avait donné des prénoms de fauve et d’oiseau, elle leur avait donné des griffes et des ailes mais ça n’avait servi à rien.

elle ne voulait pas que le temps ralentisse, elle ne voulait pas se créer d’autres souvenirs à classer dans ce coin appelé « dernière fois », elle voulait juste partir.

Je me rappelle la première fois que je l’ai vue. Elle m’a fait penser à ces maisons dans les contes de fées, là où vivent les sorcières ou les bannis, vous voyez ce que je veux dire ? Il y avait des mauvaises herbes partout, certaines m’arrivaient jusqu’à la taille et j’ai pensé que j’avais atteint le bout du monde et c’est exactement ce que je voulais.

Parfois, on aimerait savoir, n’est-ce pas, la nature exacte des paroles : leur poids sur les âmes, leur action insidieuse sur les pensées, leur durée de vie, si elles sucrent ou rendent amers les cœurs. Iront-elles se loger quelque part dans le cerveau et un jour, on ne sait ni pourquoi ni comment, réapparaître ? Auront-elles un effet immédiat et déclencher colère, tristesse, stupeur ? Seront-elles incomprises, confuses ?

c’est comme si elle était une stagiaire dans sa propre existence, en attendant d’y être confirmée.

Dehors, elle se met à courir, elle halète, elle souffle, elle croit tomber mais elle ne s’arrête pas, elle pense à Loup qui courait toujours pour se calmer, pour s’oublier et ce soir, pour elle aussi, il n’y a que l’illusion de la fuite du monde et de soi qui lui reste.

La nuit avance telle une vague, elle se soulève de toutes ces voix puis elle s’écrase et le silence ce n’est pas mieux.

il y a un silence qui est fait de soulagement et de joie à la fois..

Le cœur est à nettoyer chaque jour, à chaque épreuve.

ses yeux se dévoilent et on dirait quelque chose qui lutte pour sortir, qu’est-ce que c’est, une parole, une pensée, une larme, un enfant ?

Il faut songer à son corps où se dessinent des lierres, des liens, des dragons et des phénix. Toutes ces choses qui grimpent, se tissent, s’envolent et se déploient parce que toujours Phénix a rêvé d’être ainsi, mais ce matin il n’y a plus de place pour ces promesses d’avant.

Voir la Critique : La cause littéraire

4 Replies to “Appanah, Nathacha «Le ciel par-dessus le toit» (RL2019)”

  1. C’est tellement à l’opposé de ce que tu as ressenti que je n’ose m’expliquer. Déception absolue pour ce livre.

    Mon avis :
    Quelle déception ce livre. Bon je ne vais pas tergiverser et presque m’excuser de ne pas avoir aimé. Car j’aurais tant aimé avoir aimé. Alors je mets les pieds dans le plat. Cath, je crois que c’est la seule auteure qui nous divise, alors j’espère que mon petit avis ne te froissera pas.
    Autant l’écriture est hors du commun, aux accents poétiques avec certaines phrases particulièrement sublimes autant le reste est alambiqué, brumeux, confus. On remonte le fil de l’histoire avec comme point de départ Loup, adolescent, qui vient d’être emprisonné pour avoir conduit sans permis de conduire en provoquant un accident en roulant en sens inverse. On remonte donc par bribes avec des allées et venues dans le temps en faisant connaissance avec les grands parents, sa mère, sa sœur, une histoire de famille façon puzzle. Le trait est forcé et donc pas crédible. Comment peut-on croire que l’on fouille un gamin mineur avec gants et vaseline ? Comment peut-on croire à l’incarcération de ce même mineur sachant qu’il ne sait pas s’exprimer, qu’il n’arrive pas à mettre un mot devant l’autre, ce qui relèverait probablement plus du domaine psychiatrique dans cet état de fait. Il en va de même pour Elliette enfermée en hôpital psychiatrique à 11 ans.
    À travers tous ces personnages Nathacha Appanah nous parle des relations compliquées entre parents et enfants, l’incompréhension qui génère des drames qui marqueront toute une vie. Et un bilan désastreux que quoique l’on fasse, dans des situations totalement à l’opposé, d’amour chérissant, envahissant ou au contraire d’amour indifférent, on peut se retrouver dans des situations familiales presque sans retour. Alors c’est quoi le message : c’est apprendre à se comprendre ? À oui et comment ? Elle ne nous donne aucune piste juste un état des lieux pas crédible.
    Injustement cette belle écriture m’a éloignée des souffrances des protagonistes, moi l’animal au sang froid devant les mots de Natacha Appanah !!!

  2. Oh … dommage! C’est vrai que ce n’est pas la première fois que nos avis divergent sur cette autrice. Alors pour moi tout est crédible, juste, et j’ai suivi sans aucune difficulté le cheminement de sa pensée.. Le message? Aime-t-on ses enfants comme ils souhaitent être aimés ? – Ce qui est bon pour les uns ne l’est pas forcément pour les autres.. Il ne faut pas se projeter dans la vie de ses enfants et accepter de les voir être différents de nous…

  3. Oui oui Cath, j’ai compris son message mais c’est dans sa façon extrême de le décrire dans cette même famille et surtout dans cette façon de les mettre en scène dans sa forme : puzzle, aller et retour du présent au passé. Pour quoi faire ? À quoi cela sert ? Pour moi cela dessert le récit, cela m’éloigne d’elle mais surtout je ressens grandement une intention trop calculée, trop mise en scène, trop de trop pas assez naturelle, pas assez intuitive.
    Pour autant il y a des phrases sublimes, je l’ai dit plus haut, une poésie.

  4. Magnifiquement servi par l’écriture de Nathacha Appanah, ce roman atypique, sensible, émouvant, à la fois sombre et lumineux, traite de la difficulté d’être parent, de l’inévitable répercussion de nos propres traumatismes sur nos enfants et des dégâts qui en découlent. Un sujet très dur mais qui se termine dans une lueur d’espoir. Sublime !

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