Kasischke, Laura «Si un inconnu vous aborde» (2017)
Auteur : Née en 1961, Laura Kasischke a étudié à l’Université du Michigan, elle a gagné de nombreux prix littéraires pour ses ouvrages de poésie ainsi que le Hopwood Awards ; elle a également reçu les Bourses MacDowell et Guggenheim. Ses poèmes ont été publiés dans de nombreuses revues.
Ses romans : A Suspicious River (1999) – Un oiseau blanc dans le blizzard (2000) – La Vie devant ses yeux (2002) – Rêves de garçons (2007) – À moi pour toujours (2007) – La Couronne verte (2008) – En un monde parfait (2010) – Les Revenants (2011) – Esprit d’hiver (2013) – Recueil de nouvelles: «Si un inconnu vous aborde» (2017) – Eden Springs (2018)
« La Vie devant ses yeux » et « A suspicious river » ont été adaptés au cinéma. « Esprit d’hiver » a reçu, en 2014, le Grand Prix des Lectrices de Elle.
Laura Kasischke vit aujourd’hui dans le Michigan, où elle enseigne l’art du roman au Residential College de l’Université de Ann Arbor.
Recueil de quinze nouvelles «Si un inconnu vous aborde» (2017) mêlant l’étrange, le surnaturel, le malaise, la violence, la tension ainsi que l’humour. (Editeur Page à page, 2017)
Description : Étranges, dérangeantes, ironiques, ces quinze nouvelles sont autant d’uppercuts à nos aliénations quotidiennes. Reconnue pour son œuvre romanesque et poétique.
Laura Kasischke explore un nouveau genre et de nouveaux territoires. Si un inconnu vous aborde est son unique recueil de nouvelles.
« Ne devrait-il pas y avoir une espèce de rituel avec marche interminable sur charbons ardents sous le regard des anciens invités au mariage, invités qui pleureraient et lanceraient des pierres sur le dos dénudé des divorcés. Rituel suivi du traditionnel Bûcher des Cadeaux. Tout le monde réuni pour voir le grille-pain et le mixeur exploser. Après quoi, il y aurait la noyade sacrificielle d’une demoiselle d’honneur, celle qui a attrapé le satané bouquet, pourquoi pas ? »
J’aime son acuité, sa manière de parler des faubourgs de la vie, (…) et j’aime son humour bien sûr, un humour plutôt bienveillant, comme si elle regardait de jeunes enfants s’ébattre dans un grand jardin et qu’elle secouait la tête, incrédule.
Véronique Ovaldé
Mon avis : Comme toujours je n’arrive pas à accrocher aux nouvelles ; elles ont beau être longues, courtes, bien écrites par une auteure dont j’aime le style et les romans… les nouvelles… je ne rentre pas dedans… Cela ne me touche pas… je n’ai pas le temps de m’installer dans une ambiance… et pourtant… la sensibilité de L.K pointe à chaque page, ses thèmes relation mère/fille, parent/enfant, l’adolescence, la solitude, l’indifférence, la grisaille, tout est là et bien là.
L’auteur nous entraine dans la banlieue américaine, dans des endroits ou l’on ne connait pas ses voisins, dans l’indifférence, dans des lieux de passage, ou les gens disparaissent, dans des univers gris, que ce soit à cause de la poussière, des nuages, de l’indifférence….
Je suis davantage entrée dans « Melody » du fait de sa longueur : un couple qui se sépare : un étranger qui revient dans sa maison pour l’anniversaire de sa fille et n’est rien de plus qu’un invité chez lui
Extraits :
« Mélody »
Il était deux heures de l’après-midi, un ciel aussi limpide que du gin, aussi blême que la mort, entre trente-cinq et quarante degrés facile, pas un poil d’humidité dans l’air, et ces satanés lampadaires qui brillaient et les lignes téléphoniques qui bourdonnaient.
Le monde était sombre et tempétueux, avec trop de rimes discordantes et pas assez de fins heureuses.
« Ici, pas besoin de rappeler aux gens de s’occuper de leurs affaires. On pouvait bien agoniser sur la pelouse, ils étaient du genre à tirer poliment les rideaux pour ne pas nous offusquer en remarquant quoi que ce soit. C’était le genre de banlieue où, tous les dix ans environ, se produisait quelque chose d’abominable. Découverte d’un réseau pédophile. D’un cadavre dans une bâche, abandonné au bout d’une allée en attendant le passage des éboueurs. Et quand la presse, la télévision ou la police interrogeait les voisins, ceux-ci disaient : « Je n’ai jamais rien remarqué d’inhabituel. Ils avaient l’air de gens très bien. »
Mais est-ce que vous leur avez déjà parlé ?
Non ».
La blondeur de sa fille deviendrait aussi terne qu’une eau de vaisselle, comme avec sa sœur. Ses cheveux d’ange de bébé avaient disparu. Ils étaient plus raides, aussi. Fini les anglaises. Il ne restait pas même une boucle. La délicatesse s’en était allée.
Ses dix millions de souvenirs. Ses listes et ses intuitions. Ses illusions et ses faits. Un homme pouvait errer dans son propre esprit jusqu’à en mourir, ne rien y trouver. Comment savoir où cela se terminait, cette recherche, ou même si elle se terminait un jour ?
Nous existons. Il continua d’avancer, mais son pas avait perdu en vitesse, comme si ses jambes avaient leurs propres projets et qu’elles questionnaient les siens.
ils devinrent un vieux couple avec sa petite routine et même un chat (qui finit par s’enfuir).
« Tu me manques », dit-il à la photo qu’un aimant maintenait sur le frigo.
D’avoir cru que leur enfant s’épanouirait et les rendrait heureux s’ils l’élevaient dans cet endroit. Des rats de centres commerciaux, des avaleurs de sitcoms. Ils auraient dû partir s’installer en Grèce, avoir un bébé là-bas, vivre près de la mer.
« Notre père »
Cette migration antique et grise transportant sa boîte à déjeuner à travers les cendres était terminée.
Elle lui collait au visage, aux bras et au dos, et personne ne se donnait la peine de l’en débarrasser. À quoi bon ? La poussière reviendrait toujours.
Il n’y avait pas d’héritage, mais il n’y avait pas de dette. À croire qu’ils avaient pris soin de faire place nette, quittant la vie à reculons pour ne laisser aucune trace.
« La saisie »
Je me suis approprié ces petits trésors qui se sont glissés dans la poche de mon imagination avec tout ce que je ne voyais pas
« Tu vas mourir »
Il avait eu le dernier mot sur le sujet sans même avoir eu besoin d’ouvrir la bouche, un art qu’il avait perfectionné tout au long de sa vie.
« Ça doit être comme ça, en enfer »
En regardant en arrière, elle ne faisait que croire que les choses étaient comme elle les voyait à présent. Alors qu’elles étaient plus petites, déformées par le recul, et jamais plus on ne pourrait vraiment les comprendre ou les analyser.