Kasischke, Laura «Rêves de garçons» (2007)
Auteur : Née en 1961, Laura Kasischke a étudié à l’Université du Michigan, elle a gagné de nombreux prix littéraires pour ses ouvrages de poésie ainsi que le Hopwood Awards ; elle a également reçu les Bourses MacDowell et Guggenheim. Ses poèmes ont été publiés dans de nombreuses revues. Laura Kasischke vit aujourd’hui dans le Michigan, où elle enseigne l’art du roman au Residential College de l’Université de Ann Arbor.
Ses romans : A Suspicious River (1999) – Un oiseau blanc dans le blizzard (2000) – La Vie devant ses yeux (2002) – Rêves de garçons (2007) – À moi pour toujours (2007) – La Couronne verte (2008) – En un monde parfait (2010) – Les Revenants (2011) – Esprit d’hiver (2013) – Recueil de nouvelles: «Si un inconnu vous aborde» (2017) – Eden Springs (2018)
« La Vie devant ses yeux » et « A suspicious river » ont été adaptés au cinéma. « Esprit d’hiver » a reçu, en 2014, le Grand Prix des Lectrices de Elle.
Publié en anglais sous le titre Boy Heaven (2006) – , traduit par Céline Leroy, Paris, Christian Bourgois éditeur, 245 pages, 2007 / Le Livre de poche no 31360, 2009 (249 pages)
Résumé : A la fin des années 1970, trois pom-pom girls quittent leur camp de vacances à bord d’une Mustang décapotable dans l’espoir de se baigner dans le mystérieux Lac des Amants. Dans leur insouciance, elles sourient à deux garçons croisés en chemin. Mauvais choix au mauvais moment. Soudain, cette journée idyllique tourne au cauchemar. Rêves de garçons est une plongée au coeur d’un univers adolescent dépeint avec une justesse sans égale. Une fois de plus, Laura Kasischke s’attache à détourner avec beaucoup de férocité certains clichés de l’Amérique contemporaine et nous laisse, jusqu’à la révélation finale, dans l’imminence de la catastrophe.
Mon avis : Son écriture est un poème en prose. Ce livre commence sur le ton de la légèreté, mais ne vous en faites pas… cela va basculer…c’est du Kasischke. Quoi de plus banalement américain que des pom-pom-girls dans une petite ville américaine ? Et pourtant … derrière la normalité des situations, c’est glauque… Les jolis moments autour du feu de bois, la promenade en joli petit cabriolet décapotable de jeunes filles belles comme le jour et super insouciantes tout cela ne va pas rester idyllique…
Cette fois ci la saison mise à l’honneur par Laura Kasischke est l’été. Et comme dans ces autres romans, l’âme humaine est le « personnage » le plus important du récit. Les autres éléments récurrents sont la jeunesse, la peur, l’angoisse qui habite les personnages et la culpabilité. Dans ce livre le pouvoir des filles sur les garçons est au centre du livre : l’importance de l’apparence physique et l’impact sur les jeunes hommes. Normal de fait si on pense qu’on est dans un milieu de pom-pom girls… Les relations « amicales » entre des copines de classe sont loin d’etre lisses et harmonieuses… Le sourire est un joli bouclier, un masque redoutable, une arme de destruction… La beauté aussi. Parfaite extérieurement ne signifie pas parfaite à l’intérieur. Le joli monde des miss sourire est un parfait camp d’entrainement à l’hypocrisie, la dissimulation, la manipulation…Et petit à petit, l’angoisse s’instille dans cet endroit si calme que devrait être un camp de vacances pour majorettes…
Et comme dans ses autres écrits, la poésie, l’écriture, la description des paysages, des cieux, de la nature est juste une pure merveille. D’ailleurs Laura Kasischke est pour moi une romancière d’ambiance et d’intimité, d’introspection et l’intrigue est bien secondaire…
Pour vivre de manière diamétralement opposée l’année de nos 17 ans, quoi de mieux que d’enchaîner sur le petit livre de Jeanne Benameur « Pas assez pour faire une femme » (2013) ….
Extraits :
une rivière de bitume étroite et sinueuse tellement lisse que mes pneus émettaient un son que seuls pouvaient produire un soupir et un baiser, un baiser et un soupir.
La désapprobation émanait d’elle comme si, pareille à la lune renvoyant la lumière du soleil, elle reflétait une gigantesque source de réprobation qui consumait les cieux.
Derrière elle, les pins élancés frissonnèrent. Éclairée par le soleil, chaque aiguille semblait recouverte d’une substance lubrifiante – beurre, salive, vaseline – qui lui donnait un aspect brillant et poisseux. Le ciel d’un bleu intense rappelait une peinture. Les quelques traînées blanches s’étalant sur la cime des arbres ne s’apparentaient pas à des nuages. Elles faisaient penser à du coton, ou plutôt au coton qu’aurait utilis é un artiste pour représenter les nuages.
Tout le monde fut projeté vers l’avant, puis vers l’arrière, dans un mouvement si fluide qu’on l’aurait dit chorégraphié. Mais le conducteur ne put éviter la créature
Il peut tomber des cordes ou neiger, la seule promesse que vous pouvez tenir, c’est de sourire. Franchement les filles, en tant que pom-pom girls, c’est la seule chose que vous devez absolument faire.
Ce chat était d’une beauté incroyable – un long dos voûté, une fourrure gris perle, une queue dessinant un point d’interrogation au-dessus du corps.
Je voyais encore les nœuds gonflés de la racine qui surgissait du sol comme un membre estropié à moitié enterré ainsi que la pointe brillante de ma chaussure butant sur l’écorce grise, mais avec le temps, il me sembla qu’il s’agissait de deux événements distincts.
Je compris que quelle que soit ma décision, il était trop tard pour la prendre.
Je pouvais presque me voir là-bas, en train de l’embrasser, de danser avec lui, de parler d’avenir – une sorte de fantôme, ou d’ombre, comme si une partie de moi-même m’avait échappé et vivait sa vie ailleurs.
Ils ne la trouveraient ni sexy ni mystérieuse pour la bonne raison qu’elle ne savait pas se taire.
Lorsque le jour s’assombrit enfin pour virer au bleu ecchymose, les cigales appuyèrent sur la fonction silence, (…)
L’obscurité qui engloutit Pine Ridge après le coucher du soleil était si complète que j’avais l’impression de pouvoir en ramasser dans l’air pour en faire des boules. Je me la représentais caoutchouteuse, liquide, mais si épaisse qu’il aurait été impossible d’en effacer toutes les traces.
Elles semblaient pétillantes, gazeuses, comme un océan de Seven Up renversé sur le ciel noir, chaque bulle illuminée de l’intérieur.
Mais ces étoiles n’éclairaient rien.
Quarante ans ? Qui pouvait imaginer que j’aurais un jour quarante ans ?
J’avais dix-sept ans et un bronzage parfait.
En dehors du feu de camp et de la traînée d’étoiles enfumées dans le ciel, rien n’indiquait qu’un dieu soleil eût un jour existé.
Dehors, les cigales faisaient le même bruit qu’une mauvaise liaison satellite – quelque chose de dangereux fabriqué par l’homme qui se déverse de la terre dans l’espace infini.
Les flics vous retrouvent toujours, que vous leur donniez de fausses coordonnées ou non.
Une sorte de gigantesque rose rutilante scintilla dans le ciel avant d’être réduite en un million de points à leur tour transformés en une pluie de larmes brûlantes et de boucles d’oreilles tombant de l’obscurité sur la surface du lac, où elles grésillèrent et tourbillonnèrent une fraction de seconde avant de disparaître.
One Reply to “Kasischke, Laura «Rêves de garçons» (2007)”
merci à toi pour cette découverte que j’ai beaucoup apprécié. Je ne connaissais pas cette auteure et j’ai été bluffé. Je vais de ce pas lire d’autres bouquins de Laura Kasischke !