Kasischke, Laura «À moi pour toujours» (2007)
Auteur : Née en 1961, Laura Kasischke a étudié à l’Université du Michigan, elle a gagné de nombreux prix littéraires pour ses ouvrages de poésie ainsi que le Hopwood Awards ; elle a également reçu les Bourses MacDowell et Guggenheim. Ses poèmes ont été publiés dans de nombreuses revues. « La Vie devant ses yeux » et « A suspicious river » ont été adaptés au cinéma. « Esprit d’hiver » a reçu, en 2014, le Grand Prix des Lectrices de Elle. Laura Kasischke vit aujourd’hui dans le Michigan, où elle enseigne l’art du roman au Residential College de l’Université de Ann Arbor.
Ses romans : A Suspicious River (1999) – Un oiseau blanc dans le blizzard (2000) – La Vie devant ses yeux (2002) – Rêves de garçons (2007) – À moi pour toujours (2007) – La Couronne verte (2008) – En un monde parfait (2010) – Les Revenants (2011) – Esprit d’hiver (2013) – Recueil de nouvelles: «Si un inconnu vous aborde» (2017) – Eden Springs (2018)
Editeur : Christian Bourgois 12.04.2007 – 401 pages / LdP – 01.10.2008 – 376 pages
Résumé : » A moi pour toujours » : tel est le billet anonyme que trouve Sherry Seymour dans son casier de professeur à l’université un jour de Saint-Valentin. Elle est d’abord flattée par ce message qui tombe à point nommé dans son existence un peu morne. Mais cet admirateur secret obsède Sherry. Une situation d’autant plus troublante qu’elle est alimentée par le double jeu de son mari. Sherry perd vite le contrôle de sa vie, dont l’équilibre n’était qu’apparent, et la tension monte jusqu’à l’irréparable… Laura Kasischke peint avec talent une réalité américaine dans laquelle tout, y compris le désir, semble bien ordonné.
Mon avis : Je continue la lecture des livres de cette auteure que j’aime beaucoup. Ce n’est pas son meilleur à mon avis. Un livre sur le temps qui passe, sur la peur de vieillir, sur le couple. Quand le couple se retrouve seul après le départ des enfants, la vie semble bien vide, le quotidien semble bien terne. Et pour la remplir, la pimenter, on se raconte des histoires, on veut croit à des histoires que des personnes vous racontent. Une déclaration d’amour pour la St Valentin… Un bel inconnu vous offre des mots qui vous font rêver et une vie entière est remise en question, dérape, bascule peut-être… Une plaisanterie qui va virer au drame… Entre fantasme et réalité la ligne est floue… et facilement franchissable. Mais où tout cela peut-il mener ? C’est également un livre sur l’amitié, la trahison, les non-dits et comme toujours sur l’enfance et l’adolescence. J’ai bien aimé les personnages de Sherry et de Jon, avec leurs imperfections et leurs doutes. Les autres protagonistes sont nettement secondaires et se révèlent peu sympathiques à fréquenter. C’est un livre sur les doutes, la remise en question, les relations humaines, les rapports entre les générations, la confrontation entre le passé et le présent… la crise de la quarantaine de Shelly … Je dois reconnaitre que d’un adultère banal elle arrive à faire un suspense. Alors oui, j’aime toujours l’écriture de Laura Kasischke (et rien que pour cette écriture poétique le livre est une réussite) , le passage des saisons, dans la nature et dans la vie mais je dois avouer que l’héroïne principale m’a quand même légèrement agacée.
Extraits :
Mais ce matin était d’un froid très mordant – avec un vent glacial venu de l’est, il faisait si froid que la neige, même sous ce vent, planait encore avant de tomber, comme si l’air était plus lourd que les flocons.
Rentrés à la maison, nous devions nous ôter mutuellement les douces particules étoilées encore accrochées à nos cheveux.
La glace noire. Je ne sais même pas ce que c’est, exactement, si ce n’est qu’on ne la voit pas, mais avant qu’on se rende compte de quoi que ce soit, on fait la toupie sur la route.
Parfois, il m’arrive de ne même pas être sûre d’avoir ressenti ce que j’ai ressenti, ou vu ce que j’ai vu, avant de l’avoir raconté
[…] j’eus le sentiment surprenant et désagréable d’avoir envoyé un enfant en Californie et qu’un inconnu revenait maintenant sans lui.
C’est comme s’il était mort, mais que sa mort n’avait pas été accompagnée de chagrin.
Comme s’il était mort et que l’on ne m’avait jamais annoncé cette mort.
Voilà, me dis-je en soulevant le voile au milieu de la nuit devant le miroir de la salle de bains, ce que je suis devenue.
Et puis, alors que je me regardais de plus près : Où ai-je donc disparu ?
Nous avions tous les mêmes rêves de fleurs sauvages et d’alouettes, d’une vie plus lente à la campagne, cette campagne que nous avions détruite avec le désir même que nous en avions.
[…] ces années faisaient désormais partie de nous.
Elles s’étaient installées en nous.
Nous ne les avions pas, bien sûr, senties passer, parce que précisément elles n’étaient pas passées. Elles s’étaient bien plutôt accumulées. Et nous, nous portions ce temps révolu.
Avril est peut-être le mois le plus cruel, mais mars est bien le mois le plus sale. Le mois des détritus. Le blanc a pris la couleur des cendres, il s’est retiré juste assez pour révéler les ordures qui n’ont jamais cessé d’être là, mais il n’y avait ni feuilles ni fleurs pour distraire l’œil de ces rejets qui s’entassaient autour de nous de tous côtés – nos propres rejets, bien sûr, mais qui semblent être ceux de la nature, ceux des dieux, tant il y en a.
Dans cette enveloppe d’inconscience et de temps, je n’étais personne. J’étais nulle part.
Je n’avais aucune idée de ce que je pourrais dire. Mon esprit était soudain devenu une photographie du vide.
Toutes ces pertes, toutes ces trahisons, et même l’amour, les rêves, les fantasmes – des fardeaux de souvenirs, des fardeaux faits d’air, qui tombaient si facilement des ponts.
[…] je sombrai dans un sommeil sans rêve, rapidement, comme si je passais une porte menant à l’oubli. Mais un oubli familier. Un endroit où j’étais déjà allée.