Shafak, Elif « L’Architecte du Sultan» (2015) 700 pages

Shafak, Elif « L’Architecte du Sultan» (2015) 700 pages

Autrice : Elif Şafak, ou Elif Shafak, née le 25 octobre 1971 à Strasbourg de parents turcs, est une écrivaine turque. Primée et best-seller en Turquie, Elif Şafak écrit ses romans aussi bien en turc qu’en anglais. Elle mêle dans ses romans les traditions romanesques occidentale et orientale, donnant naissance à une œuvre à la fois « locale » et universelle. Féministe engagée, cosmopolite, humaniste et imprégnée par le soufisme et la culture ottomane, Elif Şafak défie ainsi par son écriture toute forme de bigoterie et de xénophobie. Elle vit et travaille à Londres.
Elle a publié en français : La Bâtarde d’Istanbul. (2007) – Bonbon Palace (2008) – Lait noir (2009) – Soufi mon amour (2010) – Crime d’honneur (2013) Prix Lorientales 2014 – Prix Relay 2013 – L’Architecte du Sultan (2015) – Trois filles d’Eve (2018) – 10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange (2020) – L’Île aux arbres disparus (2022)

Editions Flammarion – 22.04.2015 – 462 pages / J’ai lu– 01.03.2017 – 700 pages (trad. Dominique Goy-Blanquet)

Résumé :
Istanbul, XVIe siècle. Le jeune Jahan débarque dans cette ville inconnue avec pour seul compagnon un magnifique éléphant blanc qu’il est chargé d’offrir au sultan Soliman le Magnifique. En chemin, il rencontrera des courtisans trompeurs et des faux amis, des gitans, des dompteurs d’animaux ainsi que la belle et espiègle Mihrimah. Il attirera bientôt l’attention de l’architecte royal, Sinan : une rencontre fortuite qui va changer le cours de son existence. 

Au coeur de l’Empire ottoman, quand Istanbul était le centre grouillant de la civilisation, L’architecte du sultan est un conte magique où l’on découvre le destin extraordinaire d’un garçon aux origines modestes qui se verra élevé au plus haut rang de la cour.

Mon avis:
Un conte magique qui se passe principalement dans l’Istanbul du XVIème siècle. Les principaux personnages sont : Sinan, le maître architecte, ses quatre apprentis, un éléphant blanc, le chef des gitans, Balaban. Quatre apprentis qui n’ont qu’un seul point commun: se sont des êtres brisés dès l’enfance.
Une relation merveilleuse entre un jeune indien qui vient d’Hindoustan, Jahan à la fois cornac et dessinateur,  et un éléphant blanc, Chota.
Mais également une belle relation entre Sinan, qui deviendra l’architecte impérial et ce jeune garçon. Jeune garçon qui a dans son coeur un amour inaccessible, la princesse Mirhimah.
Même si la chronologie des faits historiques a parfois été un peu malmenée, le fond historique demeure; les personnages sont inspirés de personnages qui ont existé. C’est un roman, une fresque inspirée de la réalité avec des personnages attachants et des faits avérés.
Moi j’ai plongé dans le décor que m’a offert l’autrice et j’ai adoré découvrir la vie à Istanbul sous le règne du Sultan Soliman et de ses fils, j’ai aimé assister à la construction des grandes mosquées, j’ai aimé accompagner Jahan dans sa découverte du monde… J’ai aimé voyager en Turquie puis ailleurs avec lui. J’avais envie de m’évader et ce fut un magnifique voyage, plein d’obstacles, de rencontres inattendues et magnifiques, de sentiments et de tromperies… et un hommage à la sagesse, aux livres, à l’humain… et des petites phrases du genre « Mais Istanbul, où on préfère oublier que se remémorer, n’apprit jamais sa leçon. » qui sont toujours d’actualité de nos jours…

Cela se confirme : c’est une autrice que j’affectionne tout particulièrement et je suis contente d’avoir encore des histoires à découvrir…

Extraits:

C’est étrange comme les visages, pourtant si charnus et visibles, s’évaporent, alors que les mots faits d’un simple souffle persistent.

Le sultan lui accordait sa protection mais pas sa confiance. Il savait qu’un homme capable de poignarder ses propres compagnons dans le dos ne ferait jamais un ami loyal pour quiconque. Celui qui vient à ta porte après avoir mordu la main qui le nourrissait n’hésitera pas demain à planter ses mâchoires dans ta propre chair une fois introduit chez toi.

Jahan apprit que la cité de Constantinople avait vingt-quatre portes et qu’elle se composait de trois villes: Istanbul, Galata et Scutari. Il remarqua que les gens étaient vêtus de couleurs différentes, mais selon quelles règles, il n’aurait pu dire.

La ménagerie du sultan était un monde à elle seule. Un monde peuplé de créatures dangereuses mais, à tout prendre, pas plus sauvage que la cité à l’extérieur.

Quoi que tu fasses, elle t’aurait dit, ne fais de mal à personne et ne laisse personne te faire de mal. Ne sois ni brise-cœur ni cœur brisé.

Les marins sont une race superstitieuse. On ne doit jamais prononcer certains mots parce qu’ils attirent le mauvais sort. « Sombrer », par exemple, ou « récifs » ou « désastre ». Il ne faut jamais dire « tempête », même quand elle arrive sur vous. Celui qui entend chanter une sirène doit jeter une pincée de sel par-dessus son épaule gauche parce que c’est le diable qui l’appelle. 

Chaque fois qu’il laissait quelqu’un, n’importe qui, ouvrir l’écorce de son âme, il le regrettait sur-le-champ.

— Nous ne détruisons pas les bâtiments, petit. Nous détruisons notre désir de les posséder. Seul Dieu est propriétaire. De la pierre et du talent.

— Quand tu mets ton âme dans ce que tu fais, tu sens en toi courir une rivière, une joie.

Le ressentiment est une cage, le talent un oiseau captif. Brise la cage, laisse l’oiseau prendre son essor et voler haut. Si tu n’entretiens pas ces qualités dans ton cœur, tu ne pourras pas construire.

Qu’il s’agisse de construire un bâtiment ou naviguer en haute mer, on apprenait à veiller l’un sur l’autre ; il en émergeait une solidarité obligatoire, une forme de fraternité. Un accord tacite traversait les rangs. Il fallait admettre que la tâche à accomplir était plus forte que soi, que la seule façon de progresser était de travailler ensemble comme un seul homme. Alors on enterrait les aversions, on enterrait les querelles, à moins que n’éclate une mutinerie, auquel cas le monde basculerait de haut en bas.

Quand tu sais pas quoi faire de la réponse, pose pas la question

Repliant son cœur comme un mouchoir, il y conservait le souvenir des après-midi passées ensemble. 

il y avait deux bénédictions dans la vie : les livres et les amis. Qu’il fallait posséder en proportions inverses : des livres en grand nombre, mais seulement une poignée d’amis.

« Tu m’as l’air d’une bonne âme mais ton esprit est confus. Tu ressembles à une barque avec deux rameurs qui rament en direction opposée. Tu n’as pas encore trouvé le centre de ton cœur. »

« Quand tu maîtrises une langue tu reçois la clef d’un château. Ce que tu trouveras à l’intérieur dépend de toi. »

Il dit qu’il y avait trois fontaines de sagesse auxquelles tout artisan devrait boire d’abondance : les livres, le travail et les routes. Lecture, pratique, voyages.

Les décisions sont des moutons ; les habitudes, le berger.

Ce que nous faisons dans la vie a-t-il tant d’importance ? Ou est-ce tout ce que nous ne faisons pas qui pèse le plus ?

« L’homme est bâti à l’image de Dieu. Son centre n’est qu’ordre et équilibre. Tu vois ces cercles et ces carrés. Tu vois comme ils sont disposés de façon bien proportionnée. Il y a quatre humeurs – le sang, la bile jaune, l’atrabile et le phlegme. Nous travaillons avec quatre éléments – le bois, le marbre, le verre, le métal. »

« Le visage est la façade, les yeux sont les fenêtres, la bouche est la porte qui s’ouvre sur l’univers. Les bras et les jambes sont les escaliers. »

le secret de son maître ne résidait pas dans sa robustesse, car il n’était pas robuste, ni dans son indestructibilité, car il n’était pas indestructible, mais dans son aptitude à s’adapter au changement et aux calamités, à se reconstruire, encore et encore, de ses propres ruines. Si Jahan était fait de bois, Davoud de métal, Nikola de pierre, et Youssouf de verre, Sinan était comme l’eau courante. Quand un obstacle entravait sa course, il coulait dessous, dessus, autour, par tous les moyens possibles ; il trouvait un passage à travers les failles et il continuait à couler de l’avant.

Mais Istanbul, où on préfère oublier que se remémorer, n’apprit jamais sa leçon.

Mais souvenez-vous que les cités aussi sont comme des êtres humains. Elles ne sont pas faites uniquement de pierres et de bois. Elles sont faites de chair et d’os. Elles saignent quand on les abîme. Chaque construction illicite est un clou planté dans le cœur d’Istanbul. Pensez à vous montrer pitoyables envers une cité blessée tout comme vous l’êtes envers une personne blessée.

Il y a deux cents ans de cela, disait-il, les plus grands érudits ont dévoilé nombre de secrets de l’Univers. Leurs découvertes, au lieu d’être approfondies, ont été délaissées et oubliées. Un savoir précieux perdu pour les générations à venir. Des germes de sagesse, partout à la ronde, attendaient d’être exhumés, comme les coffres d’un trésor profondément enfoui sous terre. Le savoir était donc moins affaire de découverte que de mémoire.

« Il y a des choses qui sont en mon pouvoir et d’autres qui ne le sont pas. Je ne peux pas empêcher les gens de démolir. Tout ce que je peux faire c’est continuer à construire. »

Rien n’endommage plus l’âme humaine que le ressentiment caché.

À cet instant, Jahan comprit que la vie est la somme des choix qu’on ne fait pas ; les chemins auxquels on aspire sans jamais les suivre. 

Et comme j’ai toujours aimé ce qui se rapporte à la symbolique des nombres et des couleurs ….

le chiffre 12: Le prophète Jacob avait douze fils, le prophète Jésus douze apôtres. Le prophète Joseph, dont l’histoire est rapportée dans la douzième sourate du Coran, était le fils favori de son père. Douze miches de pain étaient disposées sur les tables des juifs. Douze lions d’or gardaient le trône de Salomon. Six marches montaient jusqu’au trône et comme toute montée implique une redescente, cela faisait douze marches au total. Douze croyances cardinales flottaient sur la terre d’Hindoustan. Douze imams succédèrent au prophète Mahomet selon le credo shiite. Douze étoiles ornaient la couronne de Marie. Et un enfant nommé Jahan venait à peine de compléter ses douze années de vie quand il eut sa toute première vision d’Istanbul.

la couleur verte: Cet homme, habillé en vert, doit être un imam parce qu’ils sont les seuls autorisés à porter la couleur favorite du Prophète.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *