Di Fulvio, Luca «Le gang des rêves» (2016)
Auteur : Luca Di Fulvio – né le 13 mai 1957 à Rome et mort le 31 mai 2023 – est un homme de théâtre et un écrivain italien, auteur de roman policier, de fantastique et de littérature d’enfance et de jeunesse. Il est devenu l’un des nouveaux phénomènes littéraires à suivre avec la sortie de « Le gang des rêves » (« La gang dei sogni », 2008) publié en France en juin 2016 chez Slatkine & Cie et premier tome d’une forme de trilogie. Plébiscité par les libraires et les lecteurs, le livre, qui raconte le New York des années 20 par les yeux d’un jeune Italien, s’est lentement mais sûrement transformé en best-seller. Suivra, un an plus tard, « Les enfants de Venise » (La ragazza che toccava il cielo, 2013) puis « Le soleil des rebelles » (Il bambino che trovò il sole di notte 2015), « Les prisonniers de la liberté » (la figlia della libertà 2018) RL2019, « Mamma Roma » (La ballata della città eterna 2020) (RL2021), « Le paradis caché » (RL2023)
En 2020 il publie son premier roman jeunesse «Les aventuriers de l’autre monde» (I ragazzi dell’altro mare)
La trilogie : L’incroyable génie de Luca Di Fulvio tient à ce qu’il emprisonne son lecteur. On lit un petit millier de page en deux nuits, et on se rend compte en refermant le livre qu’on s’est fait attraper, par une intrigue menée tambours battants. Dans Le Gang des rêves, nous étions tous Christmas, projetés dans un New York cinématographique où les enfants se jouaient comme ils le pouvaient de la violence des hommes. Avec Les Enfants de Venise, nous avons fui avec Mercurio dans la mystérieuse Venise des balbutiements de la Renaissance. Le Soleil des rebelles jette le lecteur dans la légende immémoriale d’un temps oublié, d’une région inconnue, entre lacs et forêts, ou tout relève du conte. Les époques et les histoires de ces romans-torrents n’ont rien à voir. Pourtant, elles disent le même monde : l’amour, la loyauté et l’amitié contre l’argent, la haine de l’autre, les violences faites aux femmes et aux enfants. C’est à New York en 1920, à Venise en 1515, en Bohème en 1407. C’est hier comme aujourd’hui.
Editions Slatkine et Cie (02/06/2016) – 720 pages (premier tome d’une trilogie)
Résumé : – Manhattan, 1909 : Cetta et son fils, renommé Christmas par les fonctionnaires d’Ellis Island, s’élancent dans le rêve américain, fuyant la misère de leur Italie natale…
– New Jersey – Manhattan. 1922 : Ruth, treize ans, fait le mur avec le jardinier pour s’émanciper des mœurs bourgeoises de sa famille…
– Manhattan, 1922 : Les Diamond Dogs, le Gang de Christmas a désormais un nom…
Ce gros roman qui se lit d’un trait nous a bouleversé par son écriture aussi efficace qu’éprouvante. Le style de Di Fulvio ne prend pas le temps de se chausser pour courir mais tous ses personnages prennent corps, même, et surtout, les personnages secondaires. Réflexion sur la violence faite aux femmes, sur l’identité malheureuse, le racisme et l’incommunicabilité sociale, ce roman noir, étouffant dégage une violence animale et rédemptrice : chacun s’y bat pour conserver son intégrité et, dans la boue, le sang, la pitié, garder l’illusion de la pureté.
Mon avis : 720 pages. 3 jours. Vous me croyez si je vous dis que je n’ai pas lâché le livre (ou presque ?) En le lisant j’avais l’impression d’être au cinéma… de voir l’histoire se dérouler sous mes yeux. Direction le pays de l’espoir, là où tout est possible (enfin où tout était possible au XXème siècle… espérons que ce sera toujours le cas en 2017…) Palpitant, émouvant, attachant… Merci Loup et CatW de m’avoir conseillé cette fresque que j’ai adorée !
Poussons ensemble les portes du fameux « Rêve américain » si cher à tous ceux qui ont quitté l’Europe pour l’Amérique dans les années 20… « Je ne suis pas Italien, je suis Américain » … Point de départ L’Italie, direction l’Amérique : arrivée Lower East Side … visite de Brooklyn… de Manhattan, de Harlem… de la Californie…
Faisons connaissance des immigrés juifs, italiens, polonais… des blancs, des presque blancs, des « nègres ». Explorons le monde de la rue, les beaux quartiers. Le monde de la création aussi : le théâtre, la radio, le cinéma…
Confrontation du monde du cœur et de celui de l’argent. Des pauvres qui agissent spontanément et des riches qui ne savent pas dire merci autrement qu’en payant. La pègre à tous les niveaux : la mafia… Les parrains sensibles et les durs de durs… Un peu comme dans la série « Les Sopranos » … Et l’importance des rencontres, des bonnes comme des mauvaises…
Et la peur… la peur intérieure et extérieure, le mur que l’on construit pour se protéger et au final nous isole. La peur du bonheur, la peur de la solitude. L’influence de l’argent et de la réussite…
Et une fois encore (c’est marrant de rapport à l’image dans beaucoup de livres que j’ai lus récemment) la photo qui révèle le fond des êtres… L’importance aussi des éléments ; les personnages sont renversés par des vagues, des ouragans, des tempêtes … de peur, de frissons, de vie quoi… Alors il ne faut pas hésiter : Plongez … Parfois vous aurez l’impression de couler, de vous noyer… de vous faire aspirer vers le bas… mais quand on touche le fond, on remonte et la lumière est encore plus belle quand on crève la surface… Faut juste y croire… Et y croire encore…
On passe de l’obscurité à la lumière, guidés par le vert émeraude des yeux et le blond soleil des cheveux…
Extraits :
Elle n’était pas attirée par lui mais s’enchantait de ce rire qui éclatait sans que nul n’en comprenne la raison, et qui venait violer, profaner l’atmosphère sinistre de la maison.
Et lorsqu’elle se leva du divan, elle avait dans le regard une douleur et une haine qu’elle avait pourtant cru trop profondément ensevelies pour jamais pouvoir être exhumées
Cetta n’aurait jamais imaginé qu’il puisse exister autant de peuples ni de langues. Elle n’aurait jamais cru que des hommes et des femmes puissent être si petits et d’autres si grands, ni avoir tant de couleurs d’yeux et de cheveux différentes. Elle n’avait pas idée que des gens puissent être si forts ou si faibles, si naïfs ou si fourbes, si riches ou si pauvres – et être tous mélangés. Comme dans la tour de Babel dont le curé parlait à la messe, au village.
Elle l’avait effacé par sa seule volonté, par sa seule pensée: le passé n’existait plus.
«Ne me compare jamais plus à un mort! lança-t-il d’une voix menaçante. Ça porte malheur!»
un monde intérieur qui la tenait éloignée de tout – qui ne la protégeait pas, mais la tenait éloignée.
Les explications ne l’intéressaient pas. Les choses étaient ce qu’elles étaient. Et pourtant, rien ni personne ne pourrait la soumettre. Cetta, tout simplement, ne leur appartenait pas. Elle n’appartenait à personne.
Ils avaient tous des faces de rats, même ceux qui étaient grands et forts. Parce qu’ils venaient des égouts et vivaient dans les égouts.
Mais il adorait menacer les gens. C’était comme tirer avec un pistolet. Mais au lieu de voir le sang jaillir d’une blessure, on le voyait injecter les yeux.
Or, l’amour, ça enflammait, ça consumait, ça faisait devenir beau mais laid aussi. L’amour changeait les gens, ce n’était pas une fable. La vie n’était pas une fable.
Il les entendait parler du ciel et du soleil de leur pays natal, qu’ils avaient fui sans pouvoir s’en débarrasser et gardaient accroché à leurs épaules comme un parasite ou une malédiction;
Quand il est arrivé ici, il n’avait rien. Il a rencontré une femme qui n’avait rien non plus, ils se sont mariés et ils ont continué à n’avoir rien ensemble. Puis je suis né et, pour la première fois, ils ont eu un truc.
Oui, c’était vraiment un autre monde. Et pourtant, c’était aussi le même. Rempli de gens qui n’y arrivaient pas.
Quand on devient adulte, on trouve que tout est moche?»
Certaines questions n’appelaient pas de réponses, parce que la réponse serait aussi pénible que la question.
Le hasard, c’est un coup de pied dans le cul que la vie te donne pour te faire avancer. Le hasard, dans le monde des adultes, c’est une possibilité qu’il ne faut pas gâcher.
«Je ne veux pas vivre comme un malade pour mourir en bonne santé!»
Elle n’avait pas réussi à verser la moindre larme. C’était comme si, en un instant, son corps tout entier s’était transformé en glace.
«Tu sais ce que c’est, l’amour? fit-elle. C’est réussir à voir ce que personne d’autre ne peut voir. Et laisser voir ce que tu ne voudrais faire voir à personne d’autre.»
«L’amour des jeunes, c’est comme un orage d’été, soupira-t-elle d’un ton las. En un instant, l’eau sèche au soleil, et bientôt on ne sait même plus qu’il a plu.»
Un voyou. Et il deviendrait un assassin. Parce que, quand on pense que sa propre vie ne vaut rien, quand on n’a pas de respect pour soi-même, les autres finissent par compter pour du beurre.
Il était passé d’une jeunesse insouciante à une jeunesse désespérée, sans que ni l’une ni l’autre ne laisse de trace en lui.
il comprit qu’il était comme tous les garçons des rues: sans avenir, sans rêves. Seulement plein de rage.
Et il retrouva brusquement ses propres rêves, comme s’ils n’étaient jamais morts mais avaient simplement été mis de côté
Il n’y avait rien, en Californie, qui ne contienne un peu de jaune. Le jaune de l’or que les chercheurs de pépites avaient trouvé, le jaune du soleil qui chauffait le moindre recoin, ou encore le jaune clair, presque blanc, des plages qui faisaient face à l’océan.
Dans l’obscurité de la chambre noire, les sujets photographiés apparaissaient sur le papier comme de nébuleux fantômes.
Pour le moment, je me contente de pleurer.
Mais pleurer ainsi, c’est une libération, tu sais! Pouvoir pleurer toutes les larmes de mon corps, sans les arrêter, sans qu’elles soient prisonnières de ma glace intérieure et sans craindre que ma vie, à son tour, ne rompe toutes ses digues.
Pardonne-moi d’avoir été incapable de grandir et d’être simplement devenue vieille.
Notre rêve doit commencer à rapporter, sinon…
— Sinon, c’est qu’un rêve.
les Indiens ont peut-être raison lorsqu’ils disent que les photos volent l’âme.
À force de poursuivre ses rêves orgueilleux d’accomplissement, il s’était perdu en route.
Avoir peur, c’est pas être lâche. Mais mentir, si!
Il n’y a qu’un crétin qui n’aurait pas peur d’escalader une tour avec une trompette et une épée en bois accrochées à la ceinture!
Tu es un ouragan. Et pour ta gouverne, sache qu’un ouragan, c’est pire qu’une simple catastrophe!
Or, en ce moment, l’Amérique réclame quelque chose de différent. Elle veut du sang, de la vie, des héros négatifs… parce que tout a aussi un côté sombre. L’important c’est qu’à la fin, la lumière triomphe. Vous, dans vos histoires, vous évoquez à la fois la lumière et l’obscurité.
Pour le moment, ce n’est qu’un morceau de papier blanc. Rien d’autre. Mais sur cette page, toi tu peux inscrire tes mots. Et tes mots vont faire naître un personnage. Un homme, une femme, un enfant… Tu vas attribuer un destin à ce personnage. Gloire, tragédie, succès ou défaite.
La première lettre d’un mot. La première lettre d’une phrase. La première lettre d’un destin, d’une vie qui ne dépendrait plus uniquement de lui.
Il n’y avait plus ni questions ni explications. Ce qui avait pu se produire auparavant, le passé, les pensées et les inquiétudes, tout ne semblait qu’un dessin d’enfant sur la plage, effacé en un instant par la réalité impétueuse des vagues de l’océan. Et c’était eux, l’océan. Sans début et sans fin.
elle se sentit submergée par un incontrôlable et périlleux sentiment de bonheur. Voilà ce qui la terrorisait, la suffoquait et lui coupait le souffle. L’écrasait, l’envahissait et la déchirait. La détruisait. Elle était ravagée par une tempête, un fleuve en crue.
Ses yeux se noyèrent de pleurs devant ce bonheur plus grand qu’elle, plus grand que son cœur et que son âme.
Parce qu’elle n’était pas née pour le bonheur, se dit-elle. Parce que le bonheur ressemblait de plus en plus à la violence. Ni l’un ni l’autre n’avaient de limites. Ni l’un ni l’autre n’avaient de périmètre, de clôture. Ils ne pouvaient survivre en captivité. Tous deux étaient sauvages. Des bêtes féroces.
On aurait dit que, tout à coup, le monde lui paraissait une affaire sérieuse, et que le succès et l’argent, au lieu d’accroître sa hardiesse, l’avaient rendu plus prudent. Comme si, maintenant qu’il avait quelque chose à perdre, il n’avait plus le courage de prendre des risques.
On aurait dit que quelque chose en lui s’était tu. Ou que le monde autour de lui s’était tu. À moins qu’il n’ait élevé un mur entre le monde et lui. Comme s’il avait endossé une cuirasse qui l’aurait incroyablement endurci.
Or, dans le silence de sa solitude, elle vivait tout un tumulte de souvenirs et de sensations, anciennes et nouvelles.
11 Replies to “Di Fulvio, Luca «Le gang des rêves» (2016)”
Le voici mon avis un plus étayé car il le mérite bien, Loup a raison 😉
Voilà un livre que j’ai dévoré presque d’une seule traite et pourtant il pèse lourd le bougre comme dirait mon copain le loup !!!
Attention ne venez pas y chercher une écriture travaillée ou littéraire, non rien de tout ça !!! Mais alors quoi, me direz-vous ?
Hé ben, si vous avez envie de passer un long et bon moment sans même vous apercevoir que vous êtes en train de lire, c’est le livre qu’il vous faut.
Je ne vais pas raconter non plus l’histoire, lisez le topic et ensuite laissez vous porter par cette histoire, celle de Natal (mot qui veut dire Noël que ce soit en italien ou en portugais) qui sera prénommé Christmas afin d’espérer être un jour un vrai américain. Cette ambition est celle de sa mère qui a fui sa campagne italienne où elle a été maltraitée et violée.
Si je vous parle de ce livre c’est parce-qu’il est rare qu’un pavé de cet acabit 620 pages sur ma liseuse, se lise sans la moindre once d’ennui.
Complètement accaparée par l’histoire des personnages, le lieu, le contexte. Et les pages se tournent sans même s’en apercevoir, sans même jeter un oeil sur le bas de sa bouquinette pour savoir où l’on en est ( un page turner comme on dit maintenant ! )
Elle est là, LA FORCE ET LE POINT FORT de ce livre ! Car qui peut se targuer de vous faire passer de longues heures en oubliant mêque vous êtes en train de lire ??? Peu…
Certaines scènes de sexe (celles bien évidemment consenties parce qu’attention on n’est pas non plus dans le monde des bisounours) m’ont particulièrement amusées car pour une fois Mesdames, ces messieurs ne sont pas à l’honneur.
Aaaah Mister Sal (sachez qu’en portugais sal = sel. Sel qui comme on le sait est indispensable à tout petit ou grand plat) qui porte donc bien son nom pour savoir si aisément parler des arõmates, rires…
Il en ressort aussi quelques jolies phrases d’une mère pour son fils. Et c’est dans cette simplicité que parfois se trouvent les réelles profondeurs…
Un extrait :
« Tu sais ce que c’est l’amour ? Fit-elle. C’est réussir à voir ce que personne d’autre ne peut voir. Et laisser voir ce que tu ne voudrais faire voir à personne d’autre. »
P.S 1 : Quel immense plaisir Cath d’avoir partagé ce même ressenti ♡
P.S 2 : Tu as choisi une radio pour l’illustration du livre et de ton avis. Tu ne pouvais choisir mieux, c’est l’objet qui porte l’espérance jusqu’à la réalité, la réalité du rêve américain… Ton espérance actuelle me semble malheureusement bien comprise avec Trump !
P.S 3 : Nous avons une phrase citation en commun, c’est la première foi, youpi pour cette osmose ☆
Merci CatW d’avoir pris la peine de t’exprimer longuement .. Une si belle fresque mérite bien un long discours… et ce livre est si attachant…
j’aime aussi la délicatesse de la mère qui fait tout pour ne pas blesser son compagnon .. elle est la sensibilité même en plus d’être une personne forte et fière !
Et oui ses phrases sur l’amour sont magnifiques…
Je voulais dire : bien compromise avec Trump !
Espérons que l’histoire des refoulés du « St Louis » ne va pas se répéter …
Je suis dedans et j’adore, probablement à cause de son petit côté « Il était une fois en Amérique ».
Bon en bref, vous voulez m’obliger à le lire c’est ça ? Avec de tel avis je vais pas avoir d’autres choix je crois 🙂
Je suis de ton avis de Catherine on a l’impression d’être au cinéma .Quelle richesse dans ce livre ,les sentiments d’une extrême délicatesse ,ou parfois d’une grande cruauté .La vie de la rue avec ses codes ,l’ascension sociale ,les désenchantements ,je crois que presque tout y est. Si son format n’était pas si important ,on aurait pu faire la cuisine d’une main et le lire de l’autre (broma) Mais lorsqu’on l’a commencé on a qu’une hâte continuer la lecture .
J’arrive comme les carabiniers d’Offenbach : je termine la lecture de ce livre et comme vous, j’en ressors enchantée !!! J’ai mis du temps à le lire en partie à cause de mes autres occupations qui ne me laissent pas trop de temps à consacrer à la lecture mais aussi pcq je n’avais pas envie de quitter trop vite ces « rêveurs américains » – enfin sauf Bill bien sûr 😉
Depuis le temps que je voulais le lire… je l’ai commencé et… j’adore !!!
250 pages en une journée, alors que mon précédent livre, pour le même nombre de pages, j’ai mis 10 jours !!! 😉
Je me plonge dedans et plus rien d’autre n’existe, les pages défilent et je me retrouve au début du XXe siècle aux Etats-Unis … magnifique !!!
Me réjouis de le terminer et de lire les suivants
Un style cinématographique rapide et efficace, des chapitres courts, des personnages attachants, une histoire sans temps morts font du Gang des Rêves un roman difficile à lâcher malgré ses 720 pages. Une bonne pioche car je ne me suis pas ennuyée une seconde.
Voilà , je commence ce soir . Après « les Prisonniers de la liberté » le dernier Di Fulvio , je plonge dans celui-là !