Gallay, Claudie «Les déferlantes» (2008)
Auteur : Née en 1961, Claudie Gallay vit dans le Vaucluse. Elle a publié aux éditions du Rouergue L’Office des vivants (2000), Mon amour, ma vie (2002), Les Années cerises (2004), Seule Venise (2005, prix Folies d’encre et prix du Salon d’Ambronay), Dans l’or du temps (2006) et Les Déferlantes (2008, Grand Prix des lectrices de Elle). Aux éditions Actes Sud : L’amour est une île (2010), Une part de ciel (2013), Détails d’Opalka (2014), La Beauté des jours (2017), Avant l’été (2021), Victor (2022), Les Jardins de Torcello (2024)
Rouergue 03.03.20008 542 pages – J’ai lu – 02.06.2010 – 558 pages – Babel – Novembre 2011 – 560 pages – Prix des lectrices de Elle 2009 – Prix des lecteurs de la Ville de Brive –
Résumé : La Hague… Ici on dit que le vent est parfois tellement fort qu’il arrache les ailes des papillons. Sur ce bout du monde en pointe du Cotentin vit une poignée d’hommes. C’est sur cette terre âpre que la narratrice est venue se réfugier depuis l’automne. Employée par le Centre ornithologique, elle arpente les landes, observe les falaises et leurs oiseaux migrateurs. La première fois qu’elle voit Lambert, c’est un jour de grande tempête. Sur la plage dévastée, la vieille Nan, que tout le monde craint et dit à moitié folle, croit reconnaître en lui le visage d’un certain Michel. D’autres, au village, ont pour lui des regards étranges. Comme Lili, au comptoir de son bar, ou son père, l’ancien gardien de phare. Une photo disparaît, de vieux jouets réapparaissent. L’histoire de Lambert intrigue la narratrice et l’homme l’attire. En veut-il à la mer ou bien aux hommes ? Dans les lamentations obsédantes du vent, chacun semble avoir quelque chose à taire.
(lu en 2010 et sur la base de mes notes de lecture de l’époque – je publie cet ancien avis suite à la lecture du livre par mon amie CatWoman – je pense que je vais le relire pour approfondir mon avis. Ce livre en vaut la peine.)
Mon avis : Un livre que je n’ai pas lâché. Des personnages tout en nuances, une ambiance prenante, un mystère, une écriture que j’ai aimé… un de mes gros coup de cœur.
Le Cotentin est aussi un des personnages du roman; un livre sur la dissimulation, sur l’amour possible et impossible, sur la difficulté de vivre après ou avec les coups durs de la vie. Une météo en adéquation avec le récit, avec des tempêtes et des brumes, des personnages torturés et mystérieux… une nature et des personnages sauvages.
Extraits :
Le vent ne siffle que lorsqu’il rencontre quelque chose. Un obstacle. Il ne siffle jamais sur la mer. L’espace le laisse silencieux.
Sous la violence, les vagues noires s’emmêlaient comme des corps. C’étaient des murs d’eau qui étaient charriés, poussés en avant, je les voyais arriver, la peur au ventre, des murs qui s’écrasaient contre les rochers et venaient s’effondrer sous mes fenêtres.
Ces vagues, les déferlantes.
Je les ai aimées.
Elles m’ont fait peur.
Combien de nuits j’ai passées, les dents dans l’oreiller, je voulais retrouver les larmes, la douleur, je voulais continuer à geindre. Je préférais ça. J’ai eu envie de mourir, après, quand la douleur m’a envahi le corps, j’étais devenue un manque, un amas de nuits blanches, voilà ce que j’étais, un estomac qui se vomit, j’ai cru en crever, mais quand la douleur s’est estompée, j’ai connu autre chose. Et c’était pas mieux.
C’était le vide.
Les histoires se ressemblent.
Et il y a toujours d’autres histoires. Il suffit d’un rien, parfois, un angélus qui sonne, des êtres se rencontrent, ils sont là, au même endroit.
Eux qui n’auraient jamais dû se croiser. Qui auraient pu se croiser et ne pas se voir.
Se croiser et ne rien se dire.
Ils sont là.
Ne plus souffrir de cette manière intolérable. Cette injustice de vivre quand les autres sont morts, et de survivre justement.
Survivre encore. Envers et contre tout.
Envers et contre la mort.
Et se surprendre, un jour, à rire.
Les vents qui soufflent les jours de tempête sont comme des tourbillons de damnés. On dit qu’ils sont des âmes mauvaises qui s’engouffrent à l’intérieur des maisons pour y prendre ce que l’on doit. On, c’est-à-dire ceux qui restent, les vivants.
Le manque de toi, je l’ai eu. Je ne l’avais plus. J’aurais voulu l’avoir toujours. C’est ce manque qui me manquait, mais ce manque, ce n’était déjà plus toi.
A la Hague, les vieux et les arbres se ressemblent, pareillement torturés et silencieux. Façonnés par les vents. Parfois, une silhouette au loin, et il est impossible de savoir s’il s’agit d’un homme ou d’autre chose.
Un jour, tu m’as dit, Il va falloir m’oublier… et tu m’as fait l’amour avec ta voix. Non, tu m’as d’abord fait l’amour avec ta voix et après, tu as dit, Il va falloir m’oublier. Il faut commencer maintenant. pendant que je suis encore vivant, c’est ce que tu as dit encore.
Que ce serait plus facile après.
One Reply to “Gallay, Claudie «Les déferlantes» (2008)”
Oh oui je l’ai aimé ce livre. Ce ne sera pas le dernier, je savoure d’avance les futurs qui s’annoncent.
L’écriture de Claudie Gallay me touche, les silences qu’elle exprime révèle bien plus qu’un caractère qui serait disséqué, détaillé. Elle fait vivre ses personnages avec une telle justesse qu’ils en deviennent intenses rien qu’en les posant dans une situation : une main qui frôle, un regard qui se détourne, une mèche réajustée…
Les personnages sont authentiques, on les apprivoise, Claudie Gallay nous laisse le temps de faire connaissance. Et puis l’art de cette auteure c’est de traduire l’indicible en nous parlant de la difficulté du deuil, quand l’être perdu s’est imprimé dans votre chair. J’ai trouvé ce livre sur ce point parfait, c’est difficile de parler du deuil, de la perte, de ce qui ne sera plus. Et là chapeau bas Mme Gallay, quelle profondeur elle exprime à travers son personnage principale ornithologiste, quelle profondeur elle exprime dans les tourments du sculpteur, quelle profondeur elle exprime dans la « supposé » légèreté de sa sœur, quelle profondeur elle exprime dans les secrets pesants de ce village où s’entremêlent la rancœur, la haine mais surtout l’amour.
Et puis la nature qui fait partie intégrante du récit, sa mer sauvage balayée par les vents, terre rude, âpre, rugueuse, oh que ça m’a plu…
Un livre hypnotique, subtil et fort. Un coup de cœur énorme.