Gallay, Claudie «Détails d’Opalka» (2014)
Auteur : Née en 1961, Claudie Gallay vit dans le Vaucluse. Elle a publié aux éditions du Rouergue L’Office des vivants (2000), Mon amour, ma vie (2002), Les Années cerises (2004), Seule Venise (2005, prix Folies d’encre et prix du Salon d’Ambronay), Dans l’or du temps (2006) et Les Déferlantes (2008, Grand Prix des lectrices de Elle). Aux éditions Actes Sud : L’amour est une île (2010), Une part de ciel (2013), Détails d’Opalka (2014), La Beauté des jours (2017)
Actes Sud « Collection un endroit où aller » 2.4.2014 – 160 p./ Babel – 7.3.2018 – 217 p.
« La collection « un endroit où aller » propose à des lecteurs qui ne se ressemblent pas des textes n’ayant d’autres points communs que la nécessité dans laquelle ils ont été écrits et le plaisir avec lequel ils ont été choisis. Chacun d’eux se propose donc comme un endroit où aller quand vient, avec l’envie de lire, le désir d’un rendez-vous qui restera présent dans la mémoire. » Hubert Nyssen
La collection « un endroit où aller » créée en 1995 par Hubert Nyssen, offre un lien de rassemblement à des textes de genres divers, souvent inclassables, avec le souci de donner une autorité commune à leurs singularités multiples. Elle est aujourd’hui dirigée par Evelyne Wenzinger et Bertrand Py.
Résumé :
Evocation subjective et captivante de la vie, de l’œuvre et de l’engagement si singuliers du peintre Roman Opalka, le sculpteur du temps, qui éclaire de façon inattendue la création romanesque de Claudie Gallay, et établit une filiation secrète entre les deux œuvres.
En parcourant la vie, l’œuvre et l’engagement si singuliers de Roman Opalka, artiste peintre d’origine polonaise ayant consacré sa vie à sculpter le temps par les nombres, Claudie Gallay ravive ce qui a forgé son imaginaire d’écrivain, dévoilant des passerelles souterraines, des irrigations muettes, une filiation secrète entre les deux œuvres. Le récit progresse au fil de l’enquête de la romancière, des premières expositions qu’elle découvre au manoir du peintre qu’elle visite en Aquitaine, des « erreurs » relevées dans les toiles du maître aux pages qu’elle noircit de suites de chiffres comme pour éprouver, jusqu’à en devenir le passeur évident, cette dimension épaisse, heureuse et indicible de l’irréversibilité du temps qui l’a totalement bouleversée – seul objet, motif et projet d’Opalka à compter de 1965.
Proposition poétique, théorique, esthétique, Détails d’Opalka s’apparente à un hommage monographique par la mémoire des deux trajectoires qu’il contient. Celle du temps sur lequel Roman Opalka veille, et celle des livres de Claudie Gallay.
Blog de L’Aquoiboniste atrabilaire : Lire l’article
Mon avis : Claudie Gallay fait partie de ces quelques auteures qui me prennent toujours par le bout du cœur ( il y a aussi Jeanne Benameur, Sylvie Germain, Lydie Salvayre) : par le style certes mais aussi par leur sensibilité, leur délicatesse.
Obsession du temps qui passe, comme dejà évoqué dans d’autres livres de cette auteure. Et une fois encore incursion dans le monde de l’art, de la culture. Dans L’amour est une île il s’agissait de la création écriture de pièces de théâtre et de la photographie et ici dans cet essai publié 3 ans après la disparition de Roman Opalka, de la création du peintre. Elle était fascinée par son œuvre et cet essai permet de relier leurs deux univers. C’est la représentation du temps qui passe, chiffre après chiffre, seconde après seconde, de la couleur qui disparaît, du passage du noir au blanc, de l’obscurité à la lumière. C’est une vie entière dédiée à une seule création, une ligne directrice qui ne dévie pas.
L’obsession du peintre et aussi la profondeur de l’intérêt et de la connexion entre Claudie Gallay et le peintre qu’elle suivra toujours et ne rencontrera jamais. Elle décrit par petites touches sensibles et toujours nimbées d’art, de poésie. Elle qui écrit en clair-obscur nous entraine dans un voyage qui va du noir au blanc en passant par tous les tons de gris. C’est le temps qui passe, comme dans ses autres romans. C’est aussi la fascination pour les indiens Hopis qui revient ( une ligne parfois mais ils sont là) dans ses écrits. C’est la vie qui s’échappe. C’est la photo qui fige le temps mais qui est en même temps un témoin impitoyable.
Pour comprendre, il faut se faire une idée de Roman Opalka : De 1965 à sa mort, il se consacre à l’œuvre de sa vie dont le but est d’inscrire la trace d’un temps irréversible. Ses moyens d’expressions sont majoritairement ses Détails (suite de nombres peintes sur toile), des autoportraits photographiques et des enregistrements sonores de sa voix (wikipédia)
J’ai découvert Opalka, mais pas que lui.. J’ai aussi découvert Strzeminski… et aussi Claudie Gallay autrement qu’à travers ses romans.
Site officiel Roman Opalka : http://www.opalka1965.com/fr/index_fr.php
Extraits :
Opalka a consacré toute sa vie à raconter la fuite du temps, il en a creusé l’idée, l’a développée, ramifiée jusqu’à sa philosophique et complète perfection, pour en faire un programme, une œuvre d’art qui illustre parfaitement l’idée qu’un artiste qui travaille au plus près de sa vie peut rejoindre un universel qui nous bouleverse tous.
Le temps est son modèle et pour la vie entière, il n’en aura pas d’autre.
Pour faire cela, et parmi les différents blancs (blanc de zinc, blanc d’argent, blanc transparent), il a choisi le plus opaque, le plus puissant, le seul capable de recouvrir le noir : le blanc de titane.
Plus tard, quand le programme sera bien avancé, que les tableaux seront proches de l’effacement, il utilisera deux blancs différents, le blanc de titane pour l’écriture des chiffres et le blanc de zinc (mêlé au noir) pour le fond. Ainsi, le tracé des nombres restera lisible sous certaines lumières.
Opalka conduira sa progression sans faillir vers un blanc émotionnel qui se crée Détail après Détail, et la lumière dans son œuvre repoussera lentement le noir.
Une multitude de points comme le tic-tac régulier de la pendule d’enfance ou les grains d’un sablier.
Les photos suspendent le temps.
Mais dans la réalité, le temps est toujours en mouvement, il ne s’arrête pas.
Tout est décidé, voulu, en prévision du jour lointain où il se prendra en photo devant une toile recouverte en blanc sur blanc, les nombres seront alors impossibles à lire et le visage sera lui aussi devenu un effacement.
La démarche photographique d’Opalka s’est glissée à l’intérieur de mes romans. Influence d’une fascination, il y a de lui en moi. Dans la tête de mes personnages mûrissent des obsessions semblables aux siennes.
Je voulais garder une trace pour plus tard, pallier les insuffisances de la mémoire, je ne suis pas passéiste mais j’ai peur d’oublier.
Ainsi, après le visage, c’est la voix qui est prise dans l’œuvre, incluse en elle, tissée.
Je connais ce sentiment d’immense vulnérabilité, entre deux romans.
L’art est défini non par les propriétés esthétiques des objets ou des œuvres, mais seulement par le concept ou l’idée de l’art.”
Je n’écris pas pour laisser ma trace mais pour donner de l’épaisseur au temps que j’ai à vivre.
On dit que les chats ont sept vies, et quand ils meurent au terme de la septième, ils emportent leur dernier maître avec eux.
Le sablier marque un temps réversible, il suffit de le retourner pour avoir l’illusion du temps revenu.
La lune a ses cycles, les feuilles des arbres jaunissent, il y a le travail des fenaisons. Certaines nuits, les ciels sont étoilés comme dans les grands déserts. Tout se termine et recommence, semble ne devoir jamais connaître de fin.
Nous allons mourir, c’est ce que disent tous ces visages. Nous sommes en train de mourir. Nous mourons, dans un monde qui lui ne finit pas.
Sur les Détails les plus clairs, les nombres écrits sont noyés, il m’est presque impossible de les identifier. À ce niveau de dilution, c’est la lumière qui anime la surface, on dirait la mer en mouvement, des vagues éblouissantes, langues d’écume, broderies d’ancien corsage ou bien l’écorce d’un arbre mangée par le soleil.
Le blanc gagne sur le noir au fur et à mesure de la progression. Dans les toiles suivantes, la suite serrée s’estompe, ressemble à un mur de hiéroglyphes. Le temps qui efface le visage du peintre blanchit aussi les nombres écrits, il les recouvre, c’est irrémédiable.
En littérature, écrire ne suffit pas, il faut trouver pour chaque roman un sujet différent.
Yves Klein et son bleu, Soulages et son noir.
L’œuvre d’Opalka, c’est de la vie, il ne revient pas en arrière, il ne recommence rien, il avance avec ses erreurs et il continue.
Le noir est la couleur de la peur, quand Opalka était enfermé dans l’obscurité angoissante de la cellule du camp, c’est la couleur du manque, de la séparation, des privations.
Le 1 est le chiffre qui a enclenché le travail. Opalka n’a pas commencé avec le zéro. “Le zéro est le néant. On ne commence rien avec le zéro. Avec le 1 oui car le 1 est le véritable début.”
Certains mathématiciens appellent le zéro nombre fantôme.
“L’espoir de créer une œuvre extraordinaire accompagne tout peintre face à une toile « non touchée », une toile encore blanche.”
On sait toujours quand ce sont les premières fois, celles qui touchent au corps ne s’oublient pas, elles s’impriment dans les zones les plus sensibles de la mémoire, on se souvient de l’endroit, du temps qu’il faisait.
Les dernières fois sont plus imprévisibles, elles se dévoilent comme telles souvent après, sont nommées ainsi dans un temps décalé.
Son travail est une causerie du temps qui passe et de l’âge qui nous conditionne, nous impose une façon d’agir, une attitude de vie avec des permissions et des renoncements.
le chemin à parcourir est aussi important que le but à rejoindre.
Avant de sécher, les nombres brillent, on dirait des perles de nacre. Aussitôt secs, ils s’estompent dans la toile. Le blanc se perd dans le blanc.
L’œuvre prend le nom définitif de 1965-2011/1-5607249.
Prochaine fois que je vais à Venise : la scuola di San Giorgio degli Schiavoni : Un magnifique Carpaccio, La vision de saint Augustin.
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