Benameur, Jeanne « La patience des traces » (2022) 208 pages

Benameur, Jeanne « La patience des traces » (2022) 208 pages

Auteur : Jeanne Benameur est née en Algérie en 1952 d’un père algérien et d’une mère italienne. Elle vit à La Rochelle et consacre l’essentiel de son temps à l’écriture. Elle a étudié la philosophie et l’histoire de l’art.

Elle a écrit entre autres :  Laver les ombres (2008) – Les Insurrections singulières (2011) – Profanes, (2012) – Vivre c’est risquer (2013) –  Je vis sous l’œil du chien – suivi de L’Homme de longue peine, (2013), 48 p – Pas assez pour faire une femme (Actes Sud, coll. Babel, 2015) – Otages intimes (2015) 176 p. Prix du roman Version Fémina – L’Enfant qui (2017)  – Ceux qui partent (2019) – La patience des traces (2022) 

Actes Sud – 05.01.2022 – 208 pages

Résumé:

Psychanalyste, Simon a fait profession d’écouter les autres, au risque de faire taire sa propre histoire. À la faveur d’une brèche dans le quotidien – un bol cassé – vient le temps du rendez-vous avec lui-même. Cette fois encore le nouveau roman de Jeanne Benameur accompagne un envol, observe le patient travail d’un être qui chemine vers sa liberté. Pour Simon, le voyage intérieur passe par un vrai départ, et – d’un rivage à l’autre – par le lointain Japon : ses rituels, son art de réparer (l’ancestrale technique du kintsugi), ses floraisons…
Quête initiatique qui contient aussi tout un roman d’apprentissage bâti sur le feu et la violence (l’amitié, la jeunesse, l’océan), c’est un livre de silence(s) et de rencontre(s), le livre d’une grande sagesse, douce, têtue, et bientôt, sereine.

Mon avis: 

Tout commence par un bol qui se brise… et à l’arrivée de l’autre coté de la terre, c’est un autre bol qui accueille notre voyageur…  les objets et les passions vont se refléter d’un coté à l’autre de la planète, les sentiments et les intérêts aussi… 

La nostalgie… La solitude… L’enfance… la confiance… Le temps, suspendu ou pas… les rêves, les souvenirs, les couleurs, les livres pour se poser et s’évader… la mélancolie, les regrets, le manque, le pardon.
Une quête de soi.. des failles et des fêlures, de la reconstruction, de la mise en valeur des cassures, de la renaissance, de la nouvelle voie qui se dessine, du renouveau…

Quand Simon part à l’autre bout du monde, il est en proie au doute… Ce voyage lui permettra-t-il de se reconstruire?C’est un livre de sensations, d’intime, de nuances, tant dans le vécu que dans le monde extérieur… C’est l’importance du lien entre l’homme et l’univers, le ciel, la nature, les arbres, les vagues, le feu… C’est la rencontre avec des êtres faits de silence, d’amour, de délicatesse, de perceptions…

Et puis il y a le Japon, ses traditions, son art, son artisanat… Ses couleurs, ses tissus, ses pochoirs et ses croyances… Des arts qui épousent le sens de la vie, comme le  Kintsugi ( « Kin c’est l’or et Tsugi la jointure.), qui font la jointure entre intérieur et extérieur, entre passé et avenir, entre le jour et la nuit, la nuit et le jour, le dedans et le dehors, entre la veille et le sommeil, la réalité et le rêve,

Une fois encore cette autrice me cueille par le bout du coeur et m’emplit de douceur, d’espoir, de foi en l’avenir et m’embarque dans un voyage initiatique… Et le tout avec l’art et la manière, une plume poétique et pleine de compréhension, de sensibilité,  un lien entre les âmes et les êtres, les morts et les vivants, le noir et l’éclatant…

Extraits: 

Le bol des pensées qui se cherchent, pas encore arrimées à la journée. La pensée qui flotte, entre sommeil et éveil. 

Après les heures s’enchaînent et les rendez-vous. Drôle de mot quand on y pense. Qui se rend ? et à quoi ?

Il est libre. Presque. C’est dans le “presque” que tout se joue. Toujours.

Avec pour unique outil le silence. Peu à peu il a appris à entendre quand quelque chose cherchait à venir, d’une séance à l’autre. Il a aidé au miracle laborieux du lien qui s’élabore.

Un beau titre. Il le relirait bien. Relire, c’est un luxe. Il va pouvoir se l’offrir.

Tant de voix venues jusqu’à lui. Ah, les voix.

Il y a des phrases qu’on entend un jour pour ce qu’elles sont. Vraiment. Elles sont restées au fond de notre mémoire, intactes. On les a prononcées un jour, sans bien savoir.
Elles attendaient.
Comme si notre propre parole nous attendait toujours.

Une phrase lancée en l’air, pas entendue vraiment. Remisée dans ces limbes étranges où flottent les paroles gelées. Un jour, on ne sait pas pourquoi, elles reprennent vie. De toute leur force. Elles at­­teignent notre attention profonde, celle qu’on ignore la plupart du temps, et c’est le bon moment. 

C’est ici qu’il a tous ses repères. C’est si important les repères quand les gens autour de vous meurent trop tôt.

Il regarde autour de lui, comme un enfant. Tout l’intéresse. Il y a des jours bénis où la vie est ainsi, intéressante, même dans ses détails les plus prosaïques. Tout a une saveur, une couleur. C’est rare. Il faut en profiter.

Toute sa vie passée à écouter les autres. Il n’écoute plus personne. Il y a là une paix profonde et une tristesse. Aussi profonde l’une que l’autre.

Écouter et parler n’est-ce pas ce qui rend humain chaque être ?

Ne pas comprendre la langue d’ici, ne pas pouvoir même la lire, sans doute est-ce là qu’est l’étrangeté la plus intime. Et la paix. Aucune tentation de comprendre. Aucun sens à chercher. Rien.

Le silence de l’écriture ne rompt rien. Il convient. Ce silence-là est le sien. Vraiment. Ce n’est pas le silence de la parole qui se cherche ou qui laisse l’interlocuteur parler. C’est un silence qui écoute aussi bien les morts que les vivants. Plus ample. Un silence qui n’est pas soumis au temps des horloges. Un abîme profond à l’intérieur de soi. 

Dans les rêves les morts comme les vivants n’ont pas d’âge.

Les couleurs sont si joyeuses, des rouges, des jaunes, des bleus et des motifs délicats. Elle lui montre les grues, symbole de la longévité, les fleurs toutes simples de pruniers aux cinq pétales, les chrysanthèmes. Ce sont des tissus bingata une spécialité d’Okinawa.

À l’aide de pochoirs on met en réserve le tissu puis on le peint avec des pinceaux très fins et des pigments minéraux des îles Okinawa. 

Il y a de longues plaintes tenues parfois longtemps dans nos poitrines. Un jour elles trouvent le chemin et montent jusqu’à nos lèvres. 

il saurait que tout se répare. On ne cherche pas à cacher la réparation. Au contraire, on la recouvre de laque d’or. On est heureux de redonner vie à ce qui était voué à l’anéantissement. On marque l’empreinte de la brisure. On la montre. C’est la nouvelle vie qui commence.

 Le secret fait partie du cœur qui l’abrite.

Quand on a ouvert le coffre, plus rien n’est à l’abri. Il le sait. Les souvenirs ont leur vie propre. Ils n’ont que faire de nos peurs. Il n’y a plus qu’à être à la hauteur. La liberté est à ce prix. La seule qui vaille.

Non, le temps en dehors de nous n’existe pas. C’est nous qui sommes le temps. Nous nous égrenons.

Les mots c’est dans les bouches, c’est dans l’air, c’est au fond des poitrines. Est-ce qu’un lieu s’en imprègne ?

Lui, il a pu prononcer des mots qui n’étaient jamais venus ni dans sa tête ni sur le divan du temps de son analyse ou de son contrôle. Ils étaient restés longtemps enfouis au fond de lui. Il les a découverts dans une forêt et maintenant il sent que ces mots ont ouvert le chemin. Il connaît le processus. Il agit où qu’on soit. 

Il en a ici la conviction, lui qui a toujours laissé cette question de côté, l’âme, c’est un instant, c’est tout. Juste un instant.
Ce n’est ni un état ni quelque chose de mystérieux qui nous serait donné comme le corps nous est donné pour vivre cette existence.
L’âme, c’est un mouvement. Fugace.
On l’atteint quand tout de notre être s’unifie pour pouvoir, dans un élan, se mêler enfin à tout ce qui n’est pas nous.
Il n’y a pas d’état d’âme. Il y a des moments d’âme. C’est ce qu’il est en train de vivre.

5 Replies to “Benameur, Jeanne « La patience des traces » (2022) 208 pages”

  1. Tu m’as donné envie de le lire avec ton commentaire sur Facebook qui m’a amenée directement ici et je le mets de ce pas sur ma PAL en priorité

    1. J’adore cette autrice. J’ai toujours ma préférence pour « Profanes » mais chaque lecture est presque automatiquement un coup de coeur.

  2. Coup de cœur pour moi aussi 😉
    Je l’ai lu il y a +/- 1 an et j’avais noté ceci dans mon carnet de lecture 🙂
    “Aborder le thème de la psychanalyse par le biais de ce superbe roman, voilà qui permet de se rendre compte du poids que l’on porte et des poids portés.
    Poids aussi des mots, et ceux des silences…
    L’écriture de Jeanne Benameur est toujours aussi précise, fine ; tout est nuance et délicatesse, même si les sentiments sont parfois dévastateurs.
    Splendide ! !“

  3. Et bien je vous rejoins pleinement après avoir refermé ce très beau livre !!!
    J’ai adoré !!! Et rien à ajouter à vos commentaires tellement pertinents. Je suis déjà certaine de lire d’autres livres de cette autrice.
    Merci pour ce partage qui m’a procuré un tel beau voyage au coeur de mon moi profond

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *