Salem, Carlos « Ceux qui méritent de mourir » (2024) 384 pages (Série Dalia Fierro et Severo Justo – tome1)
Auteur , écrivain, poète et journaliste argentin né en 1959 à Buenos Aires, a multiplié les petits boulots après ses études de journalisme. Installé en Espagne depuis 1988, il vit aujourd’hui à Madrid. Son œuvre est disponible en France chez Actes Sud.
Ses romans : Aller simple (2009) – Nager sans se mouiller (2010) – Je reste roi d’Espagne (2011) – Un jambon calibre 45 (2013) – Japonais grillés (Recueil de cinq nouvelles – 2015 ) Le Plus Jeune Fils de Dieu (2015) – Attends-moi au ciel (2017 )– La Dernière Affaire de Johnny Bourbon (2020) – Ceux qui méritent de mourir (2024)
Roman Jeunesse : Le fils du tigre blanc (2013) – La malédiction du tigre blanc (2014)
Actes Sud – Actes noirs – 15.05.2024 – 384 pages -( Los que merecen morir – 2021) Traduit par Judith Vernant
Résumé
“Mon nom est Personne.” Tels sont les mots retrouvés sur chacune des victimes d’un redoutable tueur en série qui sévit en Espagne. Selon lui, ses proies auraient mérité leur sort, ayant échappé à la justice grâce aux failles du système. Son mode opératoire est particulier : il enveloppe le visage des morts dans du film alimentaire, comme pour effacer leurs traits. Pour arrêter “Personne”, la police se tourne vers Severo Justo, policier et ex-prêtre accablé par un deuil insurmontable, qui a décidé que cette affaire serait sa dernière avant de se suicider. Severo réunit une équipe hétéroclite composée d’une psychiatre schizophrène, d’un hacker octogénaire et d’un légiste qui sait communiquer avec les morts. Mais l’assassin est obsédé par le passé de Justo et l’attire dans ses plans sordides. Le compte à rebours est enclenché, chaque seconde rapprochant l’ancien prêtre de son ultime destinée. Personne n’est à l’abri de personne.
Mon avis :
Peut-être un peu moins déjanté que les précédents romans de cet auteur – quoique les personnages sont pas mal allumés – et toujours aussi jubilatoire ! Et surtout et toujours des personnages hors du commun et tellement attachants, avec leurs failles et leurs blessures, leur humanité et leurs différences. Et moi, les héros atypiques j’adore !
Qui est « Personne »? « Personne » est un tueur en série, c’est aussi un genre de justicier. C’est ce que Severo Justo et l’équipe qu’il va constituer vont tenter de découvrir. Et l’équipe est un tantinet spéciale, comme il fallait s’y attendre, car c’est un roman noir de Carlos Salem ! Le conventionnel, il ne connait pas! Entre Severo Justo, qui a abandonné la prêtrise pour devenir policier, le médecin légiste, Caronte Gracìa qui converse avec les morts (j’avoue mon petit faible pour lui dans la galerie des personnages) , la grand-mère tricoteuse de 80 piges qui se révèle être une hackeuse hors-pair, la psy qui souffre de symptômes dissociatifs et personnalité multiple… sans compter que les autres énergumènes de sa brigade spéciale ont des vies fracassées, des blessures, des secrets…Il y a un beau panel de personnalités qui n’ont pas grand chose en commun, un mélange de personnes qui sont dans la fleur (presque fanée parfois) de l’âge et qui trimballent un lourd bagage. Il faut enfin relever les noms des protagonistes : « Personne », Severo Justo (sévère et juste), Dalia Fierro (Dalia signifie le destin, c’est aussi une fleur fragile et Fierro c’est le fer, le métal) qui définissent les caractères des personnages.
Quand à l’enquête, elle est magnifiquement menée et bien malin qui démêlera l’intrigue et trouvera Personne. L’affrontement entre Personne et Severo Juste et Cie se place sur le terrain de l’intelligence, la psychologie, sur la capacité à avoir un coup d’avance, un peu comme un jeu d’échec… Et personne n’est à l’abri de Personne… pas même Severo Justo, qui semble bien être dans le collimateur du tueur…
Un Salem grand cru ! Un gros coup de coeur dans la catégorie thriller psycho-psychiatriques!
Et le petit bonheur en plus est que « la brigade des Apôtres » n’a pas dit son dernier mot…
Extraits:
Ces meurtres ne visent pas des personnes, mais des stéréotypes. Ce “Personne” tue des gens qui, aux yeux de la populace, méritaient la mort.
Le soleil de Bruxelles est un soleil factice, un soleil de peintre flamand résigné à reproduire de mémoire son éclat lointain, une ampoule basse consommation qui ne gaspille ni lumière ni chaleur. Un soleil tellement discret qu’il s’abstient même de briller le dimanche pour ne pas perturber le repos des habitants de la ville, si matinaux en semaine.
Encore une hérésie.
Si Severo Justo se rappelait comment sourire, il le ferait.
Son lointain passé de prêtre lui semble appartenir à quelqu’un d’autre, tout comme son abandon de la vocation lorsqu’il a rencontré Alicia, sa fulgurante carrière dans la police, son mariage, sa paternité, sa vie.
Une montre arrêtée depuis vingt ans cesse d’être une montre pour devenir une allégorie.
Dans toutes les langues, le mot “douleur” effraie. C’est pourquoi il est souvent très court : bol en croate, valu en estonien, dor en galicien, pian en irlandais, đau en vietnamien…
Désormais, les discussions politiques déchaînent moins de passion qu’un dîner de famille. Comme si tant d’élections successives et tant de déceptions avaient fait perdre aux Espagnols leur goût d’antan pour la polémique.
Il va monter sa propre équipe.
Il a déjà quelqu’un pour mentir à sa place.
Il lui faut un collaborateur qui sache contourner les règles.
Ainsi qu’une personne assez dingue pour entrer dans la tête d’un assassin convaincu d’accomplir une mission divine.
Et quelqu’un qui parle avec les morts.
Il connaît les candidats idéaux.
Reste à se débrouiller pour qu’ils ne s’entretuent pas.
Tout illuminé porte en lui des ténèbres à son insu.
Vous venez de menacer de vous en prendre à une personne de mon entourage. Le respect se gagne par l’admiration, pas par la terreur.
Silence de l’autre côté de la ligne.
En tant qu’ancien curé, vous devriez le savoir : l’amour de Dieu naît de la peur de Dieu. Le croyant ne s’abstient pas de pécher pour gagner sa place au Ciel, mais par crainte de l’Enfer.
Ça, plus jamais. Tu as remarqué avec quelle légèreté on emploie le mot “jamais” ? Exact, ça vaut aussi pour “toujours”. Comme si nous avions besoin d’absolu pour oublier que tout est provisoire.
Son nom de guerre fait clairement allusion à l’épisode de l’Odyssée où Polyphème demande son nom à Ulysse, qui lui répond : “Personne est mon nom. Ainsi m’appellent mon père, ma mère et tous mes compagnons.” En réalité, c’est une ruse d’Ulysse pour éviter de se faire bouffer. Quand les autres cyclopes demandent à Polyphème qui a crevé son œil unique, il répond : “Ô amis, c’est Personne qui me tue par ruse et non par force.”
Il n’y a jamais de toujours.
La propension de l’être humain à mettre l’étiquette “toujours” à ce qui n’est qu’un vulgaire “pour l’instant” est fascinante.
Les gens ne savent pas s’y prendre avec les morts, ils les négligent, ils leur parlent en croyant que les morts sont discrets par nature.
c’est un flic exceptionnel, sans parler de Bermúdez, qui maîtrise mieux la rue qu’un GPS, et la rue sait toujours quelque chose.
Mais il n’était pas son père, il redoutait seulement de le devenir.
Les péchés des fils ne sont pas ceux des pères. Les fils devraient pouvoir commettre des péchés originaux, moins pour se distinguer que pour apporter un peu de nouveauté.
Pourtant, son péché à lui fut l’un des plus anciens, originel mais guère original. L’orgueil.
On sait bien comment ça se passe avec les vieux : les gens causent devant nous comme si on était des meubles. Ils ne font pas attention à nous, ils évitent de trop nous regarder de peur de voir leur avenir, et ils se laissent aller.
Tu vois, on a chacun nos dates marquées d’une pierre noire sur le calendrier de la vie.
Je te donne les mots clés et tu les croises. Maladies dégénératives. Maladies génétiques. Troubles neurologiques. Chorée.
— Du Nord ou du Sud ?
Image : N pour « Nadie » (Personne en espagnol)