Varesi, Valerio « La stratégie du lézard » (2024) 388 pages (Commissaire Soneri – tome 12)
Auteur : Valério Varesi est né à Turin le 8 août 1959 de parents parmesans. Diplômé en philosophie de l’Université de Bologne après une thèse sur Kierkegaard, il devient journaliste en 1985. Il est l’auteur de onze romans au héros récurrent, dont « Le Fleuve des brumes » nominé au prestigieux prix littéraire italien Strega ainsi qu’au Gold Dagger Award en Grande Bretagne. Les enquêtes du commissaire Soneri, amateur de bonne chère et de bons vins parmesans, sont traduites en huit langues. Admirateur de Giorgio Scerbanenco (Scerbanenco : voir auteur lettre « S »)
Les enquêtes du Commissaire Soneri
12ème tome de la série des enquêtes du commissaire Soneri (9ème traduit en français)
Ultime notizie di una fuga (1998) – Bersaglio, l’oblio (2000) – Il cineclub del mistero (2002)– Le Fleuve des brumes (2016) – La pension de la Via Saffi (2017) prix Violetta Negra – Les ombres de Montelupo (2018) – Les mains vides (2019) – Or, encens et poussière (2020) – La maison du Commandant (2021) – La main de Dieu (2022) – « Ce n’est qu’un début, commissaire Soneri » (2023) – «La stratégie du lézard» (2024)
Autre: «Il labirinto di ghiaccio » (2023) 228 pages (lu en italien)
Editeur Agullo – 11.04.2024 – 388 pages (traduction : Florence Rigollet) – Paru sous le titre « Il commissario Soneri e la strategia della lucertola » (2014)
Résumé:
« Sauf qu’aujourd’hui, ils ont vieilli, et leur colère s’est transformée en déception. Ils n’ont plus besoin de Dieu, ni d’un parti. Ou s’ils en ont besoin, ils ne savent plus où les trouver. » Dans la ville crépusculaire de Parme, recouverte d’un épais manteau de neige, la pourriture semble se cacher partout : la corruption sévit, la criminalité échappe à tout contrôle et la révolte grandit. Le commissaire Soneri tente difficilement de réprimer sa colère devant ce désordre incontrôlable.
Il doit composer avec trois axes d’investigation, trois faits étranges dont le lien semble impossible à faire. Le premier vient d’Angela, sa compagne, qui rapporte des sons étranges provenant de la rive du fleuve. Se glissant dans l’herbe gelée, Soneri trouve un téléphone portable – sans carte mémoire – et de mystérieuses traces de chiens qui ne vont nulle part. La seconde débute dans un hospice, avec la disparition mystérieuse d’un vieil homme amnésique, et qui semble n’avoir laissé aucune trace.
Enfin, la troisième piste d’enquête conduit Soneri vers les pistes de ski sur lesquelles le maire de la ville s’est évaporé : tout le monde savait qu’il serait là en vacances, personne ne se souvient de l’y avoir vu. S’il y a bien une chose dont est certain Soneri, c’est que tous ces cas dissimulent une même stratégie : celle du lézard.
Mon avis:
Quel bonheur de retrouver le Commissaire Soneri, et ceux qui l’entourent : Juvara, Nanetti, Angela…
Et cette ambiance si particulière, le brouillard des bords de la Parma, cette atmosphère qui m’a séduite dès le premier tome (traduit) de la série.
Soneri évolue dan un monde ou tout disparait : les valeurs et les individus… Il doit faire face à la disparition du Maire, il est sollicité par une amie d’Angela qui entend des bruits étranges en pleine nuit, se trouve mêlé à la recherche d’un chien perdu… et à la disparition d’un vieux d’une clinique… Comme c’est dit dans le roman, pas de violence directe, mais un contexte qui peut tuer, les dérives psychotiques du pouvoir… Un mélange de hasards et de « contextes », des concours de circonstance, les agissements de politiciens pas très nets, des soupçons de trafic de drogue, de la présence et l’ingérence de la Camorra dans la gestion de la ville, des morts mais pas d’assassins, une enquête sur le pouvoir en Italie et en particulier dans la belle ville de Parme, le constat des dérives de la société, la corruption évidente des membres du Conseil municipal, le tout sans que cela ne révolte beaucoup de monde… Il faut dire que l’attitude actuelle est plus de fermer les yeux que de perdre des privilèges, et de remettre les lois au dessus de l’argent… C’est qu’un grand coup de pied dans la fourmilière risquerait de déranger bien du monde…
Le cynisme a la part belle dans le roman, tout comme la nostalgie, l’humanité, la réflexion sur les vraies et les fausses valeurs, sur les temps qui changent., sur l’amitié, sur l’amour… Les liens qui se tissent entre le faussaire et le Commissaire, sur l’ombre et la lumière, le vrai et le faux, la valeur des choses et des gens, au-delà de tout rapport professionnel sont juste magnifiques.
Et toujours cette belle description de Parme, de la nature … L’humeur grise de Soneri est en adéquation avec la nature, et c’est juste une fois encore un merveilleux moment de lecture, entre lassitude et désespérance… Brouillard et ombres grises, clair-obscur plutôt obscur au crépuscule de la carrière de Soneri … du grand Varesi, une fois de plus !
Extraits: ( j’ai fait un choix car difficile de ne pas recopier tout le livre)
Et j’ai toujours aimé la neige, surtout quand elle recouvre tout : le monde est tellement gris !
La retraite fait plus de victimes que les épidémies, n’empêche on l’attend avec impatience.
— Nous aimons la nuit parce qu’elle nous laisse libres d’imaginer. La nuit, tout est possible.
— Sous le brouillard aussi.
Personne ne comprend mieux les œuvres d’art que ceux qui les copient. Aujourd’hui, plus personne n’est capable de travailler de ses mains : nous creusons notre propre fosse. Même les artistes n’en sont plus capables. Depuis Duchamp, seule l’idée compte, pas l’objet qu’on a fabriqué.
— La multiplication des animaux de compagnie va de pair avec la perte de confiance en son prochain, glosa Soneri. On pourrait évaluer le malaise social au nombre d’animaux dans les foyers.
— Vrai, mais adopter un animal, c’est comme pour le mariage : un engagement. Trop de gens les prennent pour des peluches, et dès qu’ils pissent sur le divan, ils n’en veulent plus. Résultat, c’est à nous de nous en occuper.
— Ça arrive aussi dans les couples.
Le brouillard avait ce pouvoir de remettre à zéro mémoire et expérience.
À une certaine époque, ces choses lui paraissaient acquises, mais au fil du temps, les personnes avec qui les partager s’étaient éparpillées, au point qu’il ne restait plus qu’elle. C’était ce qu’il redoutait le plus de cet entre deux âges : son propre monde qui se raréfie et qui se fane petit à petit, comme une fresque, jour après jour, absorbée par la chaux.
Chacun construit sa vie à sa manière, y compris sa propre fin.
— Seulement en partie, le démentit le commissaire. Nous sommes tous victimes et bourreaux. Le plus souvent sans le savoir, ce qui ne veut pas dire que c’est moins grave.
À force de nous vider de l’intérieur, il ne nous reste que la surface, autant que celle-ci soit présentable. Plutôt que la politique, le spectacle de la politique. Plutôt que les politiciens, des acteurs.
— Tu souffres d’arrogance intellectuelle, la maladie des braves. Par contre, si tu t’obstines, tu vas finir par être aussi borné que les vieux.
Le monde entier repose sur du faux, nous en avons déjà parlé. Le mensonge est le trait de notre époque. On vend de tout, avec de la menterie : des marchandises, de l’information, des projets de vie, ou des perspectives de bonheur… Nous n’avons jamais possédé autant d’outils trompeurs qu’aujourd’hui. Ce sont eux qui incarnent l’escroquerie. La longue-vue de Galilée dit plus vrai qu’un ordinateur.
À part l’image, il y a autre chose ? L’apparence est un rempart infranchissable, une ligne de frontière à défendre : chacun de nous est tel qu’il se montre. Le reste n’a aucune importance.