De Kerangal, Maylis  « Jour de ressac » (RLE2024) 256 pages

De Kerangal, Maylis  « Jour de ressac » (RLE2024) 256 pages

Auteur : Maylis Suzanne Jacqueline Le Gal de Kerangal passe son enfance au Havre, fille et petite-fille de capitaine au long cours. Elle étudie en classe préparatoire au lycée Jeanne-d’Arc de Rouen et ensuite à Paris de 1985 à 1990 l’histoire, la philosophie et l’ethnologie.
Elle commence à travailler chez Gallimard jeunesse une première fois de 1991 à 1996, avant de faire deux séjours aux États-Unis, à Golden dans le Colorado en 1997. Elle reprend sa formation en passant une année à l’EHESS à Paris en 1998.

Ses romans : Je marche sous un ciel de traîne, 2000, 222 p. – La Vie voyageuse, 2003, 240 p. – Ni fleurs ni couronnes, 2006, 135 p. – Dans les rapides (2006) – Corniche Kennedy, Paris, 2008, 177 p. – Naissance d’un pont, Paris, 2010, 336 p. ( Prix Médicis 2010 – Prix Franz Hessel 2010) – Tangente vers l’est, Paris, Éditions Verticales, 2012, 134 p. (Prix Landerneau 2012) – Réparer les vivants, 2013, 281 p. (Grand prix RTL-Lire 2014 – Roman des étudiants – France Culture-Télérama 2014 – Prix Orange du Livre 2014 – Prix des lecteurs de l’Express-BFM TV 2014 – Prix Relay 2014) – À ce stade de la nuit, 2015, 80 p. – Un chemin de tables -2016 – Un monde à portée de main (2018) – Kiruna (2019) – Ariane espace (nouvelle – 2020) – Canoës (2021) – Servoz – avec Joy Sorman – (2022) – Un archipel (2022) – Jour de ressac (2024) 

Collection Verticales – Gallimard – 15.08.2024 – 256 pages / 1ère sélection du Goncourt

Résumé:
« Finalement, il vous dit quelque chose, notre homme ? Nous arrivions à hauteur de Gonfreville-l’Orcher, la raffinerie sortait de terre, indéchiffrable et nébuleuse, façon Gotham City, une autre ville derrière la ville, j’ai baissé ma vitre et inhalé longuement, le nez orienté vers les tours de distillation, vers ce Meccano démentiel. L’étrange puanteur s’engouffrait dans la voiture, mélange d’hydrocarbures, de sel et de poudre. Il m’a intimé de refermer, avant de m’interroger de nouveau, pourquoi avais-je finalement demandé à voir le corps ? C’est que vous y avez repensé, c’est que quelque chose a dû vous revenir.
Oui, j’y avais repensé. Qu’est-ce qu’il s’imaginait. Je n’avais pratiquement fait que penser à ça depuis ce matin, mais y penser avait fini par prendre la forme d’une ville, d’un premier amour, la forme d’un porte-conteneurs. »

Mon avis: 

Doubleuse au cinéma, originaire du Havre et y ayant vécu jusqu’à l’adolescence, habitant maintenant Paris depuis des années une jeune femme reçoit un appel de la police du Havre qui lui annonce  « le corps d’un homme, la voie publique, Le Havre, une affaire vous concernant »
Et nous prenons le train direction Le Havre : une enquête, un thriller, un personnage principal, le passé, le présent, la Ville du Havre, son histoire et sa métamorphose et la couleur grise…
Une disparition, une personne recherchée, un corps non identifié… des histoires personnelles qui font surface et se mêlent au présent… un mystère, des doutes, l’envie de savoir doublée de celle de ne pas savoir…
Moi qui ne suis pas parisienne j’ai appris que pour relier Le Havre à Paris, on passe par la Gare Saint Lazare en empruntant la Rue du Havre. J’ai aimé ce clin d’oeil, ce lien Le Havre-Paris qui illustre si bien ce roman qui relie passé et présent…

J’ai lu plusieurs de ses romans et j’affectionne tout particulièrement cette romancière.
Dans « Jour de ressac » la vie va et vient, avance et recule, comme les vagues sur les plages… J’ai aimé les ambiances, le mystère qui entoure la vie de la jeune femme et de son adolescence, ses souvenirs qui refont surface, l’histoire de la destruction de la ville, les réminiscences du passé, le flou dans lequel elle avance et elle recule,  elle se déplace, mentalement et physiquement …
D’ailleurs elle est conforme à la signification du mot ressac : Retour brutal des vagues sur elles-mêmes, lorsqu’elles ont frappé un obstacle…

J’aime son écriture, son regard de peintre, ses descriptions, ses nuances, sa façon de décrire les paysages, les couleurs, la lumière, les éléments… L’importance du gris… et du passage du temps qui change les lieux et les êtres…

Extraits:

La lumière de novembre – transparente, perlée, un glacis – chutait dans la pièce en rayons obliques, révélant la matière invisible de l’atmosphère, toute cette poussière en suspension.

 ;voir la mer, l’initiation alpha pour ceux qui ne l’avaient encore jamais vue, se l’imaginaient bleue quand la nôtre était autre chose, rude, complexe, à la fois pétrolière et impressionniste, prosaïque et rêveuse, parcourue de lignes, de routes, et d’une couleur que pas un seul nom de couleur ne pouvait résorber, d’une couleur qui aurait amplement mérité qu’un nom fût créé pour elle, incluant sa texture, son reflet, son mouvement ; 

Tu es dingue, c’est ce que je me suis dit, debout sur la plage, face à une mer courte, hérissée, une mer de fer et de silice. Des cailloux, des cailloux partout.

un entrelacs de durées qui avait coulissé dans l’air comme un lasso et nous avait noués tous les trois, nous rappelant au même instant qu’un jour nous serions séparés. 

Le vent soufflait, un vent déstructuré, sinusoïdal, hasardeux comme une chose sans tête, mais une force invisible qui liait tout ensemble, sanglait le ciel sur la mer, et nous – mouettes, bateaux, pelleteuse – avec eux.

les noms dysfonctionnent. Ils ont perdu le pouvoir de désigner, de distinguer tel endroit de tel autre, ne font plus que planer sur l’insituable. Pourtant, leur rémanence, elle, continue de travailler l’espace, elle nous incite à la reconnaissance quand tout a été écrabouillé, elle nous pousse à froncer les sourcils sur tel indice familier accroché dans le désastre – un marquage publicitaire sur un pignon d’immeuble par exemple, Cinzano ou Dubonnet.

La catégorie « disparus », surtout, nous donnait du fil à retordre – un disparu est quelqu’un qui se trouve entre la mort et la vie, mais où ça ?

Puis sa parole se fait plus lente, elle avance comme dans un songe, elle progresse entre les temps, ambiguë

Le soleil était tombé mais il faisait encore jour, la pensée circulait entre nous, souterraine, elle jaillissait du silence à intervalles aléatoires

Le passé n’était pas une matière fossile, il évoluait dans le temps, souple, plastique, il évoluait infiniment, il se rechargeait au cours de la vie, le passé restait vivant, 

à chaque fois tu dis qu’elle a changé, mais elle devient adulte, c’est normal. Ma mère secoue la tête : non, elle ne devient pas adulte, elle devient une autre personne, c’est différent.

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