Benameur, Jeanne « Vivre tout bas » (2025) 208 pages

Benameur, Jeanne « Vivre tout bas » (2025) 208 pages

Auteur : Jeanne Benameur est née à Aïn M’lila en Algérie le 12 juillet 1952 d’un père algérien et d’une mère italienne. Elle vit à La Rochelle et consacre l’essentiel de son temps à l’écriture. Elle a étudié la philosophie et l’histoire de l’art.

Elle a écrit entre autres :  Laver les ombres (2008) – Les Insurrections singulières (2011) – Profanes(2012) – Vivre c’est risquer (2013) –  Je vis sous l’œil du chien – suivi de L’Homme de longue peine, (2013), 48 p – Pas assez pour faire une femme (Actes Sud, coll. Babel, 2015) – Otages intimes (2015) 176 p. Prix du roman Version Fémina – L’Enfant qui (2017)  – Ceux qui partent (2019) – La patience des traces (2022) – Vivre tout bas  (2025) – Vers l’écriture (essai – 2025)

Actes Sud – 02.01.2025 – 208 pages

Résumé:

Comme née du paysage, une femme apparaît au bord de la mer. On apprend que son fils, après la traversée de « la grande souffrance », n’est plus. On apprend qu’avant de disparaître, il l’a confiée aux bons soins de son ami Jean, fidèle d’entre les fidèles, qui l’accompagne à distance respectueuse et attentive. Au village, dans les collines, elle fait la rencontre cruciale d’une enfant que le destin a rendue silencieuse. 

Entre vagues et falaises, le livre raconte sa prise d’élan vers une autre version d’elle-même, une évasion : Marie, mère et sainte, s’affranchit ici doucement mais sûrement de l’iconographie qui la fige. Et de la liturgie qui lui coupe la parole. Elle se découvre – corps et âme – à la rencontre des autres, au contact des vies sans bruit, par l’exercice et la transmission d’un savoir secrètement acquis dans l’enfance, une révolution intime, une liberté inouïe : écrire.

Mon avis:
Mon année de lecture 2025 se termine sur un bijou, une pépite, un coup de coeur. Mais ce n’et pas une surprise car Benameur est toujours une révélation ! En plus des thèmes, il y a l’écriture ! 

Une femme qui représente la maternité, une femme qui perd son enfant. C’est un prolongement de la vie après le décès de son enfant, la communion avec une petite fillette qui elle a survécu à sa mère mais a perdu la parole.
Une femme qui cherche la liberté qui se fond avec les êtres et le éléments, qui s’évade par les signes écrits, l’écriture. Elle s’intéresse à l’humanité, à la femme, aux êtres. Elle existe dans et par la nature et le silence. Elle communique avec les éléments, avec la mer, le sable, la terre, les arbres. Cette femme va communiquer avec les sens, avec son corps : le toucher, l’odeur, les parfums, les couleurs … et elle va se fondre dans l’eau de la mer, dans les vagues, dans la tempête.
La liberté, pour elle, se transmet par l’écriture. Elle incarne le lien, la transmission. Elle redécouvre la joie, sans renier la douleur.
L’autre a écrit un livre sur la Vierge Marie … mais personnellement je ne l’ai pas ressenti comme religieux.
En 200 petites pages, une période de vie longue, intemporelle. Et une importance donnée aux mots… ces signes qui au départ ne peuvent pas laisser de traces puis qui plus tard, vont lui donner la liberté. 

Extraits: ( c’est tellement beau que j’ai décidé de ne pas recopier le roman mais de vous laisser l’émerveillement de la découverte… mais en voici quelques uns quand même …) 

C’est une ombre. C’est l’effacement et c’est la vie puisque toute vie ne palpite que pour être effacée. Alors elle caresse ce qui s’efface. Et elle sourit. L’effacement est après tout une promesse, légère, comme le sable lancé par-dessus son épaule.

Il a toujours fait confiance à ce qui menait ses pas. Sa route, il ne l’a pas choisie après tout. Elle est venue sous la plante de ses pieds, c’est tout et il a marché.

La joie a du mal à pousser quand les peurs sont trop serrées autour d’elle.

Les mots ont un pouvoir immense. Ils voyagent et protègent.

Il suffit parfois de si peu pour que l’espérance revienne. Un parfum, un chant, le regard qui voit à nouveau la beauté du ciel ou d’une ombre sur un mur. Et quelque chose dans les cœurs épuisés se remet à battre. 

Aujourd’hui la sensation qu’il n’y a pas d’horizon l’apaise. Il pourra toujours laisser son regard aller sur l’eau, il y aura toujours un plus lointain encore. Il a appris à aimer ce qui ne s’atteint pas.

Ici chaque objet a servi de génération en génération et la vie des uns se poursuit dans celle des autres sans effort. La mémoire est dans l’arrondi, le poli d’un objet, les traces que le temps a inscrites. Les mains des vivants font leur travail en effleurant naturellement les mains de ceux qui ont quitté la vie. Le temps caresse le temps.

Elle secoue la tête pour chasser la douleur toujours là, présente malgré les années, la même douleur toujours. On vit avec mais elle ne meurt pas, elle.

Elle est emportée dans un monde où la lumière et l’obscur se côtoient et se plient l’un sur l’autre sans rien perdre de leur force.

Tout est dans les mots. Les mots font image et elle est émerveillée.

Il y a toujours un moment où la vie présente pousse doucement les images dans un creux de la mémoire jusqu’à la prochaine fois. Le temps où les souvenirs dorment, c’est un repos qu’il faut savoir apprécier. Ce repos-là dans la douleur est aussi un cadeau de la vie et il faut apprendre à l’honorer.

Il y a des jours où tout l’amour qu’il porte en lui déborde. Il voudrait que chacun en ait sa part. Il voit si souvent que les cœurs des hommes sont pauvres. Mais personne ne peut combler le cœur d’un autre, il l’a appris.
Alors il donne cet amour si vaste à tout ce qui l’entoure. Il pense, comme elle, que les arbres, les pierres, les galets, contiennent l’amour qu’on leur donne longtemps pour que quelqu’un, un jour, passe et le découvre. Alors l’amour s’éveille même là où on le pensait éteint depuis longtemps. C’est silencieux. Ces passages-là n’ont pas besoin de mots. Ils se font par le regard, par la paume de la main, par un effleurement sur une roche ou une branche, c’est tout. Et c’est bien ainsi.

Les gens, elle les entend, elle les voit, elle les sent. Il y a des vivants et des morts. Il y a aussi des pas encore nés. Tous la visitent maintenant. Elle est devenue une maison traversée et c’est bien ainsi. Elle est là pour ça et elle l’écrit. Pour que d’autres les lisent, toutes ces vies. Pour que le temps de leurs lectures, elles soient à nouveau vivantes et que les souffrances et les joies se partagent. Cela passera par le cœur des autres. C’est comme ça qu’il peut y avoir entre tous sur terre des liens invisibles qui permettent de vivre ensemble.

…la souffrance n’empêche pas la joie de faire son chemin. Pas à pas. Et elle peut grandir et grandir encore. La joie ne prendra jamais la place de la peine. C’est un espace nouveau qu’elle crée et on ne le comprend que si on l’ose.

 Ce sont les moments qui comptent. Pas les vies. Ces moments où on ne sait pas pourquoi on fait quelque chose mais on le fait.

 

 

 

 

 

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