Bouysse, Franck « Vagabond » (2013)

Bouysse, Franck « Vagabond » (2013)

Auteur : né le 5 septembre 1965 à Brive-la-Gaillarde, écrivain français, auteur de nombreux romans policiers. Professeur de biologie et d’horticulture auprès de personnes en réorientation, l’auteur fait partie de cette nouvelle génération d’écrivains en France, influencés par de grands auteurs américains, qui sortent du polar citadin pour créer des intrigues au cœur de la France profonde, un peu oubliée où la nature est maître.

Romans :  Trilogie « H » (Le Mystère H- Londres ou Les Ruelles sans étoiles – La Huitième Lettre) (2008-2010.2012 )L’Entomologiste, Noire porcelaine, VagabondOxymort. Limoges : requiem en sous-sol (2014)Pur-SangGrossir le ciel, PlateauGlaiseNé d’aucune femme (2019), Orphelines (2020),  Buveurs de vent (RL2020), Fenêtre sur terre (2021), L’Homme peuplé (2022), 

Editions Ecorces – 2013 – 90 pages / Manufacture de livre – 22.09.2016 – 136 pages / 

Résumé : Un homme dont on ne connaîtra pas le nom, , ses soirées, il les passe à jouer du blues dans les cafés de Limoges, mais ce pourrait être ailleurs. Mais pas n’importe où : il faut que ce soit une ville avec des traces d’histoire, des ruelles sombres, des vieilles pierres. La journée, il marche dans les rues, voyant à peine les humains qui sillonnent d’un pas pressé les rues, ceux qui ont quelque chose à faire, une vie à construire alors que la sienne, de vie, ressemble à une ruine.
Et voilà qu’un soir apparaît au bar une femme, une inconnue magnifique, pour laquelle il se met à jouer sa propre musique, à chanter ses propres mots. Ils boivent un verre, il la raccompagne au pied de sa demeure et rentre à son hôtel miteux. La reverra-t-il ? Saura-t-il qui elle est ? Il rentre à son hôtel pour dormir, pour rêver à Alicia, celle avec qui il y a quinze ans il partageait la scène, celle qui est partie et qui lui a brisé le coeur.
Alicia est en ville. Elle chante au Styx. L’homme sera au Styx, bien sûr, pour Alicia. Ca n’est pas une bonne idée, et il le sait. L’apparition de ce fantôme va déclencher chez l’homme une plongée dans le passé, dans l’enfance et la douleur. Bouysse bascule alors dans la poésie, noire, violente, obsessionnelle, et achève son roman en beauté et en désespoir, emmenant avec lui un lecteur consentant, déconcerté, pris.

Notes de l’éditeur (Ecorce)   :

Vagabond rime avec errance. Une trajectoire incertaine, ou plutôt guidée par des forces qui dépassent le personnage ou qui l’habitent.
Des forces souterraines. S’il est question d’une intrigue dans ce court roman, alors c’est dans la tête du personnage qu’elle a lieu ; c’est en lui que les nœuds résident, même si le monde est en mouvement autour, même si les êtres qu’il rencontre sont bien de chair.

Ils sont précisément de chair, et celle du roman consiste en une mélopée d’images complexes que l’auteur a façonnées comme des indices en mesure d’esquisser son personnage ou de le déconstruire. L’esthétique du récit, son grain soigné autant qu’écorché, organise un conflit violent entre l’ombre, la lumière et la confusion des effets produits. Autant d’illusions que l’auteur s’applique à détruire à mesure que son personnage évolue ; à mesure qu’il progresse le long d’une voie à défricher, résolument intime et dangereuse.

Franck Bouysse pose ici le doute. Il tranche la gorge des certitudes ou les démasque simplement. On est loin des univers qu’il a décrit dans ses romans précédents, même si l’on pourrait en retenir, pour définir Vagabond, les mots Mystère, Ruelles et Noire.

Mon avis : Ah oui ! Depuis le temps que mes amis me disent « Lis Franck Bouysse ». J’ai compris… je ne vais pas m’arrêter en si bon chemin ! Quelle plume ! J’en redemande ! C’est un bijou ! Et en plus cela commence par des citations de Toni Morrison et Alain Bashung !

Un homme, tout en ombres et nuances de gris et noir, à la lisière du rêve et de la réalité. Un être en errance, qui dérive lentement vers le précipice. Au fil des notes de musique, les souvenirs et les images défilent. Que perçoit-il ? des songes enfuis, des réminiscences du passé, la vraie vie ? Et puis est-ce bien le sujet ?

Des idées sombres, une atmosphère nocturne, des cafés, des bars sombres et enfumés, un hôtel miteux, un village de campagne qui sombre dans l’oubli… une ambiance en demi-teintes, un clair-obscur permanent, tant autour de l’homme que dans sa tête… L’homme et les décors se fondent, la nostalgie monte vers le ciel en notes poignantes qui vous remuent les tripes. On a l’impression d’être là, de vivre ces moments où la musique tutoie le ciel, où une bulle se forme et où la guitare chante, pleure, gémit, crie à l’unisson avec les doigts qui font vibrer les cordes. Toutes les cordes vibrent d’ailleurs et les sensibles ne sont pas en reste…

Un roman certes, mais avant tout de la poésie à l’état brut, un poème en musique, des mots magnifiques … le blues des mots … le blues dans son essence même, qui traduit la tristesse, les maux, les peines, les malheurs passés. Jusqu’à Alicia, symbole de sa descente en enfer, qui ira même jusqu’à l’entrainer vers le Styx, l’un des fleuves et points de passage des Enfers …

C’est le portrait d’un fracassé de l’existence, tout en nuances, tout en lueurs, ombres et zones sombres, entre nuit et brouillard, entre rêve éveillé et vapeurs d’alcool, quand la lumière s’estompe pour faire place à la pénombre, puis à l’obscurité qui s’installe sur la ville et sur la vie…

Ce « Vagabond » m’a fait penser à un autre musicien, celui d’Antonio Muñoz Molina dans son livre « L’Hiver à Lisbonne » (voir article sur le blog)

Extraits :

Il avait joué comme un dieu qui aurait percé l’essence de la musique ; le côté intemporel qu’il devait à Robert, Django, Sonny et Charley, et tous les autres. Alors les doigts de l’homme se mirent à naviguer instantanément sur des fils invisibles, sa mémoire désarticulant ses phalanges sur Sweet Home Chicago. Quel dieu aurait pu jouer aussi bien que lui ?

Puis il avait relevé les yeux sur le quai après une virée en pleine mer, entre les vagues et sur les crêtes. Parce qu’il aimait la haute mer et qu’il ne savait jamais où jeter l’ancre et encore moins où s’amarrer.

Après quelques mètres, il se retourna et vit la tête de l’homme se balancer d’avant en arrière, comme la porte d’un saloon.

Il marcha longtemps, croisant des gens qui lui paraissaient aussi vides que lui, qui cherchaient sûrement à perdre le souvenir du jour.

Il songea à la vie qui mène les hommes sur des routes incertaines, parfois lisses, parfois caillouteuses, ou finissant parfois en impasse.

C’était un autre monde. Il n’y avait rien d’autre à retenir que la chose vécue, et la chose rêvée n’était pas douloureuse et les souvenirs n’étaient rien de plus que des sensations qui disparaissaient par la seule force de l’instinct de survie. Et le monde devint ce qu’il est, quand les hommes se mirent à vivre plutôt qu’à survivre.

Les cris muets de son enfance à lui, qui l’avaient amené à fuir bien des fois, parce que la fuite est la seule chose qui reste aux hommes civilisés.

Elle avait l’air triste, malgré le luxe qui lui faisait vêtement. Elle avait l’air ailleurs. Elle avait l’air perdue, comme ces êtres qui abdiquent pour d’obscures raisons.

Je pense à l’imposant dédale dans lequel on se cherche, dans lequel on se perd et duquel on s’échappe pour sombrer dans un autre.

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