Varesi, Valério « L’autre loi » (2025) 413 pages (Commissaire Soneri – tome 13 – 10ème traduit)
Auteur : Valério Varesi est né à Turin le 8 août 1959 de parents parmesans. Diplômé en philosophie de l’Université de Bologne après une thèse sur Kierkegaard, il devient journaliste en 1985. Il est l’auteur de onze romans au héros récurrent, dont « Le Fleuve des brumes » nominé au prestigieux prix littéraire italien Strega ainsi qu’au Gold Dagger Award en Grande Bretagne. Les enquêtes du commissaire Soneri, amateur de bonne chère et de bons vins parmesans, sont traduites en huit langues. Admirateur de Giorgio Scerbanenco (Scerbanenco : voir auteur lettre « S »)
Les enquêtes du Commissaire Soneri
13ème tome de la série des enquêtes du commissaire Soneri (10ème traduit en français)
Ultime notizie di una fuga (1998) – Bersaglio, l’oblio (2000) – Il cineclub del mistero (2002)– Le Fleuve des brumes (2016) – La pension de la Via Saffi (2017) prix Violetta Negra – Les ombres de Montelupo (2018) – Les mains vides (2019) – Or, encens et poussière (2020) – La maison du Commandant (2021) – La main de Dieu (2022) – « Ce n’est qu’un début, commissaire Soneri » (2023) – «La stratégie du lézard» (2024) – « L’autre loi » (2025)
Autre: «Il labirinto di ghiaccio » (2023) 228 pages (lu en italien)
Editeur Agullo –13.03.2025 – 413 pages(traduction : Gérard Lecas) – Paru sous le titre «Il commissario Soneri e la legge del Corano » (2017)
Résumé:
» Il ne leur reste que la religion pour montrer qu’ils existent. Ce nouveau terrorisme est une forme dégénérée de la lutte de classes. » Pour la première fois depuis des années, Soneri se trouve vraiment désemparé. Ce n’est ni à cause du meurtre sur lequel il enquête, ni de l’hypocrisie des politiques ou de ses supérieurs. Pas même à cause de sa santé déclinante. Le vrai problème, c’est le monde dans lequel il est entré, qui ne ressemble en rien au sien.
Tout a commencé avec le meurtre de Hamed, un jeune tunisien employé pour assister un vieil aveugle. En revenant sur ses traces, Soneri tombe tête première dans le monde de la communauté musulmane de la banlieue de Parme, où la tension entre immigrés et locaux atteint son paroxysme. Quelle est la véritable raison de ce conflit ? S’agit-il de questions culturelles et de fondamentalisme religieux ? Ou d’une lutte pour le contrôle du trafic de stupéfiant ? La seule chose que tous semblent avoir en commun est une haine visible …
Valerio Varesi aborde ici l’une des questions les plus controversées de notre époque, la relation entre les communautés religieuses.
Mon avis:
De retour dans la ville de Parme avec le Commissaire Soneri. Une Parme que le Commissaire ressent de moins en moins comme la sienne, une Parme qui change et pas forcément en bien. Ce roman noir et policier est effectivement une enquête qui vise à retrouver les assassins de plusieurs jeunes étrangers mais je l’ai surtout ressenti comme une étude de société, l’évocation d’un monde qui change, d’un changement politique…
Le roman parle des immigrants, de religion, de trafic de drogue, de guerre du contrôle du deal, des conflits immigrés/groupes de droite, d’insécurité, de fascistes, d’anarchistes, d’extrémisme, de haine, de l’extrême droite et de la gauche, du pouvoir, de la dictature de la violence, de la peur … C’est Parme, mais cela pourrait être dans bien d’autres villes, en Italie ou ailleurs…
C’est d’ailleurs peut-être le petit reproche que je pourrais faire : l’étude sociale passe, me semble-t-il, avant la partie enquête, ce que je regrette un peu. Par moment j’ai trouvé que cela prenait trop de place et cassait quelque peu le rythme.
Le pauvre Soneri est au régime, et on est donc moins dans les bistrots ( il y va un peu), on croise toujours Angela (mais moins) et même si on profite de la brume, du brouillard et des paysages hivernaux, il y un peu trop de noirceur politique pour moi. Mais il faut reconnaitre que Soneri est dans le vrai… et le problème de société, la radicalisation de la population, l’avancée des positions dictatoriales, les luttes de pouvoir, l’intolérance sont des sujets très préoccupants.
Une bonne enquête, très complexe mais peut-être un peu (trop?) noyée dans la politique… Mais j’adore toujours autant Soneri et ses états d’âme.
Extraits:
Ton monde est fait d’inconnu, de solutions en attente. Tu tiens le mystère serré contre toi comme un jouet.
Il se sentait exactement comme Forlai, égaré dans la géographie d’une Parme qui avait trop changé. Et comme lui, il cherchait sa direction.
— Tu sais ce qu’a répondu Woody Allen à celui qui lui conseillait d’arrêter de fumer ? « Je vivrai une semaine de plus et cette semaine-là, il ne va pas arrêter de pleuvoir. »
La ville change et j’en perds les traces. Je sais me rendre seul dans des endroits que j’ai vus de mes propres yeux et dont je conserve le souvenir mais c’est un monde qui est en train de disparaître. Pour nous tous, pour vous aussi. Même pour ceux qui voient. Et c’est peut-être encore plus cruel pour vous. Ce qui nous était familier devient subitement étranger à force de mourir et renaître chaque jour. Des lieux qui nous semblaient amicaux nous apparaissent nouveaux et hostiles. Rien n’est plus identique à nos souvenirs.
Le monde retourne en arrière et le fascisme revient à la mode, dit l’homme. C’est toujours comme ça quand on laisse faire. Les gens vont chercher ceux qui sont capables de remettre les choses à leur place.
Ils ont supprimé ma mémoire, souffla-t-il. Qu’est-ce qu’on peut faire de pire à un homme ? C’est plus que de le tuer. Un mort ne sent plus rien. Il n’a pas cette douleur de se perdre lui-même.
Il réfléchissait au renversement du sens des choses. Le téléphone ne s’utilisait plus pour parler, la politique ne permettait plus d’améliorer le monde, l’instruction ne servait plus la connaissance… Un alphabet entier s’émiettait en changeant de signification.
Ce que Marx appelait la lutte de classes se matérialise chez nous dans une identité religieuse qui est une vision du monde révolutionnaire par rapport à votre lassitude vidée de toute idée. Le rachat, pour nos jeunes, passe par la loi du Coran. Le mal-être social représente un mouvement en direction d’une vie spirituelle qui pourrait les en affranchir. Vos jeunes n’ont rien à quoi se raccrocher. Tout au plus, ils brisent des vitrines et raflent quelques objets qu’ils ne pourraient pas posséder autrement. Votre monde est celui du démon : vous remplissez les cerveaux de tentations et empêchez en même temps de les satisfaire. Vous finirez par vous massacrer les uns les autres. D’ailleurs, ce sera peut-être nous qui vous montrerons la voie.
— Parfois la solitude nous pèse, parfois elle nous console,
— La vitesse des changements nous a pris de court. On dirait que le temps accélère mais c’est peut-être nous qui ralentissons.
— Vous n’allez pas vous mettre à brouter, vous aussi ? Une autre injonction de cette époque dévoyée : devenir tous des lapins.
— Je ne suis qu’au régime : cholestérol.
— Pour ce qui me concerne, je crains davantage le cholestérol. Et les végans sont plus fanatiques que les musulmans.
Nous sommes à l’ère de la vitesse et les réflexions prennent trop de temps. Il faut toucher l’émotionnel, être vif et violent comme un coup de fouet. Un bouillon indigeste constitué d’un chapelet de slogans.
Les gens de ton âge n’ont plus le sens du temps. Il n’y a que le présent qui existe. Vous ne pensez pas au futur et tout le passé vous semble identique, depuis les pharaons d’Égypte jusqu’à votre père.
Les fleurs et la mort, la couleur et l’obscurité. La seule chose qui rapproche les fleurs et la mort, c’est qu’elles finissent par puer.
Et pour des gens simples comme Mansueto, l’argent est la transfiguration du repas qu’il nous sert. Ils en veulent toujours plus parce qu’ils se souviennent d’avoir eu faim. Ensuite, ils enterrent l’argent dans les banques comme font les loups qui enterrent les restes de leur repas. Et parfois ils ont de petits gestes ostentatoires vécus comme une audace de trop : acquisition d’une voiture plus grande, week-end, cuisine intégrée…
— La nostalgie est une forme d’amour en différé.
Vous me faites vraiment penser à un aveugle parce que vous avez une vie intérieure. La plus grande partie des gens, non. Ils réalisent qu’ils en possèdent une uniquement quand elle est gravement perturbée.
Le brouillard pour Parme, c’est comme le parmesan pour les pâtes
On devient intolérant avec l’âge. On s’attache à son propre univers et tout changement semble être un pas vers la fin. C’est pour cela qu’on s’y oppose,
On est en montagne et tout est bizarre : le temps, les gens… Peu de règles et beaucoup d’exceptions.
— C’est ça qui me plaît ; on ne peut rien calculer à l’avance.
— Du calme à la fureur, c’est comme ça. Un glissement de terrain, une avalanche, une chute de pierres : ces montagnes sont toujours en embuscade.
— Et nous aussi, conclut le commissaire.
au premier coup de frein en courbe, il va partir en tête à queue, c’est toujours comme ça avec les chaînes à l’avant…
— Maintenant vas-y sinon ce soir tu te sentiras coupable et alors tu m’offriras ta mauvaise humeur.
— Les illusions servent d’anesthésiant. Après, la douleur revient plus forte.
— Ils n’en savent rien. Ils s’abrutissent jusqu’à l’inconscience en regardant l’écran de leurs smartphones et en prolongeant bêtement leur enfance. Ce qui caractérise notre époque, c’est le refus de devenir adultes. Nous refusons de vieillir, nous vivons en occultant la mort, nous nous divertissons avec de douces conneries en nous maintenant dans une euphorie artificielle et nous continuons à jouer avec nos petites voitures, nos motos et toutes ces distractions de l’ère numérique.
— C’est comme ça qu’ils nous veulent. On pose moins de problèmes. Enlève-nous la culture, l’art et sa vision, et tu tiendras par le licou des ânes dociles.
Les gens ressentent le besoin d’être guidés. Ils préfèrent s’immoler plutôt que d’avoir à décider.
Les dictateurs existent déjà, pas besoin de les inventer. Ce sont ceux qui tiennent les cordons de la bourse. Toujours moins nombreux et toujours plus puissants.
Ce qui nous pousse à vivre, c’est la curiosité, dit Soneri. Cela vaut aussi pour le sexe. Curiosité pour l’autre et pour ce qu’on pourra ressentir. C’est comme aller au cinéma ou lire un livre. Il n’y a que la vie dont on connaît la conclusion finale.