Varesi, Valerio «Or, encens et poussière» (2020)

Varesi, Valerio «Or, encens et poussière» (2020)

Auteur : Valério Varesi est né à Turin le 8 août 1959 de parents parmesans. Diplômé en philosophie de l’Université de Bologne après une thèse sur Kierkegaard, il devient journaliste en 1985. Il est l’auteur de onze romans au héros récurrent, dont « Le Fleuve des brumes » nominé au prestigieux prix littéraire italien Strega ainsi qu’au Gold Dagger Award en Grande Bretagne. Les enquêtes du commissaire Soneri, amateur de bonne chère et de bons vins parmesans, sont traduites en huit langues. Admirateur de Giorgio Scerbanenco (Scerbanenco : voir auteur lettre « S »)

 Les enquêtes du Commissaire Soneri 
8ème tome de la série des enquêtes du commissaire Soneri (5ème traduit en français)
Ultime notizie di una fuga (1998) – Bersaglio, l’oblio (2000) – Il cineclub del mistero (2002)– Le Fleuve des brumes (2016) – La pension de la Via Saffi (2017) prix Violetta Negra –  Les ombres de Montelupo (2018) – Les mains vides (2019) – Or, encens et poussière (2020) – La maison du Commandant (2021) – La main de Dieu (2022) – « Ce n’est qu’un début, commissaire Soneri » (2023) –

Editeur Agullo – 28.05.2020 – 297 pages (Oro, incenso e polvere – traduction : Florence Rigollet)

Résumé :  » Il était là, confronté à son propre Minotaure, enveloppé dans un brouillard aux teintes improbables de fête foraine.  » Parme, la nuit, le brouillard. Un carambolage monstrueux se produit sur l’autoroute : une centaine de voitures ratatinées, des camions en feu, une bétaillère renversée. Des dizaines de vaches et de taureaux errent sur la route, blessés et désorientés. Et des gitans auraient été aperçus, profitant de la confusion pour piller les véhicules accidentés.
Le commissaire Soneri est le seul flic de Parme qui connaît assez bien la basse plaine du Pô pour ne pas se perdre dans le brouillard : c’est lui qu’on envoie sur place. Mais au lieu de petits voleurs opportunistes, c’est un meurtre qu’il découvre : dans le chaos, le corps carbonisé d’une jeune femme est retrouvé au bord de la route. Sa mort n’a aucun lien apparent avec le carnage. La victime est une certaine Nina Iliescu, immigrante roumaine dont la vie en Italie n’a laissé que peu de traces – à part une longue liste d’amants de la haute société parmesane.
Agneau sacrificiel ou tentatrice diabolique, même dans la mort la jeune femme à la beauté énigmatique exerce son pouvoir de fascination sur Soneri. Et lui réserve quelques surprises…

Mon avis :
Ah quel bonheur de retrouver Soneri, lui qui connait tellement bien sa ville et qui se repère encore et toujours par rapport à tout plein d’endroits qui ont existé mais n’existent plus. Coup de cœur absolu pour un nouveau personnage « Sbarazza » (“Ramasse-Miettes” en français) : un noble déchu, qui continue à se comporter comme tel, le Marquis qu’il est toujours, bien qu’il n’ait plus de quoi subsister ; il fait plus qu’illusion auprès des gens et se comporte comme si il avait toujours de quoi manger et vivre décemment. Il y a ce qu’il est et ce qu’il laisse voir. C’est un personnage fascinant, un sage qui bien qu’ayant tout perdu se comporte avec classe car il est riche de ce qu’il pense, de ce qu’il fait, de qui il est, de ce dont il rêve.
Le contexte dans lequel se déroule cette enquête est l’intégration des étrangers, ou plutôt devrais-je dire des roumains, des roms. Et n’allez pas confondre les Roms roumains aux Roms italiens ! Il s’agit bien ici des Roms roumains… Dès les premières pages, Soneri navigue à vue, en plein brouillard, ambiance qui se retrouve dans chacun des romans de Varesi. Brouillard, brume et fumée… Point de départ : un cadavre carbonisé retrouvé au bord de l’autoroute, suivi de près par la découverte d’un vieux dans un autocar qui arrive de Roumanie. 
Mais ce que j’ai aimé au moins autant que l’intrigue est le questionnement de Soneri sur l’amour et la vieillesse. Les échanges entre lui et Sbarazza sont profonds, et sa sagesse de Sbarazza permet à Soneri de voir plus loin, plus profond, plus juste et l’empêche de couler et de se laisser aller, et l’aide à ne pas faire l’amalgame entre sa vie présente et son enquête.
Et du suspense, coté police, il y a de quoi faire … crime, mafia, trafic… vous ne serez pas en manque de pistes et de fausses pistes…

Extraits :

Dis-toi que les animaux sont beaucoup moins dangereux que les hommes. On risque beaucoup plus facilement sa peau en étant flic qu’en étant vétérinaire.

— Mais pourquoi tu as autant de préjugés ? Tu as peur des animaux et tu restes indifférent aux gens qui brûlent sur l’autoroute, tu as peur des Tsiganes, mais tu fréquentes des boîtes de nuit pleines de caïds raides défoncés avec un couteau dans la poche… »

C’est notre façon de penser qui nous égare : on croit que tout doit arriver selon une séquence prévisible et si ça se passe autrement, on s’étonne.
— Si tu commences à philosopher, tu vas broyer du noir,

— Les pauvres ont trop d’emmerdes pour s’émouvoir devant la mort, et les riches ont la trouille d’y penser. »

— Les morts en imposent toujours. Ils appartiennent à un monde qui nous fait peur, ils nous invitent au respect »

Si tu envies mon expérience, ça veut dire que je suis vieux. »

Il quitta l’hôpital en songeant qu’à cinquante ans une rupture peut marquer la limite entre un homme vivant et un homme résigné. Et lui n’avait pas l’intention de se rendre. Il fallait qu’il agisse. Son travail avait toujours cet avantage de lui en donner l’illusion.

 Ayez le courage de rêver, il n’y a plus que ça pour nous sauver. Regardez-moi. Que deviendrais-je si je ne rentrais pas tous les jours dans un rôle ? Un bon policier doit avoir de l’imagination, il doit immédiatement sentir ce qu’il peut se passer.

Tout un tas de gens veulent être quelqu’un d’autre, mais la plupart ne sont qu’une piètre imitation de leur modèle. Tandis que le rêve, c’est la vie ! 

La vie lui apparut sous mille et une facettes, avec ses innombrables petites illusions indispensables à sa progression inexorable. Il fit alors le choix de s’y jeter sans hésiter et de se dépouiller de son désenchantement.

Autrefois, on ne faisait pas la différence entre nourriture et marchandise, reprit l’homme. Une chose se mangeait ou ne se mangeait pas. Aujourd’hui, c’est différent. Vous voyez ces boîtes de thon empilées ? C’est de la nourriture, mais ce n’est plus de la marchandise. Personne ne l’achèterait. Pareil pour ces paquets de gâteaux un peu déchirés ou ces barquettes de fruits un peu trop mûrs, ces bananes noircies, ces légumes dont le bord des feuilles sera trop fané pour demain, ou ces boîtes périmées depuis aujourd’hui mais tout à fait mangeables.

une femme d’une autre trempe, de la dernière génération avec des couilles. Sachant ce que misère veut dire et qui, pendant la guerre, a côtoyé la mort.

C’était cela, vieillir : voir mourir des parties de soi, des instants de vie partagée. 

 C’est ça, au fond, la séduction : nous mettre en face de notre part manquante

Même si elles nous jettent sur le pavé, les passions font aller de l’avant. C’est pour elles que l’on se donne du mal. Elles font bouger les choses ; elles ont beau transformer le monde en foutoir, quelquefois répugnant, on trouve toujours dans ce marasme l’élan vital pour nous frotter à un avenir dont on ne sait rien. La sagesse, ajouta Sbarazza en approchant son visage de celui du commissaire, n’est qu’un fourbi de vieillards. Ne croyez pas à la conquête du temps, il ne s’agit que de décrépitude. »

J’ai alors compris que c’était fini et tout s’est écroulé : mon rêve avait duré aussi longtemps que le saut d’un chat. »
Cette expression toute parmesane pinça le cœur du commissaire.

 À toi, le confort n’a pas fait de mal, tu es resté l’herbe sauvage que tu étais quand on s’est rencontrés. Il y a quelque chose de solide en toi, malgré tes incertitudes. Quelque chose dont on finit toujours par s’apercevoir.

Il possédait encore cette beauté fanée du début de l’automne, mais l’on devinait dans sa démarche le rythme lent et laborieux des vieux.

C’est une erreur d’être obsédé par nos certitudes. Nous les exigeons sous prétexte d’en avoir besoin au lieu d’accepter de nous résigner à ce que nous sommes. Si nous prenions acte de notre état, nous serions plus sereins, et nous verrions certainement davantage d’occasions que de frustrations.
— Prendre acte de ce que nous sommes est déjà une certitude, vous ne croyez pas ?
— C’est vrai, je le reconnais. Mais c’est la seule : la certitude de n’en avoir aucune. Repartons de là.

Vous savez mieux que moi que les faits ne sont pas objectifs ! Regardez l’histoire… Nos convictions d’aujourd’hui ne vaudront rien demain, et d’autres se présenteront après-demain. Nous mourons tous les soirs et renaissons tous les matins. C’est ainsi que le monde se renouvelle : à chaque instant. Ce n’est pas la constance qui nous fonde, mais l’instabilité, et tous ceux qui cherchent à être cohérents se font des illusions. Tout réside dans le fait d’accepter ce que nous sommes et de nous ouvrir à l’éventail immense de possibilités que la vie nous propose en permanence. Accepter le monde : voilà le secret. Vous vous souvenez de Nietzsche ? 

Mais la réalité a mille et une facettes… Si on regarde toujours la même, on croit qu’il y a que celle-là qu’existe. On n’arrive pas à croire aux autres, c’est peut-être bien de la paresse.

One Reply to “Varesi, Valerio «Or, encens et poussière» (2020)”

  1. « L’homme se releva lentement. Il possédait encore cette beauté fanée du début de l’automne, mais l’on devinait dans sa démarche le rythme lent et laborieux des vieux. »

    Que de mélancolie dans ce livre, et avec quel brio Varesi à coup de brouillard et de silences nous enveloppe dans la nostalgie.
    « On ne voyait que du brouillard. Au-dessus, et tout autour. Rien qu’un bout de pavé sur lequel avancer, c’était, pour le moment, son unique certitude.  »

    Et à mon avis, il y a une chose qui domine et explique l’ambiance de ce livre, c’est la difficulté son couple avec Angela.
    « Il sentait tout lui échapper, exactement comme le jour où Ada et son fils étaient morts. Ou comme ces autres fois, pour des sujets moins importants, quand il avait senti le même tranchant chirurgical, l’amputation de quelque chose qu’il tenait pour acquis. On ne pouvait rien contre la vie, son exercice était fragile. Avec Angela, il avait cru à du définitif ; c’était précisément la cause de leur rupture. L’incertitude des premiers temps avait été un propulseur qui les avait tenus ensemble et poussés l’un vers l’autre : sans plus de crainte ni de curiosité, sans le désir, leur relation s’était usée. »
    « Il se sentait comme une épave portée par le courant. Il avait besoin d’entendre la voix d’Angela, envie de mots rassurants, mais le portable de sa compagne était éteint. Il quitta l’hôpital en songeant qu’à cinquante ans une rupture peut marquer la limite entre un homme vivant et un homme résigné. Et lui n’avait pas l’intention de se rendre. »
    « Fruit du hasard, insista-t-il. On est légers, d’une légèreté insupportable. Faits de rien. C’est inutile d’exiger de la continuité dans ce que nous sommes, on ne peut que saisir le présent, seulement projeter nos vagues désirs. Nos liens sont soumis aux lois de la chimie, tout peut les modifier, les faire valser à l’infini. C’est pour ça que la vie produit des saints et des assassins, des moines et des putassiers, des voleurs et des gens honnêtes… »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *