Varesi, Valerio «La pension de la via Saffi» (2017)
Auteur : Valério Varesi est né à Turin le 8 août 1959 de parents parmesans. Diplômé en philosophie de l’Université de Bologne après une thèse sur Kierkegaard, il devient journaliste en 1985. Il est l’auteur de onze romans au héros récurrent, dont « Le Fleuve des brumes » nominé au prestigieux prix littéraire italien Strega ainsi qu’au Gold Dagger Award en Grande Bretagne. Les enquêtes du commissaire Soneri, amateur de bonne chère et de bons vins parmesans, sont traduites en huit langues. Admirateur de Giorgio Scerbanenco (Scerbanenco : voir auteur lettre « S »)
Les enquêtes du Commissaire Soneri
12ème tome de la série des enquêtes du commissaire Soneri (9ème traduit en français)
Ultime notizie di una fuga (1998) – Bersaglio, l’oblio (2000) – Il cineclub del mistero (2002)– Le Fleuve des brumes (2016) – La pension de la Via Saffi (2017) prix Violetta Negra – Les ombres de Montelupo (2018) – Les mains vides (2019) – Or, encens et poussière (2020) – La maison du Commandant (2021) – La main de Dieu (2022) – « Ce n’est qu’un début, commissaire Soneri » (2023) – «La stratégie du lézard» (2024)
Autre: «Il labirinto di ghiaccio » (2023) 228 pages (lu en italien)
(L’Affittacamere, 2004), Agullo, 2017. Traduit par Florence Rigollet. 314 p.
Résumé : A quelques jours de Noël, alors que le froid envahit Parme, Ghitta Tagliavini, la vieille propriétaire d’une pension du centre-ville, est retrouvée assassinée dans son appartement. L’enquête est confiée au commissaire Soneri mais cette affaire fait ressurgir un drame enfoui : c’est là qu’il rencontra jadis sa femme, Ada, tragiquement disparue. En s’enfonçant dans le brouillard de la ville fantomatique, Soneri traverse le miroir des illusions : derrière la modeste pension se cache un monde de haine et de chantage, frayant avec le cynisme de cercles politiques corrompus. Pour trouver le meurtrier, il devra d’abord se confronter à la vérité sur la vie et la mort d’Ada. Car qui est cet homme qui pose à côté d’elle sur cette photographie jaunie ?
Mon avis : Ah oui… je retrouve Soneri avec bonheur après l’avoir découvert au bord des rives du Pô dans « Le fleuve des brumes ». Quand Soneri commence à enquêter sur le meurtre de Ghitta, une vieille qui a logé plusieurs générations d’étudiantes, il fait un bon en arrière dans son passé. Cette femme est en effet tout sauf une inconnue pour lui car sa femme Ada, une infirmière aujourd’hui décédée, habitait chez elle à l’époque de leur rencontre. L’endroit a bien changé depuis toutes ces années… De pension, l’établissement est devenu un hôtel de passe. Et au fil de l’enquête Ghitta se révèlera rapidement comme une personne très peu recommandable. Et commencent au final plusieurs enquêtes… celle sur la mort de Ghitta, celle sur la vie d’Ada, celle sur la vie intérieure de Soneri et enfin celle sur les personnes qui gravitent autour de Ghitta. La recherche de la vérité se fera sur plusieurs plans et Soneri est un personnage qui devient de plus en plus attachant. Brume et brouillard dans la ville, dans l’enquête et aussi dans l’esprit et le cœur du Commissaire.
Extraits :
Il se sentait projeté loin de son propre centre, comme un éclat de bombe qui, après avoir traversé le ciel, va se refroidir dans l’exil de hasard où il est précipité
Elle avait tous les traits des montagnards. La peau blanche, les yeux clairs et ces cheveux roux méchés de blond, comme les châtaignes des Apennins.
On se voyait une demi-heure au petit déjeuner, on parlait du village, des gens de là-bas. Presque toujours de morts, malheureusement. Il n’y a plus que des vieux aujourd’hui.
Ils n’étaient que deux voix et deux silhouettes imprécises auxquelles on aurait pu attribuer n’importe quel corps et n’importe quel visage. À cette heure, tout était privé de géométrie. La ville dans le brouillard, surtout. La ville sans aucune dimension certaine, au cœur sinué de ruelles, là où un voile d’eau déforme les distances comme un verre mal poli et les transforme en perspectives trompeuses. Là où les pas qui résonnent semblent attirés par un gouffre tout proche où le chemin s’enfonce. Et où les hommes seuls se sentent encore plus seuls.
Il regarda longtemps la rue : le brouillard épais élevait une muraille moelleuse tout autour. Et comme toujours, c’était ce qui représentait le mieux ce qu’il avait dans la tête.
Il y a beaucoup d’étrangers… Des gens qui viennent d’ailleurs. J’imagine que les églises sont vides.
— Si elles sont vides, ce n’est pas la faute des étrangers, souligna le frère, mais de ceux qui placent le centre de leur vie en dehors d’eux-mêmes. Le mal n’a pas d’autre explication.
— C’est pas un bordel.
— Ça l’est au moins au sens figuré.
— Oh, ça oui »,
On passe notre temps à renifler nos traces en espérant nous y retrouver de temps en temps. Mais ne te fais pas d’illusions sur tes souvenirs : ils ont l’air beaux parce qu’ils sont lointains.
Il laissa s’écouler quelques secondes et interrompit cette espèce de pause d’un geste de la main, appréciant au passage cette faculté qu’il avait de maîtriser le langage des signes. Un code qui renfermait toutes les langues du monde.
il était troublé par les souvenirs qui remontaient à la surface car il craignait d’en vérifier l’inconsistance.
Le trajet ressemblait au sortir d’un rêve. Une promenade dans un cimetière de souvenirs.
Les villes sont comme les enfants, elles changent d’année en année et si tu restes un moment sans les voir, tu ne les reconnais plus. Mais au fond, ce sont toujours les mêmes.
Le bois d’un meuble craqua dans l’une des chambres. Dans l’apparente immobilité, la vie continuait de graver ses mouvements dans la matière inquiète. Le noyer ou le cerisier des armoires et le frêne des têtes de lit renaissaient après le coup de grâce infligé par la hache et la raboteuse, évaluant ainsi le climat et les saisons en contractions soudaines.
Si tu étais écrivain, tu pourrais déchirer une page et la récrire, mais dans la vie on ne peut jamais revenir en arrière.
Je fouille dans la pourriture mais ce n’est pas moi qui la produis
« Quand on se souvient de sa jeunesse, on est toujours très indulgent, répliqua-t-elle, prise d’une sorte de petit rire étouffé. On la falsifie, inconsciemment, et tout nous semble beau, y compris les choses mesquines. C’est un besoin consolateur. Ça nous porte à croire qu’une partie de notre vie a été vécue intensément, alors que maintenant… Tout le monde a besoin d’imaginer son âge d’or pour évacuer l’idée d’avoir seulement souffert sans avoir vécu pleinement. Spécialement les gens comme moi, qui, aujourd’hui… »
Même deux personnes qui vivent ensemble ne se connaîtront jamais totalement, il y a toujours une partie de nous qui reste dans l’ombre, des non-dits que l’on garde pour soi, jalousement.
Un instant oublié de son passé lui était restitué, mais il s’agissait d’une monnaie qui n’a plus cours, inutilisable.
Un moment de vie arrêté pour toujours. C’était ça qu’il aimait dans la photographie, cette rébellion implicite contre le temps que tout le monde ressent.
C’est devenu la patrie des bureaucrates, des escrocs et des financiers qui remuent du fric et des dettes en les faisant monter comme des blancs en neige.
Est-ce que c’était sa faute si la ville tournait mal et pourrissait lentement ? Si les scintillements et les couleurs qui dansaient dans les rues n’étaient rien d’autre que des moisissures multicolores fleurissant dans la décomposition la plus absolue ?
sa colère était redescendue, mais qu’elle s’était durcie en une sorte de croûte amère, certes plus supportable mais beaucoup plus tenace. Une cicatrice qui s’ajoutait à beaucoup d’autres.
Mais la nostalgie ne sert qu’à sublimer la peur que nous fait le temps qui passe.
Il faut être deux pour trafiquer. C’est comme pour baiser.
Tu sais quand est-ce qu’on se sent vieux ? Quand on connaît plus de gens là-haut qu’ici-bas. Plus de morts que de vivants.
Il persistait à ouvrir des portes mais elles ne s’entrouvraient que sur des antichambres et ne lui offraient jamais de véritable abordage, comme dans certains rêves, très longs, qui traversent toute une nuit.
Les passions s’épuisent, pas le reste.
— Il ne s’épuise peut-être pas, mais il moisit »
Après tout, la vie ne ressemblait-elle pas tragiquement à un homicide ? Ne s’achevait-elle pas toujours avec un mort ? Ne tuait-elle pas le temps en le minant chaque jour de ses petits affronts jusqu’à l’effondrement ? Et puis le temps n’a pas besoin d’alibi, il est comme le bourreau, il accomplit simplement son œuvre. Ce sont leurs victimes qui doivent trouver une motivation capable de soutenir leur chemin quotidien
Nous laissons le néant derrière nous : les idées, la politique, les souvenirs, les amours… Tout disparaît. Un vrai brouillard. Comme celui qui nous tombe dessus pendant des mois.
En savoir plus : chroniquesitaliennes.univ-paris3.fr “L’Homme du dimanche”. Le Commissaire Soneri – Valerio VARESI http://chroniquesitaliennes.univ-paris3.fr/PDF/web18/Amaraniweb18.pdf
2 Replies to “Varesi, Valerio «La pension de la via Saffi» (2017)”
J’ai bien aimé la découverte de ce passé refoulé qui s’avère très présent, même si je n’est pas été totalement convaincu par ailleurs. IL faudra qu je relise ou plutôt que j’en lise un autre du même auteur. « Le fleuve des brumes » ou « Les ombres de Montelupo » paru il y a quelques jours (Agullo).
oh merci pour la nouvelle! et je vais en avertir mon ami qui les achète et à qui va me le passer tout soudain…