Banville, John « Neige sur Ballyglass House » (RL2022) 416 pages

Banville, John « Neige sur Ballyglass House » (RL2022) 416 pages

Auteur : Né à Wexford, en Irlande, le 8 décembre 1945, John Banville vit à Dublin. Depuis ses débuts, l’œuvre de cet  » orfèvre des mots  » a été récompensée par de nombreux grands prix littéraires. Avec La Mer, plébiscitée par la critique et le public anglais, publiée dans une trentaine de pays, il a remporté le plus prestigieux d’entre eux : le Booker Prize. Ses derniers romans, Eclipse (2002), Impostures (2003) , Athéna (2005), L’intouchable (1998),  Infinis (2011), La lumière des étoiles mortes (2014), La guitare bleue (2018 ), Neige sur Ballyglass House (2022)
Il a reçu en 2014 le célèbre prix Prince des Asturies pour l’ensemble de son œuvre romanesque, publiée en grande partie chez Robert Laffont, dans la collection « Pavillons ».

Passionné de littérature policière des années 50, il écrit également des romans noirs – Série Quirke –  sous le pseudonyme de « Benjamin Black » : Les Disparus de DublinLa Double Vie de Laura SwanLa Disparition d’April Latimer Mort en étéVengeance – Holy Orders (2013) – Even the Dead (2016) – April in Spain (2021)
Autre roman (traduit) : La Blonde aux yeux noirs. Le Retour de Philip Marlowe (2016)

Robert Laffont  Collection Pavillons — 08.09.2022 – 416 pages « Snow 2020 – traduit par Michèle Albaret-Maatsch) 

Résumé:

Irlande, 1957. Après la découverte du cadavre émasculé d’un prêtre très respecté dans la majestueuse bibliothèque de Ballyglass House – le manoir de l’énigmatique famille Osborne -, le Detective Inspector Strafford, prénom Saint John (à prononcer  » Sinjun « ), est appelé de Dublin pour enquêter. Alors que la neige tombe sans discontinuer sur la campagne irlandaise, Saint John, un protestant dégingandé loin des clichés de la profession, est bien déterminé à lever le voile sur cette affaire.
Mais c’est compter sans les habitants de Ballyglass House et des alentours, prêts à tout pour protéger leurs – nombreux – secrets.
Banville reprend les codes d’un Agatha Christie avant de les faire voler en éclats d’une main de maitre «  (The New York Times Book Review)

Mon avis:
Ah jamais déçue par cet auteur, que ce soit sous le nom de Banville ou celui de Benjamin Black. J’ai d’ailleurs été surprise après lecture de la voir publié sous le nom de Banville et non sous son pseudo d’auteur de romans noirs/policier .
Une fois de plus conquise par la manière d’écrire et par l’intrigue. 

Un manoir glacial enfoui sous la neige en plein hiver en Irlande, au Sud de Dublin,  difficile d’accès du fait des conditions météorologiques. Vous imaginez ces vieux manoirs décrépits, avec des nobles désargentés qui font tout pour faire semblant.. Les habitants du manoir en question sont plus étranges les uns que les autres… Une belle brochette de cas sociaux plus allumés les uns que les autres dans un décor qui ne demande qu’à être hanté… Et les autres personnages du roman ne sont pas plus normaux… ils cachent tous quelque chose et sont habités par un passé qui les ronge.
Et là, dans ce manoir, dans la bibliothèque, un cadavre… Celui d’un prêtre… Et pour enquêter, un flic protestant est dépêché sur place… Enfin pour enquêter ou pour faire en sorte que cette mort soit étouffée pour qu’il n’y ait pas de scandale : un prêtre catholique châtré dans la jeune République d’Irlande alors que les rapports entre protestants et catholiques ne sont pas faciles… c’est une poudrière… Tous les suspects potentiels semblent se limiter à la famille qui habite le manoir et tous disent qu’ils étaient présents mais profondément endormis et qu’ils n’ont rien vu, rien entendu….

Comme dans des autres écrits, il y a cette magnifique écriture de l’auteur, ses descriptions si parlantes, son analyse des personnages, son humour « so irish » … Bref on nage dans le lugubre et on fait la connaissances de personnages qui pourrait facilement sembler des rôles dans un décor de théâtre tellement ils semblent éloignés de la réalité… Et pourtant… Tous autant qu’ils sont ont leur part de fragilité et un poids qui pèse sur leur passé, des manques qu’ils trainent depuis leur enfance… qu’ils soient du coté des habitants du lieu, de la police… Et le contexte social dans lequel se déroule le roman est des plus intéressants, confrontant catholiques et protestants, anglais et irlandais, familles nobles qui ont perdu leur richesse et riches sans noblesse… Et pour rendre cette analyse encore plus interessante, le policier envoyé sur place, Strafford est protestant et issu de la même classe sociale que les propriétaires du Manoir, les Osborne…

A la limite du huis-clos, on évolue comme dans un jeu de Cluedo… J’ai eu un vrai coup de coeur pour ce thriller noir avec beaucoup de thèmes abordés (abandon, drogues, alcool, recherche de soi, sexe, homosexualité, religion, classes sociales… 

Extraits:

L’éventail de lumière sur le sol, derrière ses pieds, se replia brutalement quand quelqu’un entra et repoussa la porte. 

Les gens disaient que c’était du jamais-vu, qu’ils n’avaient jamais connu pareil mauvais temps, que, de mémoire d’homme, c’était le pire hiver possible et imaginable. Mais ils disaient ça tous les ans quand il neigeait, et aussi quand il ne neigeait pas.

La bibliothèque avait l’aspect d’un lieu déserté depuis longtemps, et affichait un air accablé, comme indignée qu’on viole sa solitude avec autant de rudesse et de sans-gêne. Les vitrines tapissant les murs regardaient froidement devant elles ; quant aux livres, ils s’alignaient, épaule contre épaule, dans une attitude de ressentiment muet et, derrière les multiples petits carreaux au plomb des fenêtres à meneaux, serties dans de profondes embrasures de granit, la neige avait un éclat furieux. 

« Seigneur, vous voyez un peu la baraque ? lança-t-il d’une voix sifflante. Encore un peu et Poirot en personne va entrer en scène. »
Il prononçait Pouarrott.

Un curé refroidi dans une baraque de parpaillots ? Qu’est-ce que les journaux vont raconter ?

Que tout cela lui était familier, les meubles miteux, le vague fouillis ainsi que la petite odeur de moisi et d’humidité typique des vieilles demeures. C’était dans un décor semblable qu’il avait passé ses années d’enfance. Les émotions d’antan ont la vie dure.

La gouvernante avait fait de son mieux, mais les liens du sang sont plus forts que l’eau et le savon, se dit-il avec un sourire.

Du fait des modifications successives qu’elles avaient connues au fil des années, ces vieilles demeures ne manquaient jamais de surprendre.

Il avança encore et découvrit bien sûr une porte-fenêtre donnant sur l’extérieur, un vieil escalier en colimaçon en acier recouvert de peinture noire, par endroits rouillé au point de n’être plus qu’un filigrane d’une délicatesse de dentelle. 

Le ciel était envahi par une masse de nuages couleur d’ecchymose, distendus et si bas qu’on les aurait crus posés sur le toit.

l se méfie des protestants, mais si vous êtes catholique avec une situation un tant soit peu importante, le révérend n’aura qu’à lever le petit doigt et votre carrière partira en fumée – ou disparaîtra dans les flammes de l’enfer avant de partir en fumée. Et ça ne se limite pas qu’aux prêtres. En ce qui concerne la sainte Irlande, celui qui se fait remonter les bretelles par le clergé est cuit. Je ne vous apprends certainement rien, même si vous êtes un swaddler, un parpaillot.

« Eh bien, vous voyez, notre Fonsey est encore un autre exemple de ce rare phénomène qu’est l’Immaculée Conception. Rare, dis-je, mais, sur cette terre fertile qui est la nôtre, l’étoile de Bethléem fait des apparitions étonnamment fréquentes, comme vous le savez, j’en suis sûr. »

Comme il remontait l’allée, il eut l’impression que la demeure érigée sur une éminence se dressait devant lui en déployant ses ailes faussement palladiennes pour l’embrasser en une sinistre étreinte. Il n’était pas fantaisiste au point de prendre des objets inanimés pour autre chose que ce qu’ils étaient. Il n’y avait pas de maison hantée, et pas de fantômes en liberté.

— Vous ne fumez pas, vous n’acceptez pas qu’on vous paye un verre ? Vous n’avez rien du policier classique, ou j’ai lu de mauvais polars ?

Le Bushmills était censé être le whiskey préféré des protestants, et le Jameson celui des catholiques. Strafford trouvait ça absurde, c’était encore un de ces mythes mineurs parmi la multitude qui circulait allègrement dans le pays.

Aux yeux de Strafford, elle semblait faite d’un fin verre filé, gris et noir, qui risquait de se briser à tout moment sous le poids d’une tension interne.

Il avait perçu, dans cette froide maison en pierre, et puis aussi dehors sur la colline froide, quelque chose qu’il n’avait jamais connu, quelque chose d’impalpable et néanmoins de très présent, comme un brouillard glacé. Était-ce le Mal qu’il avait fini par rencontrer ? Il n’avait jamais cru au Mal comme une force en soi – le Mal n’existait pas, avait-il toujours affirmé, il n’y avait que des actes malfaisants. Mais ne se trompait-il pas ?

Pas à sa place et à contretemps, il était la parfaite incarnation du mec à la dérive.

Et, subitement, la maison lui apparut comme un labyrinthe d’où, qu’il tournât à droite ou à gauche, il ne pouvait sortir.

« J’ai le plus grand respect pour votre Église et ses principes, qui a produit tant de fins esprits – et de fines sensibilités, si je puis le formuler ainsi. Enfin – il poussa un petit soupir –, le protestantisme n’est pas tant une religion qu’une réaction contre une religion, n’est-ce pas ? »

Étions-nous tous hantés par un moi qui n’avait jamais existé ?

Au lieu de nous apprendre, comme il le devrait, à bien nous comporter les uns envers les autres, le malheur fait de nous des brutes.

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