Bouysse, Franck « l’homme peuplé  » (RLE2022) 320 pages

Bouysse, Franck « l’homme peuplé  » (RLE2022) 320 pages

Auteur : né le 5 septembre 1965 à Brive-la-Gaillarde, écrivain français, auteur de nombreux romans policiers. Professeur de biologie et d’horticulture auprès de personnes en réorientation, l’auteur fait partie de cette nouvelle génération d’écrivains en France, influencés par de grands auteurs américains, qui sortent du polar citadin pour créer des intrigues au cœur de la France profonde, un peu oubliée où la nature est maître.

Romans :  Trilogie « H » (Le Mystère H- Londres ou Les Ruelles sans étoiles – La Huitième Lettre) (2008-2010.2012 )L’Entomologiste, Noire porcelaine, VagabondOxymort. Limoges : requiem en sous-sol (2014)Pur-SangGrossir le ciel, Plateau, GlaiseNé d’aucune femme (2019), Orphelines (2020),  Buveurs de vent (RL2020), Fenêtre sur terre (2021), L’Homme peuplé (2022), Âpre-Monde (2024)

Série, La Marche du Rêveur  :  Pur-Sang (tome 1) – Âpre monde (tome 2)

Editions Albin Michel  – 17.08.2022 – 320 pages / Livre de poche 10.01.2024 – 279 pages

Résumé:
Harry, romancier à la recherche d’un nouveau souffle, achète sur un coup de tête une ferme à l’écart d’un village perdu. C’est l’hiver. La neige et le silence recouvrent tout. Les conditions semblent idéales pour se remettre au travail. Mais Harry se sent vite épié, en proie à un malaise grandissant devant les événements étranges qui se produisent. Serait-ce lié à son énigmatique voisin, Caleb, guérisseur et sourcier ? Quel secret cachent les habitants du village ? Quelle blessure porte la discrète Sofia qui tient l’épicerie ? Quel terrible poids fait peser la mère de Caleb sur son fils ? Entre sourcier et sorcier, il n’y a qu’une infime différence. 

Une belle réflexion sur l’écriture. Bruno Corty, Le Figaro.
C’est brut de décoffrage, comme dans le nature writing américain. Didier Jacob, L’Obs.
Une prose qui glisse naturellement vers le poème, qui est la vraie création. Une réussite. Jean-Paul Brighelli, Marianne.

Mon avis: ❤️❤️❤️❤️❤️
Encore un énorme coup de coeur. La plume de cet auteur est sublime et j’ai eu le coup de coeur mais il n’a pas détrôné(de justesse)   Buveurs de vent  de sa place de roman préféré de cet auteur.

Le froid et une petite mésange derrière la fenêtre… Une atmosphère trouble et hivernale…
Le premier être avec qui l’on fait connaissance est Caleb, personnage énigmatique, solitaire, sourcier, guérisseur pour les animaux qui fuit la présence des êtres humains. Caleb guérit les animaux, est en osmose avec la nature, et craint la présence des êtres humains. Il engendre un sacré malaise… Il ne soigne que les animaux et est très déstabilisé de voir la maison d’en face habitée.
L’habitant en question est Harry, un romancier est en panne de confiance en lui qui a besoin de retrouver son âme avant de se lancer dans un nouveau roman. Il ressent le besoin de se retrouver et pour fuir le monde il se réfugier dans une ferme isolée au milieu de nulle part. Il achète une maison en face de la ferme de Caleb. Il se retrouve en milieu hostile, en hiver, sous la neige et dans le froid. Il est curieux d’en savoir un peu sur son voisin d’en face, mais se retrouve face à l’obscurité et au mystère. Et quand il essaie d’en savoir plus sur le voisin d’en face, il se heurte au silence …
Coté femmes , il y a la mère de Caleb mais il y a surtout Sofia … la touche de lumière du roman mais une lumière qui se cache…
Et puis, dans cette atmosphère trouble, il y a les fantômes…

Dans ce roman on parle de création littéraire, mais pas que…C’est un livre sur l’humain mais aussi sur la nature. Il y a le décor, la neige, les animaux…Les rapports avec la mésange, le chien , la renarde sont des rapports humains plus que des rapports homme/animal. 
Le brouillard est également un personnage central et représente plus précisément Caleb, le passé. Dès qu’il se lève, on est dans le présent et on rejoint le monde de Harry.
Et dans cet univers en demi-teinte, il y a une histoire d’amour..
J’aime les références choisies, des références qui me parlent : William Blake, Borgès, Edgar Allan Poe, Hermann Hesse …
Un titre mystérieux et terriblement parlant qui s’explique un fil du roman..

Extraits:

Des visages apparaissent parfois et il ne saurait dire s’il s’agit de réminiscences fiables, jusque-là enfouies, ou bien d’une construction purement imaginaire.

L’inconnu engendre la peur et, dès qu’il met un pied dehors, l’inconnu déferle.

Chacun apprend de l’autre. Contrairement aux hommes, la nature du chien éloigne Caleb de toute forme de cupidité, d’ingratitude et de volonté de domination. La sauvagerie est un mot inventé par les humains. 

La compagnie du chien semble suffire à l’homme, la compagnie de cet homme-là suffit au chien. L’un pourrait sûrement se débrouiller sans l’autre, mais il n’est pas certain que ce soit vrai pour les deux.

Disait qu’une fois que le passé est passé, il n’y a plus à revenir dessus. Ajoutait qu’il ne faut rien supposer du futur, rien envier de ce qu’il réserve ; que la vie résulte de très vieilles fautes que l’on n’a pas commises, mais qu’il faut pourtant endosser, et que si l’on venait à les connaître, on attenterait à sa propre mort ; que la haine n’est pas une arme létale, mais du sel incrusté sous la peau. Elle disait des choses qu’un enfant ne peut comprendre, qu’un adolescent n’entend pas et qu’un adulte ressasse le restant de sa vie:
– Orphelins de souvenirs, c’est ce qu’on devrait tous devenir, comme ça au moins on hériterait que de ce qu’on fait et on éviterait de penser. Si je te raconte un jour des choses qui te concernent pas directement, c’est que je serai pas loin de la tombe, mais même à ce moment-là, je ferai tout pour pas être tentée.

Des bruits se promènent, comme quand le vent prend dans une forêt et fait craquer le bois. Le vent, dans les vieilles maisons, ce sont les invisibles qui discutent en paroles ligneuses.

Il avait confondu le temps avec un moment, croyant s’acheter une liberté, oubliant que la liberté, c’est précisément échapper au temps, détourer le présent, se projeter déjà dans un autre écrire.

Les grands livres ont ce pouvoir-là, de modifier la trajectoire du lecteur à chaque lecture, de maîtriser le temps en déployant l’espace, de faire en sorte que rien ne s’est véritablement produit, qu’à tout moment peuvent surgir de nouvelles montagnes et de nouveaux abysses. Le temps révolu n’est dès lors plus une succession de moments déjà vécus, mais une suite insoupçonnée de rapports au monde. . 

Réfléchir, beaucoup, trop, c’est peut-être son grand problème ; réfléchir à la vie, aux femmes, à la littérature, trois féminins impossibles à accorder.

Un cyprès couvert de neige ressemble à une mariée immobile, triste et abandonnée sur un parvis émaillé de pétales blancs, dans un silence de mort.

La vanité est un marteau, et nos vaines espérances les clous qui scellent le cercueil.

Depuis longtemps, le double en littérature obsède Harry, l’idée selon laquelle le moi se protégerait de l’anéantissement en créant un double messager de la mort. El otro, disait Borgès. Un double qui ne serait pas un sosie ou un jumeau, mais un autre, capable d’endosser le bonheur, la frustration, le courage, la peur, le désespoir, la lâcheté, la monstruosité, la folie, l’amour, la haine…, toutes les impossibilités momentanées ou non de l’original subordonnées à un double tout-puissant. 

L’Aube noire racontait l’histoire d’un homme qui, depuis son enfance, n’attendait rien de l’existence. En grandissant, au gré des rencontres, il se réconciliait peu à peu avec la vie, s’obstinant à faire surgir le beau, même dans les moments tragiques. Le livre avait parlé à toutes les générations, chacun y avait retrouvé ses peurs, ses rêves, et toute la panoplie des sentiments humains.

– Et rappelle-toi : « Pense le matin. Agis à midi. Mange le soir. Dors la nuit. »

Ces mots qu’il lui répétait depuis l’adolescence, tirés du Mariage du ciel et de l’enfer de William Blake

Pour que tout soit parfait, il faudrait qu’il n’y ait aucun survivant, sinon un jour ou l’autre, on recommencerait les mêmes erreurs. L’homme a toujours réussi à faire mieux, en pire. Il faudrait aller au bout des choses, ne pas se louper. 

Depuis qu’il ne neige plus, le gel opère comme une dentellière travaillant sans relâche à crocheter des fils de givre éclairés par un soleil aux contours incertains, semblable à la lune surprise au réveil. Le vent ne soulève rien, il n’est qu’un son lancinant, un murmure. Le paysage ressemble à une immense pièce dans une maison abandonnée aux meubles recouverts de draps blancs, confinant à l’épure.

Écrire des histoires sur le papier, en raconter dans sa tête, n’est-ce pas aussi une forme de sorcellerie. Il reste à espérer que l’ombre du romancier rencontre l’ombre du sorcier, si cela est possible.

Parce que les femmes, en vérité, ça ne veut rien dire pour un homme. Avant qu’il ne rencontre celle qui supprime le pluriel.

Il roule vers une suite de mots incandescents qui s’enflamment mutuellement. Roule au-devant d’une vie éteinte rallumée par ces mots. Ne reste qu’à changer quelques noms pour mieux apprivoiser les ombres.

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